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SUR LA SATIRE III.

ARGUMENT.Cette satire, dont le plan est si original, le coloris si vif, est une des plus remarquables du recueil et un des chefs-d'œuvre du genre: le style en est plein de grâce et de mouvement. Depuis le siècle de son auteur, cette salire a servi de type à de nombreux imitateurs dans plusieurs langues: Régnier et Boileau, en France, Smolett, en Angleterre, ont traité le même sujet; mais ils sont restés inférieurs à leur modèle.

On a reproché à Juvénal de l'exagération: il n'est pourtant que trop vrai que la Rome de son époque offrait le spectacle de toutes les corruptions qu'il flétrit avec autant d'énergie que d'éloquence. C'est par la bouche de son ami Umbritius, philosophe influent par sa probité et de mœurs austères, qu'il fait tonner sa généreuse indignation.

Umbritius prend le parti de s'éloigner d'une ville où l'intrigue, la délation, la cupidité et le vice règnent absolus; où la pauvreté n'a que le dédain à attendre; où les hommes de talent méconnus végètent sans ressources, tandis que les charlatans de toute espèce s'impatronisent chez les favoris de la fortune, complices de leurs iniquités.

Dès son exorde, le satirique passe en revue les périls auxquels on est exposé dans la cité du Capitole, l'incendie et la chûte des édifices. Plus loin il met en scène, avec beaucoup d'art, cette foule de mercenaires, accourus de tous les points du globe, qui débordent comme un torrent, s'emparent de tous les emplois et parviennent à s'enter sur les familles opulentes pour les gouverner. Comme il stigmatise les intrigants! Ces tableaux ont toujours de l'actualité. Quelle description pittoresque des mœurs étrangères! Avec quelle verve mordante, quelle fine ironie Juvenal esquisse le portrait du Grec! un seul trait lui suffit pour le ridiculiser.

Græculus esuriens in cœlum, jusseris, íbit.

Ordonne, un Grec à jeun vole au ciel plein d'audace.

On cite cet épisode dans toutes nos poétiques. C'est pour la fin de cette satire que l'auteur réserve ses coups de pinceau les plus vigoureux, on traçant la peinture des vols et des attaques nocturnes dont Rome est le théâtre.

NOTES SUR SUR LA SATIRE III.

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C'est sur cette me satire que Despréaux a calqué les embarras de Paris; mais qu'il est loin d'égaler Juvénal F Tous deux procèdent par des moyens bien différents: l'idée dominante du poète latin est de venger les hommes intègres et de talent des injustes persécutions qu'ils subissent. Boileau lance des sarcasines peu charitables contre un auteur de son temps, qu'il rend la fable de la ville et de la province; fils d'un chef d'escadre, renommé par sa bravoure, Saint-Amand n'était pas sans quelque valeur littéraire: on peut en juger par son ode sur la Solitude; pièce que l'on goûte encore. Du reste Boileau bien inspiré dans son imitation, a le mérite d'un style irréprochable.

(1) Cumes, ancienne cité de Campanie, célèbre par sa sybille. Ausone compte trois sybilles; Elien en admet quatre, et Varron en porte le nombre à dix. Pausanias prétend qu'une fille de Neptune, du nom de Sybille, fut la première à prophétiser l'avenir. Telle est l'opinion de Lactance et de quelques vieux scoliastes.

(2) Baies, ville sur le littoral du golfe de Naples, où les riches Romains avaient des maisons de plaisance. Les environs en sont charmants. Baies était renommé dans l'antiquité par ses eaux thermales.

(3) Prochita, aujourd'hui Procita, petite île déserte de la mer Tyrrhénienne ou golfe de Naples.

(4) Suburre, un des quartiers les plus populeux de Rome, situé dans la 2 région; il en est souvent mention dans les satires de Juvénal.

(5) Les arcs de la porte Capêne étaient un monument triomphal, élevé en mémoire du combat des trois Horaces, près la voie Appienne. Ces arcs servaient d'aqueducs.

(6) Après la destruction de Jérusalem, les Juifs, réfugiés à Rome en grand nombre, avaient loué du fisc un bois consacré aux Muses. C'est par métonymie que Juvénal a dit que la forêt était réduite à mendier.

(7) Egérie, nymphe que Numa Pompilius, second roi de Rome, se plaisait à consulter, habitait près de la forêt d'Aricie, et, selon les traditions de la fable, elle fut changée en fontaine après la mort de Numa.

(8) C'est à Cumes que Dédale, l'inventeur des ailes, termina sa course aventureuse dans les airs. On varie d'opinion à cet égard. Ovide fait aborder à Dédale les côtes de la Sicile.

(9) La haste était une javeline plantée aux endroits où les crieurs publics faisaient leurs ventes d'esclaves à l'enchère. Selon Aulu-Gelle, c'était la méthode adoptée pour vendre les prisonniers de guerre. Quel odieux trafic!

(10) Dans les combats du cirque on faisait grâce au gladiateur vaincu, quand le peuple, arbitre de sa vie, pliait le pouce sous le doigt indicateur. Le pouce renversé était son arrêt de mort. On était sans pitié pour le gladiateur coupable de lâcheté.

