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FRAGMENT D'UN VOYAGE EN CILICIE.

DE CORYCUS A LAMAS, PAR LA VOIE ROMAINE DU TAUrus.
RUINES DE NEAPOLIS D'ISAurie.

Au mois d'octobre de l'année 1852, je quittai Tarse pour aller explorer la Cilicie Trachée, et après plusieurs journées de marche sur les bords de la mer, dans un pays brûlé par le soleil, j'atteignis Sélefké, l'ancienne Séleucie, village bâti au pied d'un monticule couronné par un château arménien qui domine la contrée d'alentour.

En quittant Sélefké, je revins sur mes pas jusqu'aux ruines de Corycus, ville célèbre du royaume d'Arménie au moyen-âge, et quittant alors la route que j'avais suivie précédemment, je m'engageai, avec mon escorte, dans les rochers de la Cilicie Trachée, pour visiter cette contrée montueuse qu'aucun voyageur n'avait encore explorée.

A une journée de marche des ruines de Corycus, au nord-est, et sur le versant méridional d'une montagne faisant partie de la chaîne du Taurus, se trouvent de belles ruines, débris d'une ville byzantine, couvrant une grande étendue de terrain. Une étroite voie romaine y conduit, mais si peu praticable que jusqu'ici aucun des voyageurs qui m'ont précédé ou suivi, dans l'exploration de la Cilicie, n'a visité cette antique cité.

Les Romains, qu'aucune difficulté n'arrêtait, dans la réalisation de leurs projets, avaient creusé cette voie qui, en suivant les anfractuosités des rochers accumulés sur ce point, conduisait par mille sinuosités à des collines boisées, et de là, à la ville ruinée dont je m'occupe. En raison de sa position si peu accessible, et de son isolement, cette ville est restée, en quelque sorte, ignorée ; et en V. Janvier 1857.

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effet son nom ne figure point sur les cartes de MM. Kiepert et de Tchihattcheff. Au milieu des débris de cette vieille cité, des Turkomans ont bâti quelques cabanes auxquelles ils ont donné le nom de Kannideli.

Avant de décrire les monuments que renfermait la ville ruinée dont il est question, je crois utile de consulter les auteurs, afin de m'assurer si, parmi les villes de la Cilicie Trachée, qui, à l'époque byzantine, formait la partie orientale de l'Isaurie, il ne s'en trouvait pas une dont la position fût identique, et dont le nom pût s'appliquer aux ruines de Kannideli. Les écrivains anciens et les itinéraires ne font pas mention d'une ville qui aurait occupé l'emplacement de ces mêmes ruines. Deux auteurs seulement, dont l'un, Hiéroclès le grammairien, appartenant à la période byzantine, l'autre, Suidas, qui vivait plusieurs siècles après lui, nous font connaître une ville du nom de Neapolis, que je crois être celle dont j'ai découvert les ruines en parcourant le Taurus trachéen.

En rendant compte de l'ouvrage de l'amiral Beaufort 1 M. Letronne a exprimé la pensée que Néapolis pouvait être la ville que le Stadiasmus Maris nomme Kalo-Koracésium; mais il est évident que ce savant a confondu ces deux localités, et on pourra s'assurer par ce qui suit, que KaloKoracésium et Néapolis sont bien deux villes distinctes, dont la fondation peut, il est vrai, remonter aux mêmes temps, puisque les restes des monuments qui se voient au milieu des ruines de ces deux cités sont identiques et accusent une même époque et un même genre d'architecture.

Le nom de Neapolis d'Isaurie se montre pour la première fois, dans le Synecdême d'Hiéroclès, où elle est donnée comme faisant partie de la province d'Isaurie, et pour la seconde fois, dans un passage où Suidas raconte

▲ Journal des savants, 1819.

Synecd., p. 730.

