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Si, en effet, nous supposons un de nos ceps traînants maintenu dans la position verticale et soutenu par un arbre mort garni de ses branches ou par une charpente assemblée en forme de branches, nous aurons exactement en pensée le système suivi dans la Haute-Savoie, à la seule différence, toutefois, que le système de chissay horizontal produit de très-bons vins du Cher, très-recherchés par le commerce, et que si nous procédions comme dans le sud-est, le fait de la verticale aurait comme conséquence un amoindrissement considérable de couleur et de qualité, par suite de l'irrégularité de maturation qui arrive en treille et non en culture horizontale.

En faisant l'historique de ce procédé viticole, on peut se demander si la taille longue traînante a été pratiquée de toute antiquité. Je serais tenté de le croire: ce devait être assurément la manière de notre confrère, le plus ancien dans les souvenirs de la viticulture, le vieux vigneron Noé, qui devait cultiver sa vigne en chaintre. Et la grappe de raisin de l'Écriture, que deux hommes vigoureux suffisaient à peine à porter, était sans aucun doute une branche de chissay cultivée dans la Terre promise.

L'inspection des photographies que j'ai fait exécuter, représentant, d'après nature une branche traînante de deux mètres de longueur, réduite au 1/20, retire toute exagération à ce que j'avance, si on prend surtout en considération que ce n'est pas, beaucoup s'en faut, dans la Terre promise, mais bien dans la Champagne tourangelle, réputée pour son aridité, que ce produit s'est développé.

Quoi qu'il en soit, alors même que l'origine de la longue taille traînante ne remonterait pas à des temps aussi reculés, elle n'est pas moins, dans la conviction de ceux qui la connaissent et l'ont étudiée pratiquement, la culture de l'avenir. Et j'ajouterai même que, dans l'état actuel des conditions économiques de main-d'œuvre et de cherté des salaires de notre pays, c'est le seul mode possible pour qui veut entreprendre une opération vinicole d'une grande importance. Pas d'échalas, réduction des 11/12 des façons à bras d'homme et rendement obtenu, dans les proportions moyennes, de 100 à 150 hectolitres de bon vin par hectare, dont on facilite la maturation au moyen de petites fourchines ou fourchettes destinées à soutenir les pampres et raisins en temps opportun. Voilà, en quelques mots, toute l'économie du système.

Ces avantages sont si bien reconnus et compris, que la presque totalité des nouvelles plantations qui s'effectuent depuis quelques années dans la partie nord de la Touraine est conduite d'après ces nouveaux errements. Toutefois, il ne faut pas se faire illusion et croire, malgré tous les avantages manifestes de ce procédé, qu'il soit appelé à se généraliser de si tôt. Le viti

culteur et le vigneron qui traite, soigne et taille sa vigne avec le zèle, l'amour et la conviction que nous savons tous, croit, en effet, sa taille et son mode de faire les plus parfaits et les meil. leurs qui existent. Changer sa manière serait moins bien faire.

En un mot, il est très-rare de rencontrer un praticien de la viticulture sans parti pris et avec l'esprit éclectique. Et, s'il s'agissait de la transformation de la taille de leur vignoble, ce serait, pour le plus grand nombre des vignerons ou viticulteurs, un événement bien considérable. Cependant, cette pratique de transformation, même sur des vignes déjà âgées, est un fait acquis à la pratique. Tout l'art, dans ce cas, est de proportionner l'arrachage partiel des trop nombreux ceps à l'augmentation de végétation extérieure des ceps choisis, pour fournir à la taille de longues branches traînantes.

La première pensée qui vient à l'esprit est de se demander le pourquoi d'une pareille augmentation de vigueur, de productivité et de longévité (indéniables en présence des faits), sous l'empire de ce mode de culture.

Pour arriver à résoudre cette question, il faut se demander d'abord si, d'une manière absolue, la vigne est bien un arbrisseau ou un arbre? Dans notre pensée, non-seulement la vigne est un arbre, mais un grand arbre, à telle enseigne que, si vous lui laissez la liberté d'extension souterraine par l'isolement, il est des exemples de développement vraiment surprenants, et qui sont fréquents dans toutes les localités vigneronnes. J'ai constaté un cep de pineau blanc, situé sur une vieille ruine, à la ferme des Minées (Indre-et-Loire), mesurant à la hauteur de 2 mètres 0,50 de circonférence, et à 10 mètres une circonférence de 0,30. Ce cep couvrait une surface générale de près de 6 ares, soit 18 à 20 pour couvrir un hectare, ce qui se voit à peine par les chênes en plus hautes futaies.

