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ROBERT ASSIÉGÉ PAR SON PÈRE.

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château de Gerberoy dans le Beauvoisis, près de la frontière de Normandie, une espèce de quartiergénéral pour son parti. Beaucoup de Normands vinrent l'y joindre. Ils faisaient de là des excursions sur le territoire normand, pour le dévaster. Guillaume avait repassé en Angleterre, où il existait encore bien des élémens de trouble; mais à la nouvelle des projets de son fils, qui pouvait à tout moment faire une irruption en Normandie, il revint promptement dans son pays natal, et ayant rassemblé ses gens d'armes, il marcha aussitôt contre Gerberoy, et assiégea le château-fort. Il y eut des sorties de la part de la garnison, et des combats entre Normands et Normands'. Ce fut, assure-t-on, dans une de ces sorties, que Robert eut à lutter contre un des assiégeans, couvert de son armure; il le blessa, et ce ne fut qu'en ce moment qu'il reconnut, aux cris de son adversaire, que c'était son propre père."

Les sentimens de la nature prévalurent alors chez lui; il aida Guillaume à se relever, et le

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2 Florent. Wigorn. - R. de Hoveden. Orderic Vital ne parle pas de cette rencontre.

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SE RÉCONCILIE AVEC SON PÈRE.

laissa aller. Cet événement fit beaucoup de bruit. Plusieurs barons et évêques, la reine, enfin le roi de France, engagèrent le roi à pardonner à son fils et à mettre fin à une guerre de famille. Guillaume témoigna son étonnement de ce qu'on lui parlait en faveur d'un fils aussi perfide qui soulevait contre son roi et son père les sujets comblés de ses bienfaits, et qu'il avait lui-même munis de leurs armes. Cependant il se laissa persuader; il y eut au moins une apparence de réconciliation; le père et le fils se virent, mais ce fut avec la rancune dans le cœur : Robert reprit ses projets hostiles, et s'établit de nouveau dans l'étranger'. Cette fois, Guillaume maudit son fils, et l'abandonna à son sort.

Order. Vital, lib. 5.

CHAPITRE IV.

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Il est

Guil

L'évêque Eudes devient suspect au roi son frère. arrêté et enfermé. Mort de la reine Mathilde. laume assiége inutilement le fort de Sainte-Susanne dans le Maine. Fêtes célébrées par Guillaume en Angleterre. Il marie sa fille Constance au comte breton Alain. - Expédition de Guillaume contre le roi de Danemark Canut. Achèvement du grand terrier d'Angleterre ou Doomsdaybook. Observations sur ce document. Le roi tombe malade à Rouen. - Il brûle la ville de Mantes. Ses derniers momens à Rouen. Guillaume-le-Roux part pour l'Angleterre. Délaissement des restes mortels de Guillaume.

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-

Ses obsèques à Caen. Jugemens divers sur ce prince. - Opinion d'un Anglo-Saxon. Jugement de l'historien moderne Lyttleton. Souvenirs de Guillaume en Normandie. - Sa tombe à Caen. — Tapisserie de Bayeux, représentant la conquête d'Angleterre.

Le conquérant d'Angleterre paraissait destiné, comme Charlemagne, à être puni, par les désordres de sa famille, de l'oppression qu'il avait exercée chez les étrangers.

On se rappellera qu'il avait laissé son frère, Eudes, évêque de Bayeux, comme un de ses grands justiciers en Angleterre. Ce prélat n'avait

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PROJETS AMBITIEUX

pas été moins impitoyable que son frère à l'égard des Anglais qui tentaient encore de recouvrer leur indépendance. Un soulèvement dans le Northumberland avait été vengé par lui de la dévastation de toute la province, et du pillage des églises anglo-saxonnes. En cela, il avait agi conformément au système de Guillaume; mais Eudes avait des projets qui déplaisaient à son frère. Des devins, à Rome, avaient prédit qu'un Eudes succéderait à Grégoire. L'évêque de Bayeux voulut être ce prédestiné. Pour se préparer les voies de la papauté, il envoyait des sommes considérables à Rome, il y avait acheté un palais, et il se proposait de passer lui-même en Italie avec des Normands de distinction qui servaient le roi en Angleterre '. Peut-être se rattachait-il à ce projet d'autres vues que nous ignorons, et les historiens auront mal compris les intentions d'Eudes; que pouvait-il faire à Rome pendant que Grégoire vivait encore?

Pour provoquer le courroux de Guillaume, il faut qu'Eudes ait commis des imprudences qui se rapportaient plus directement à sa personne. Il

Orderic Vital, lib. 7.

DE L'ÉVÊQUE DE BAYEUX.

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avait fait des démarches secrètes, dit le poètehistorien Wace, pour savoir si un évêque pouvait être roi, et il espérait monter au trône si Guillaume mourait avant lui'. C'est probablement là ce qu'il négociait à Rome, et ce que redoutait de lui le roi son frère, qui connaissait son ambition démesurée. Le projet aventurier de l'évêque Eudes agitait beaucoup l'Angleterre; les Normands avaient encore l'imagination mobile et le goût des aventures qui avaient signalé leurs ancêtres❜. D'ailleurs, la fortune qu'avaient faite en Italie beaucoup de leurs compatriotes était un motif suffisant pour enflammer leur ardeur pour les aventures. Devenir ducs de la Pouille ou de la Calabre, se signaler par des exploits contre les Sarrasins, contre les Grecs et même contre le pape, leur paraissait plus beau, plus glorieux en

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E demandé à ses amis,

Se jà eveske Reis sereit,
Ne se jà estre Reis porreit;
Reis esperout k'il devendreit,

Se li Reis ainz de li morreit.

Roman de Rou, tom. 11, vers 14310-15.

« Illi quia Normanni leves et extera videre cupidi sunt, proti

nus præsumptori episcopo assenserunt. » Ordcric Vital, lib. 7.

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