• V• Indacus.

que sous Léon Ier, Indacus, un des plus fameux coureurs de cette époque, faisait plus de chemin en un jour, à pied, que d'autres avec des chevaux de relais. « Il << allait, dit Suidas, du château de Chéris à Antioche (du << Cragus?) en une journée, revenait le lendemain à Chéris, « et le surlendemain se rendait à Néapolis d'Isaurie; » d'ou il résulte qu'il faisait, en deux jours, le chemin d'Antioche à Isaurie, située à l'extrémité occidentale de l'Isaurie, jusqu'à Néapolis, qui, d'après cela, devait être située à l'extrémité orientale de la même province. Or, telle est la position des ruines au milieu desquelles se trouve le village de Kannideli. Ainsi Indacus traversait l'Isaurie en deux jours. La route d'Antioche du Cragus à Isaurie et Kannideli (Néapolis), en comptant, comme le fait M. Letronne, un huitième pour les détours, est de 34 lieues au moins, ce qui fait 17 à 18 lieues par jour, distance que ce fameux coureur franchissait pendant trois jours de suite.

En combinant ces diverses circonstances: la distance de Néapolis ou Kannideli à Antioche du Cragus; sa position à l'extrémité orientale de l'Isaurie, qui est bien celle de Kannideli; le nom de Néapolis qui indique une fondation nouvelle; enfin la mention si tardive de cette même ville, on arrive à ne plus douter que les ruines de Kannideli ne soient effectivement celles de Néapolis d'Isaurie.

En raison de sa position dans les rochers boisés du Taurus trachéen, et des distances qui la séparent des routes habituellement fréquentées par les voyageurs se rendant de Sélefké à Tarsous, Néapolis d'Isaurie a été peu visitée et conséquemment beaucoup moins dévastée que les autres villes du littoral. Fondée quelques années avant le règne de Théodose II, comme on peut le supposer par le style des monuments les plus anciens qui se trouvent dans ses ruines et par la mention du Synecdême d'Hiéroclès, cette ville était florissante aux huitième et neuvième siècles, époques auxquelles remontent ses principaux monuments, et notamment ses églises.

C'est à l'époque de la conquête arménienne que Néapolis a dû être abandonnée, aucun de ses nombreux édifices, aucune inscription, ne pouvant se rapporter à la dynastie des Roupéniens d'Arménie qui, au onzième siècle de notre ère, firent la conquête de la Cilicie sur les Grecs. L'existence de Néapolis se trouve donc limitée entre la première moitié du cinquième siècle, pendant laquelle régnait le jeune Théodose, et la seconde moitié du onzième siècle qui marque l'invasion et la conquête arméniennes, ce qui forme un total de près de sept cents ans.

Les ruines de Néapolis consistent en bas-reliefs, mausolées, sarcophages, églises, couvents, citadelle, constructions diverses, et débris d'habitations, mais on n'y voit aucun vestige, aucune des traces de temples qui se remarquent à Séleucie, à Corycus et autres cités antiques.

Les monuments de Néapolis forment deux catégories distinctes; dans la première se classent ceux qui appartiennent à l'époque de transition qui termine la domination romaine, et datent de la fondation de la ville. La seconde renferme ceux de ces monuments qui, par le style et la destination, révèlent la période de l'art byzantin, dont on retrouve de si nombreux vestiges sur tous les points de l'Asie-Mineure. Ceci établi, il nous reste à décrire les ruines de Néapolis, en commençant par celles de la première période.

A l'est de Néapolis est une profonde carrière, formant un carré assez régulier, et d'où se tirait la pierre destinée à la construction des édifices, des sarcophages monolithes et des maisons de la ville. On pénètre dans cette carrière par des décombres inclinés, au milieu desquels des buissons de grenadiers, de houx et de lauriers, ont acquis un développement remarquable. Sur la paroi sud de cette carrière, et à la hauteur du milieu du talus formé par les décombres, on remarque, creusé à même le roc, un enfoncement carré de 2 mètres environ de hauteur sur 4 de largeur, et surmonté d'une inscription grecque de cinq lignes

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