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entièrement la convocation de ces assemblées. Si le président Arias et le rédacteur des Instructions données à Marsin eussent avancé que le pouvoir de la couronne avait toujours été très étendu, prépondérant même, ils auraient pu fournir, au besoin, un grand nombre de preuves et de témoignages à l'appui de cette assertion; car les rois ont de tout temps exercé une très grande autorité en Espagne : mais c'est méconnaître entièrement la vérité historique que d'affirmer que cette autorité a été toujours absolue dans un pays célèbre par les Cortès, et fier de l'intervention qu'exerçaient les états dans les affaires de l'administration publique.

Que cette représentation politique ait été alors imparfaite, comparativement à celle des gouvernemens représentatifs de nos jours, c'est de quoi nous n'avons pas droit d'être surpris; car on ne doit pas perdre de vue que la science du droit public est moderne, et que ce n'est que depuis peu, et par des combinaisons fortuites, qu'on est parvenu à bien comprendre les garanties mutuelles à affermir et à conserver les rappropres ports entre les gouvernans et les gouvernés. L'équilibre des pouvoirs est une théorie tellement récente, selon Hume, dans son Histoire d'Angleterre, que ce ne fut que lors du procès de l'infortunée Marie Stuart, reine d'Écosse, que l'on entendit parler pour la première fois du

pouvoir monarchique, aristocratique et démocratique, comme de trois élémens dont la constitution anglaise était composée. « Il est ridicule, dit-il, dans sa vie écrite par lui-même, de regarder la constitution anglaise avant cette époque comme un plan ordonné de liberté. »

Après tout, il s'agit seulement de savoir, si, depuis le temps même des Goths jusqu'à Charles II, c'est-à-dire pendant la durée de douze siècles, les rois de Castille ont convoqué ou non les Cortès pour toutes les affaires graves et ordinaires du royaume; car le plus ou moins de perfection dans une forme de gouvernement n'en change point la nature : or, l'histoire est là qui répond d'une manière positive et favorable aux droits de ce peuple. »¶

CHAPITRE IV.

1701.

Naissance, jeunesse et caractère de la princesse des Ursins. Ses liaisons avec madame de Maintenon et avec la famille de Noailles. Elle est nommée camarera mayor de la jeune Reine d'Espagne. Extraits de sa correspondance.

Dès que le mariage de Philippe fut arrêté, Louis XIV, qui s'attendait à voir la future reine prendre de l'empire sur ce prince, doué d'un caractère aussi doux et d'une humeur aussi complaisante, songea à placer autour d'elle des personnes d'une fidélité à toute épreuve, et entièrement dévouées à ses intérêts. On nomma le comte de Santistevan del Puerto, grand-chambellan, pour le récompenser de l'attachement qu'il avait montré pour la France. On lui tenait compte du zèle avec lequel il avait travaillé pour la succession d'un prince de la famille de Bourbon. On l'estimait à cause de sa modération, sa prudence, son désintéressement, qualités qui le rendaient d'ailleurs peu propre à disputer l'autorité au cardinal ministre.

La grande difficulté était dans le choix de la camarera mayor, ou surintendante de la maison de la reine. Cette place donnait à la personne qui l'occupait un accès continuel et intime auprès de cette princesse, dont elle devait être une sorte d'institutrice, attendu son jeune âge; et l'on ne pouvait pas s'abuser sur l'influence que pouvait donner l'exercice de cette place, car on avait vu autrefois les camareras mayores gouverner en même temps la cour et la nation.

Pour bien remplir cet emploi difficile, il fallait réunir des qualités rares et en quelque sorte opposées. Une haute naissance était d'abord indispensable, attendu la dignité de ces fonctions: d'un autre côté, il n'était pas moins nécessaire, puisque la camarera devait gouverner la reine, qu'elle se laissât diriger elle-même par l'ambassadeur de France. On ne pouvait pas songer à choisir une Espagnole, parce que Portocarrero et Arias craignaient qu'elle ne cherchât à avancer sa famille et ses amis. D'ailleurs, le monarque français n'était que médiocrement sûr qu'une Espagnole fut toujours disposée à agir d'après ses intérêts. On ne pouvait pas non plus la prendre dans la cour de France; car, outre qu'il fallait une personne parlant la langue et connaissant les usages et l'étiquette d'Espagne, il était à craindre qu'étant d'un rang élevé, elle pût exciter la jalousie et la rivalilé nationale. D'au

tres objections encore plus graves, quoique d'une nature différente, s'élevaient contre l'idée de faire ce choix dans la cour de Turin. Par le plus singulier hasard, toutes les conditions désirées se trouvèrent dans la princesse des Ursins qui, dès ce moment, comme on va le voir, deviendra un des personnages les plus marquans dans l'histoire d'Espagne, et aussi l'un des plus influens pendant la guerre de la succession.

Anne Marie, de l'illustre famille de la Trémouille, était fille de Louis, duc de Noirmoutiers, nommé duc et pair de France pour les services militaires qu'il avait rendus pendant la minorité de Louis XIV. Elle épousa, étant encore très jeune (1), Adrien Blaise de Talleyrand, prince de Chalais. Son mari se trouvant compromis dans le fameux duel avec la famille de la Fret, dans lequel un des adversaires succomba, fut forcé de quitter la France. S'étant refugié en Espagne, il fut suivi par sa jeune femme qui eut l'occasion d'apprendre la langue espagnole et de

(1) On ne sait pas d'une manière précise l'âge de cette femme extraordinaire. En réfléchissant sur l'époque du mariage de son père, et en comparant les naissances de ses deux frères, en 1642 et 1652, ainsi que son propre mariage, nous serions disposés à croire qu'elle avait cinquantetrois ans quand elle fut nommée Camarera mayor. Duclos est évidemment dans l'erreur quand il affirme qu'elle mourut âgée de plus de quatre-vingts ans.

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