Page images
PDF
EPUB

Comment cela?

Chaque meuble, chaque ustensile obéira à la voix de son maître. Dresse-toi, table! La voilà toute dressée. Huche, pétris le pain! Bouteille, verse à boire! Où est mon verre? Allons, ma coupe, vinie-toi comme il faut ! Gâteau, accours! Que la marmite me serve à manger. Poisson, en avant! - Mais, répond-il, je ne suis encore cuit que d'un côté. Vite, retourne-toi, et assaisonne-toi d'huile et de sel... Je ferai venir les bains chauds chez moi; l'eau coulera à volonté dans les baignoires; on n'aura qu'à parler, et l'eau s'arrêtera. Ensuite le vase à parfums, l'éponge et les sandales viendront comme par enchantement. >>

L'autre personnage, que nous appellerons la Vertu, faisait l'éloge de l'âge d'or, au grand contentement du chœur, qui se composait d'animaux. Ceux-ci appuyaient de toutes leurs forces l'avis de la Vertu, et insistaient pour que les hommes renonçassent à manger de la viande, en échange de quoi ils s'engageaient à rendre aux hommes tous les services imaginables.

« Il faut vous nourrir de choux bouillis et vous abstenir de tout poisson frais ou salé...

Nous ne mangerons donc plus de viande, selon vous; nous ne ferons plus de ventricules ni de boudins? >> Cratès introduisit dans les Voisins le premier rôle d'homme ivre qu'on eût vu sur le théâtre d'Athènes.

Les Héros reposaient sur la tradition des Argonautes et d'Hercule. Dans les fragments conservés, il est question des exercices du corps, du saut, et d'hommes qui ne se laissent pas effrayer par de vaines apparences.

Lamia était l'ogre des anciens. Les nourrices se servaient de ce nom pour faire peur aux petits enfants. On ne sait rien de la manière dont Cratès avait traité son sujet. Il nous reste une phrase où il est question « de mots de trois coudées, » ce que rappelle les sesquipedalia verba d'Horace.

Dans les Samiens, le poète traite la plaisanterie incom

préhensible pour nous des poissons d'ivoire (pártivo Tápixos). Athénée en cite ce passage, qui est sans doute une énigme qu'un des personnages proposait aux autres : « Une tortue de mer fit bouillir un poisson éléphantin dans une marmite de cuir sur des flots de poix; des crabes aux pieds légers comme le vent, des lycus aux larges ailes et des héros combattaient contre la semelle des cieux. Frappe celui-ci; étrangle celui-là. Quel jour serons-nous à Céos? » Les Orateurs étaient probablement dirigés contre Périclès.

1

Dans les Hardiesses, le poète mettait sur la scène les prières que le besoin inspire à trois pauvres diables pour soutirer de l'argent à de riches avares.

Parmi les fragments appartenant à des pièces inconnues du même auteur, les suivants sont les seuls qui présentent un sens complet. Un vieillard dit à un jeune homme : <«< Tu m'as reproché ma vieillesse comme un grand mal; la mort est le seul prix auquel on puisse être exempté de ce mal; aussi nous le convoitons tous; mais lorsqu'il nous arrive, nous en sommes fâchés, tant nous sommes ingrats de notre nature. >>

Le même vieillard disait encore: « « Le temps m'a courbé, le temps, architecte insensé qui ôte toute force à toutes choses. »

<< Commence par tes foyers » est un proverbe qu'on trouve dans les débris attribués à Cratès.

Ces grains épars, recueillis avec peine dans le vaste champ de la poésie grecque que le temps insensé a si cruellement moisonné ne sauraient être dédaignés. Ce sont de précieuses reliques pour tous les esprits studieux qui se retournent vers la Grèce, mère de toute science et de toute poésie; et le nombre de ces esprits augmente tous les jours parmi nous, pour la gloire future des lettres et des arts en France.

'Espèce de poisson; loup de mer.

LOUIS DELATRE.

AVENTURES ET IMPROVISATIONS DE KOUROGLOU

HÉROS POPULAIRE

DE LA PERSE SEPTENTRIONALE 1.

CINQUIÈME SÉANCE.

Le soir approchait la fraîcheur de l'eau et les coups des viragos de la suite de la princesse avaient fini par rafraîchir Koûroglou. Il sentit qu'il était nécessaire de parler de Belly-Ahmed. D'un autre côté, la princesse Nigara devenait de plus en plus pensive, et elle se disait en ellemême : « Dans ses chansons, il répète continuellement le nom de Koûroglou, ne serait-ce pas Koûroglou lui-même ? » Elle se mit à l'interroger: « Ecoute, jeune homme, dis-moi la vérité, serais-tu Koûroglou ? Dieu te conserve! Les fouets de tes femmes ont tanné ma peau, comme celle d'un vieux buffle têtu, et jusqu'à présent, tu n'as pas encore songé à me demander si j'étais Koûroglou. Si tu n'éprouvais aucun désir de me voir, dans quel but m'écrire cette lettre que m'a remise Belly-Ahmed? >>

[ocr errors]