Mais si la vigne est créée pour prendre un développement arborescent, il lui faut reconnaître une particularité remarquable: c'est qu'elle ne peut végéter verticalement qu'à la faveur d'un appui, d'un tuteur, auquel ses vrilles s'accrochent avec une si curieuse aptitude. Si, pendant cette grande vigueur de végétation, il arrive que cet appui vienne à ne pas se trouver, la tige, manquant absolument de consistance (les faisceaux qui la constituent étant peu soudés et glissant les uns contre les autres sans cohésion et ne se soutenant pas), il s'ensuit que la position rampante horizontale ou traînante devient la résultante de sa constitution physiologique sous l'influence de la pesanteur, et que, de par ses lois constitutives, la vigne, en rase campagne, devient traînante. Chose vraiment merveilleuse ! tous ses efforts alors tendent à s'aider, à se soutenir, et vous pouvez, dans ce cas, constater sa recherche des moindres points d'attache pour ses vrilles étendues, toujours prêtes à s'accro

cher et à s'enrouler à tout point d'appui qui s'offre à elles. Si ce but est atteint par la présence d'un arbre dans son voisinage, par exemple, d'une vieille ruine ou même d'un rocher, vous la voyez y grimper et s'y cramponner.

Alors le bourgeon terminal, assuré dans sa marche, se dresse verticalement et a une tendance à pousser en bois qui se décèle par des entre-nœuds mesurant quelquefois chez un sujet vigoureux, de 0,25 à 0,30 de longueur.

On le comprend, dans la position verticale, cette force végétative à bois est toute au préjudice de la production en fruits; aussi, pour arriver à la production dans les vignes d'Evian, dont j'ai parlé précédemment, le vigneron de la Haute-Savoie est forcé à la pratique du courbage des verges en cerceau, pour contrarier cette vigueur de production en bois et provoquer artificiellement l'affruitement.

Ces lois physiologiques appliquées par le Créateur à la vigne étant constatées, et le principe étant admis: que les efforts du producteur, qu'il soit vigneron, cultivateur ou forestier, doivent aider et non contenier les aptitudes ou tendances des végétaux qu'il élève et exploite, on comprend que la longue taille trafnante devait logiquement amener les résultats remarquables que la pratique est venue constater, démontrer et sanctionner d'une façon indéniable.

Par le procédé que j'ai l'honneur de développer devant vous, la vigne rampante, à l'inverse des vignes d'Evian, dégagée de tous supports, est dans une position à s'affruiter sans moyens artificiels. Et, comme la vigne est un végétal à absorption immense des rayons solaires, sa position horizontale, que le manque absolu de tuteur amène forcément, favorise ses absorptions, qui font la qualité du vin en même temps qu'elle en assure la quantité.

L'épamprage en temps opportun par les soins intelligents du vigneron et la disposition sur de petits supports, appelés fourchines ou fourchettes, aident enfin, dans les dernières phases de la maturation des raisins, aux absorptions diverses de calorique et de lumière.

Je viens de parler des absorptions solaires; à ce sujet, permettez-moi quelques explications. Dans le cas où la vigne ne serait pas le végétal dont l'absorption solaire est la plus considérable, elle est, du moins à mon sens, celui dont l'absorption est la plus appréciable aux yeux et à l'intelligence d'un observateur. Il a été dit que la vigne se chauffe au soleil et qu'elle boit, en étalant ses feuilles, la chaleur et la lumière. J'ajoute<< que le propre de toute végétation est l'absorption de l'élément chaleur ou calorique, pour l'emmagasiner et le rendre fixe, latent, de rayonnant, de diffus et assimilable qu'il était avant que la plante se le soit approprié. »

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En un mot, si le fait même de la végétation est d'assembler ou de combiner divers éléments que le chimiste analyseur peut décomposer et rendre palpables (oxygène, hydrogène, azote et carbone), l'assimilation d'autres éléments (chaleur et lumière) est aussi le fait du phénomène de la végétation, et ces derniers éléments constitutifs, localisés et rendus insensibles à nos instruments et à nos sens, n'en font pas moins partie intégrante du végétal; si bien que, à son tour, le physicien analyseur saura les rendre libres et palpables, de fixes, de latents ou de combinés qu'ils se trouvaient dans un sarment de vigne, dans l'alcool du vin comme dans toute récolte ou tout morceau de charbon qui peut en être obtenu, et qu'on a dit avec justesse être le plus beau résultat de la solidification d'un rayon solaire. Je m'empresse de passer, et de revenir à la question qui nous occupe, en disant que la vigne bien disposée à produire du vin a besoin d'être le plus favorablement exposée aux rayons solaires, qu'elle a pour fonction de localiser et de s'assimiler; et nous croyons pouvoir avancer qu'il ne peut se trouver une disposition plus favorable à cet égard que la culture et taille longue traînante de Chissay.

