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LES DEUX ABBAYES ROYALES

Ce fut surtout aux deux monastères élevés par Guillaume et Mathilde dans la ville de Caen, que les. dons et les autres faveurs furent prodigués. Mathilde ne dédaigna pas d'être première abbesse du nouveau couvent de la Trinité, situé sur une éminence et de manière à dominer une grande partie de la ville; quoiqu'elle fût mariée et qu'elle n'habitât jamais le couvent, elle fut pourtant censée être réellement abbesse du couvent qui lui devait l'existence. Sa fille Cécile, qui, peu d'an

nées

auparavant, en 1075, avait solennellement fait des voeux religieux à Fécamp, en présence de la cour, succéda dans la suite à sa mère, et régit le couvent pendant près d'un demi-siècle '. Dans son cloître, elle vit tranquillement les vicissitudes du sort qu'éprouvait la dynastie à laquelle elle tenait par les liens du sang. Quelques dames nobles s'étaient empressées de se faire également recevoir dans ce monastère, fondé et doté par la reine Mathilde', et qui n'est plus aujourd'hui qu'un

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Order. Vital, lib. 5.

Diploma Wilhelmi et Mathildis pro abbatia Stæ- Trinitatis Cadom., de l'an 1082, dans le tom. x1 de Gallia Christ., parmi les Instrum. eccles. Bajoc., no 5.

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établissement manufacturier. On y voit encore une crypte d'une haute antiquité, avec le tombeau d'une des premières abbesses. Les religieuses de la Trinité ont conservé jusqu'au dernier siècle un vieil inventaire des effets appartenant à la toilette de Mathilde. '

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L'autre établissement était l'abbaye d'hommes dédiée à Saint-Étienne. Guillaume lui fit don de cinq villages, avec tous les hommes qui n'y occupaient pas de terres franches. Ils devaient servir à l'avenir les moines seuls, et n'obéir à aucune sommation de service militaire, autre que celle que le roi ferait à l'abbé, et dans laquelle ils seraient nominativement appelés sous les bannières du roi; encore ne devaient-ils être appelés ainsi sous les armes que dans le cas d'une invasion étrangère, et ils ne devaient combattre que sur le

territoire de la Normandie. '

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Il donna de plus à l'abbaye la partie du bourg de Caen dans laquelle elle était construite, avec

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Ducarel, Antiquités anglo-normandes.

Fundatio Eccles. Cadomens., de l'an 1060, et Wilhelmi charta pro Sto. Stephano Cadom., de l'an 1077 ; parmi les Instrum. eccles. Bajoc., nos 2 et 4. Tome x1 de Gallia Christ.

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tous les droits que le roi avait coutume d'y percevoir, excepté la foire, où le percepteur royal devait continuer de lever le second jour le droit d'usage sur les marchandises vendues ou achetées par les marchands étrangers. Mais il créa, en faveur de l'abbaye, une foire nouvelle de trois jours sur le territoire de Caen; il lui accorda un cellier sur la Seine à Rouen, des moulins sur l'Andelle; enfin, il lui assigna des biens considérables en Angle

terre.'

Ses courtisans rivalisèrent de zèle et de dévotion pour suivre son exemple, en enrichissant de leurs dons le nouvel établissement religieux. Roger de Montgomery, qui, ayant pris une part active à la conquête, avait été magnifiquement récompensé par le roi, déposa sur l'autel de la nouvelle église de Saint-Étienne, la charte par laquelle il lui donnait un bourg avec la forêt d'Auge. Son gendre, Robert', comte de Mortain, encore mieux doté en Angleterre, que Roger de Montgomery, à cause de la parenté qui existait entre lui et le roi, fit don de la terre d'Hauteville. D'autres vicomtes et chevaliers donnèrent des

'Charte de l'an 1077; Gallia Christ., t. xi. La charte le nomme Roger.

FAITES A CES ABBAYES.

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villages, des prés, des maisons; quelques donateurs se réservèrent la faculté de se retirer dans la nouvelle abbaye, quand ils le voudraient. C'est ainsi qu'un camérier du roi, appelé Rainard, donna un moulin qu'il tenait en fief du roi, en stipulant que, lorsqu'il voudrait se faire moine, il serait admis dans ce monastère. Hugues de Rosel livra de même aux moines le fief de Grainville, sous la condition d'être admis au nombre des moines. Un autre chevalier, en donnant une église avec trois acres de terre, reçut de l'abbé 45 liv. et deux marcs d'argent pour lui, et un palefroi pour son fils. L'acte qui relate tous ces dons est terminé par la déclaration du roi, portant qu'il accepte, sanctionne et confirme avec reconnaissance, toutes les donations faites par ses barons et fidèles pour amour de lui et pour leur salut.'

On conservait naguère, dans l'abbaye, un bassin d'argent doré et orné de médailles antiques, dans lequel on prétendait que Guillaume avait déposé sur l'autel, l'acte de la fondation du monastère 2. Les deux couvens, si richement dotés,

1 Donationes factæ Sto. Stephano Cadom., circiter 1082, parmi les Instrum. eccles. Bajoc., no 6. Gallia Christ., t. xi.

2 Ibid.

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se trouvèrent bientôt à l'étroit dans la ville de Caen, dont ils possédaient une partie considérable. Il y eut des querelles entre les moines de SaintÉtienne et les religieuses de la Trinité, au sujet des limites de leur territoire, et il fallut que Guillaume intervînt pour accorder leurs prétentions ambitieuses'. En général, les querelles du clergé ne donnaient pas un médiocre embarras au souverain. L'archevêque de Rouen était un homme irritable et orgueilleux, qui ne cédait même pas à la volonté de Guillaume-le-Conquérant. En 1072, il avait produit un soulèvement parmi les moines de Saint-Ouen et le peuple de Rouen, pour une cause bien légère. Il était d'usage que l'archevêque officiât solennellement dans l'église de l'abbaye de Saint-Ouen, le jour de la fête du saint. Cet usage, comme beaucoup d'autres coutumes anciennes, était devenu un droit de l'archevêché. Le roi assiégeait le Mans. L'archevêque de Rouen et l'abbé de Saint-Ouen étaient tous deux au camp avec les autres prélats et abbés. Jean obtint la permission de s'absenter pour officier à Rouen,

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Instrum. eccles. Bajoc., no 7. Charte de Guillaume, de l'an 1083; Gallia Christ., t. x1.

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