« Tu es donc réellement lui; pardonne-moi, ami Koûroglou ! Si je t'ai offensé, c'est que je ne savais pas qui tu étais. Si je t'ai injurié, tu es libre de me couper la langue; si je t'ai frappé, je te permets de me trancher la main. Seulement, pardonne-moi ! Et le moyen de ne pas accorder ce que tu demandes ? - Mon père, le sultan Mourâd, est aussi grand que toi de taille je vais faire apporter une de ses robes royales. Si elle est trop longue pour toi, j'ordonnerai que l'on te plante un clou sous chaque talon, afin de te grandir; si elle est trop courte, je te ferai rogner les jambes juste à l'endroit où la robe atteindra. Si elle est trop large, je te fais ouvrir le ventre;

Huitième article, voir les numéros de mai, août, septembre, octobre 1855, février, juin et septembre 1856.

on te distendra la peau et on la bourrera de paille jusqu'à ce que l'on arrive à la mesure. Seulement, hâte-toi, sors de l'eau, et l'affaire sera bientôt arrangée. » Koûroglou répondit : « Tu me réserves des punitions d'après le code d'Adou-Horeïra; mais, n'aie pas de souci, je remplirai tes vœux de tout point. » Seulement, il pensait en son cœur : « Une femme est facile à tromper; si la robe est trop longue, je me lèverai sur la pointe de l'orteil; si elle est trop courte, je plierai les genoux; si elle est trop large, je ferai gros ventre; est-elle trop serrée, je rentre l'abdomen. »> Puis il dit tout haut : « Princesse, fais apporter la robe! »

Au moment où il sortait de l'eau, Nigara vint l'aider de sa propre main. Le vêtement fut bientôt apporté, et l'on eût dit qu'il avait été fait tout exprès pour Koûroglou, tant il lui seyait à ravir.

La princesse et Koûroglou se jetèrent mutuellement les bras autour du cou et se rendirent au kiosque. Selon la coutume turque, ils burent au même vase; il vida le premier une coupe de vin, et ensuite elle la vida à son

tour.

Dis-moi, Koûroglou, « demanda la princesse, «< as-tu amené ici avec toi ton fameux cheval Kirât? Oui, je l'ai amené. Il faut que tu me découvres un cheval pareil à lui et que tu me l'achètes. Princesse, un che

[ocr errors]

val de cette espèce ne vous coûtera pas moins de cinq mille tomans (environ 62,000 fr.) Je n'ai pas apporté une somme aussi forte. » Nigara ordonna immédiatement que l'on apportât l'argent nécessaire, et qu'on le comptât à Koûroglou. Celui-ci observait avec ravissement l'influence croissante que le vin et l'amour exerçaient sur la princesse. Il se mit alors à chanter sur le ton qui convenait au rang de cette dernière :

Improvisation. « Fraîche, fraîche est la neige que l'on voit sur le sommet des hautes montagnes. - Ton regard éblouit à la fois et répand la fraîcheur dans mon cœur en démence. Mon amour chérie est parée des vêtements ro

ses; toute sa personne n'offre que des tons rosés. L'eau qu'elle boit est pure comme l'azur des cieux, son regard enivré des nectars du vin et de l'amour. >>

La princesse était appuyée sur un coussin, et elle regardait le chanteur avec ses yeux humides et ardents. Sous la robe transparente qui la couvrait, son sein ressemblait à la grenade de l'Arabistân ou aux citrons du Fars. Koûroglou sentit les rênes de la patience lui échapper des mains; il frappa les cordes de sa guitare et chanta :

Improvisation. « Je vois le village natal de ma bienaimée; en pensée, je l'y vois, elle-même; sa lèvre est faite pour être couverte de baisers. Ses seins s'échappent impatients de dessous la gaze qui les emprisonne, ses seins pareils à des grenades! >>

Bientôt Koûroglou redevint en partie maître de luimême, et il se dit en son cœur : « Mais n'es-tu pas au centre même de Constantinople? N'es-tu pas au milieu des sept murs du harem du sultan, et tu oses ainsi dans tes chants dévoiler le fond de ton âme! Tous les habitants de la Turquie sont tes ennemis mortels. Quelqu'un de sangfroid pourrait t'entendre, tu dois désormais être plus prudent. » Il commença donc à rendre moins éclatantes les notes de sa guitare, et à diminuer, en chantant, la sonorité de sa voix.

Improvisation. - « Je suis Koûroglou. Ne suis-je pas libre de goûter le charme d'une promenade sous ces bosquets, et ne puis-je me montrer ici que sous des vêtements d'emprunt? Le monde,' dans sa vaste étendue, n'offre à mes courses qu'une carrière insuffisante; le monde me semble trop étroit pour mes pas. >>

[ocr errors]

La princesse Nigara, après avoir entendu ces mots, fut confirmée dans son opinion, que c'était là le vrai Koûroglou. « Ne sois pas découragé, lui dit-elle, tu ne saurais faire un pas hors d'ici sans exciter le soupçon. Reprends, comme à ton arrivée, la robe de Mollah, sors, et achète-moi un cheval. Tu devras ensuite rentrer ici, en

« PreviousContinue »