Ces grands espacements, cette grande vigueur qui en résulte, l'isolement des ceps, et la marche rayonnante des racines, sans être nullement entravées par leurs congénères des ceps voisins, tout cela ne vous semble-t-il pas, comme à moi, des conditions favorables pour lutter avantageusement contre l'ennemi terrible de la vigne qui sévil si cruellement chez nos confrères du Midi, et s'avance vers nous, il ne faut pas se le dissimuler, comme un fléau jusqu'alors irrésistible? Je veux parler du phylloxera. Et dans le cas de moyen thérapeutique à employer, le petit nombre de ceps par hectare n'en faciliterait-il pas l'application? Ces considérations sur le mode de culture qui nous occupe, ne devraient-elles pas attirer l'attention de la commission spéciale appelée à rechercher ce qui peut atténuer ce fléau ? Dans notre pensée, il y aurait là quelque chose à mettre en étude pratique.

Différentes objections ont été adressées relativement au système de culture et de taille de la vigne en chaintres. Ainsi, on s'est demandé si la taille longue est applicable à tous les cépages, et quelle est la distance la plus favorable entre les ceps? Il est démontré que tous les cépages ont une vigueur native et une aptitude de développement arborescent variable. D'autre part, le terrain sur lequel est plantée la vigne est plus ou moins favorable par sa nature même et sa fertilité à un très-grand développement. Enfin, le climat sous lequel est plantée la vigne est appelé à jouer aussi un rôle considérable sur la vigueur et le développement des sujets, partant, sur l'écartement possible de ceux-ci. Il suit de là qu'il serait téméraire de fixer à priori un espacement qui ne peut être indiqué théoriquement, puisqu'on est en présence de plusieurs inconnues.

Le cépage le plus généralement employé en Touraine et en Loir-et-Cher pour ce mode de culture est un raisin rouge connu sous le nom de Côt de Cahors, synonyme du Malbec du Bordelais. Il est acquis pratiquement que ce cépage, extrêmement vigoureux, peut être planté à 6 mètres entre les rangs et à 2 mètres dans le rang, soit 12,2 par cep ou 833 ceps par hectare. Mais, à notre avis, cette distance peut être augmentée encore dans un sol très-fertile.

Les vignes d'Évian, en Haute-Savoie, cultivées en crosses, dont il a été question précédemment, emploient les cépages de Gamay, de Savoyen, et dans quelques parties aussi le Côt. Ces vignes ainsi traitées sont très-variables dans leurs espacements, qui sont, en moyenne, de 5 à 8 mètres au carré, et arrivent quelquefois à 10 ou à 12 mètres au carré, soit 90 à 100 crosses par hectare. Mais il est bon d'ajouter que souvent une crosse est garnie de trois ceps rassemblés.

Quoi qu'il en soit de ces très-grands espacements, arrivant, pour l'un et pour l'autre système arborescent, à une production moyenne de 100 à 150 hectolitres de vin par hectare, la prudence commanderait à un novateur, dans un pays où l'expérience de ce système ne s'est pas encore prononcée, de planter les lignes de ceps plus serrées, alors même que dans l'avenir l'abondance de végétation mettrait ce novateur dans l'obligation de dédoubler les rangs et les ceps sur le rang.

Nos nouvelles plantations de 3 en 3 mètres entre les rangs, et de mètre en mètre sur le rang, semblent être à cet égard recommandables.

Pour ce qui est des considérations générales, on peut les résumer en quelques lignes: choisir une altitude favorable, qui diminue d'autant les chances de gelées printanières; faire en sorte de planter en ligne dans la direction du nord au midi; planter en terre bien meuble, en bouture verticale ou coudée, ou mieux encore en plant raciné, et cela en mars ou avril; tailler immédiatement le jeune plant, qu'il soit enraciné ou non, de façon à ce que le premier oil supérieur affleure le sol ou même soit légèrement recouvert; puis, pendant tout le cours de la végétation des deux premières années, soigner et traiter cette jeune vigne comme une plante sarclée qui doit être dégagée impérieusement de toutes plantes adventices. La vigne en bas âge a, en effet, pour mortelles ennemies, toutes les plantes adventices et annuelles qui l'entourent, dont les radicelles, à l'infini dans le sol, sont constamment en lutte avec les radicelles très-faibles et très-lentes à se développer de la jeune vigne, et incapables de se défendre, si elles n'y sont favorisées par des binages fréquents. Pendant les deux premières années, des récoltes intercalaires, dans l'intervalle des lignes espacées, peuvent être faites; les plantes sarclées (betteraves, choux cava

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