(11) Le trésor public tirait un large bénéfice de l'adjudication des latrines publiques, connues sous le nom de privés.

(12) Verrès, proconsul en Sicile, célèbre par sa dilapidation et plus encore par les discours immortels de Cicéron.

(13) Juvénal parle d'un torrent d'Achéens ; c'est une province prise pour la Grèce entière; la métonymie est une figure assez familière aux poètes.

(14) On donnait à Rome le nom de lupa, louve, aux courtisanes les femmes de l'orient portaient une mitre pour coiffure.

L'Oronte, fleuve de Syrie, qui n'a point son embouchure dans le Tibre, on le sait. C'est une épigramme piquante de Juvénal pour peindre l'envahissement de sa patrie par les étrangers; ce passage est un peu hyperbolique."

(15) Samos, une des Cyclades dans la mer Egée, ville de l'Asie, assise sur un promontoire fortifié par la nature; Alabande, ville de l'Asie-Mineure, ainsi qu'Amydone.

(16) Isée, illustre orateur grec, précepteur de Démosthènes. Il a existé, selon le témoignage de Pline, un autre Isée, rhétheur fort éloquent; on vantait la facilité de son débit et la richesse de son élocution, que Juvénal compare à un torrent.

(17) Thaïs, célèbre courtisane d'Athènes. Doris, fille de l'Océan et de Téthys, épouse de Nérée.

(18) Stratocle, Antiochus, Hémus, acteurs en grand renom à cette époque.

NOTES SUR LA SATIRE III.

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(19) Pégase, en tombant sur la côte de Tarse, en Cilicie, perdit une de ses plumes. Ce vieux stoïcien, que Juvénal désigne, était Egnatius, qui ne se borna point à accuser Baréas Soranus, son disciple, mais le tua de sa propre main. L'abolle était un long manteau porté par les philosophes.

(20) Protogène, Erimarque et Dyphilus, trois grecs intrigants établis à Rome.

(21) L'hôte de Cybèle, Scipion Nasica, après l'incendie du temple de la déesse, fut jugé digne par le sénat de recevoir en sa maison l'image de la mère des dieux. Lucius Métellus, grand pontife, devint aveugle dans cet incendie.

(22) Samothrace, île de l'Archipel, non moins renommée qu'Eleusis, par son temple où se célébraient de redoutables mystères. Après sa défaite, Persée s'y réfugia et se mit sous la protection de ses autels formidables.

(23) Dès l'an de Rome 685, Roscius-Othon, tribun du peuple, rendit un décret qui interdisait aux plébéiens l'accès des quatorze premiers gradins de l'amphithéâtre; on les réservait aux chevaliers et à ceux qui possédaient quatre cent mille sersterces. Le podium était la place d'honneur réservée au prince et aux grands de sa suite.

(24) Jadis nos plébéiens, etc. Allusion à la retraite du peuple romain sur le Mont-Sacré.

(25) Le pays des Samnites fut peuplé par une émigration de Sabins. Juvénal fait allusion dans ce passage à Curius Pentatus.

(26) L'Exode, ou hors-d'œuvre, était une farce licencieuse qu'on représentait après une tragédie ou dans les entre-actes, à la suite d'une atellane.

(27) Quand un patron faisait couper les cheveux ou la première barbe à ses enfants, ou mème à un esclave favori, il était d'usage de lui faire des visites ou des présents. Passé l'âge de 49 ans il fallait porter la barbe longue.

(28) Tibur ou Tivoli, est situé à seize milles de Rome, sur une montagne. Au rapport de Strabon, le culte d'Hercule y était surtout en honneur. Gabie et Préneste, aujourd'hui Pilastrine, étaient deux villes du Latium,

(29) Codrus, nom d'un poète indigent; Juvénal en parle au début de la premiére satire.

(30) Euphranor et Polyclète acquirent de la célébrité par leurs chefs-d'œuvre en peinture et en sculpture.

(34) Les Romains aimaient le cirque avec passion. On sait que les disciples de Pythagore ne se nourrissaient que de légumes ou de fruits, et proscrivaient de leur table la chair des animaux.

(32) Les Romains tiraient une partie de leurs esclaves de la Liburnie, province située sur les bords de la mer Adriatique; c'est aujourd'hui la Croatie.

(33) Les anciens plaçaient dans la bouche des morts une pièce de monnaie pour acquitter le tribut dû à Caron, le nocher des enfers.

(34) Le bois Gallinaire, situé dans la Campanie. à quelques milles de Rome, était un voisinage dangereux. Cicéron en parle dans sa Milonienne, au chapitre 50. Les Marais-Pontins, ou Palus-Méotides. Jules-César avait fait dessécher ces marais.

(35) Aquin, aujourd'hui Aquino, patrie de Juvénal et de saint Thomas-d'Aquin.

(36) Helvine, faubourg d'Aquin, tirait son nom d'une fontaine voisine.

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