question que vient examiner M. de L'Estourbeillon. Beaucoup d'auteurs anciens, et en particulier Sulpice Sévère, constatent qu'après l'invasion romaine la Gaule, dans sa presque totalité, copia volontiers ses vainqueurs et s'efforça d'oublier peu à peu la vieille langue nationale, pour se poser favorablement dans l'esprit des conquérants; à cette règle, presque générale, une partie de la Bretagne, le pays des noms en ec, notre Basse-Bretagne a fait une éclatante exception. L'examen approfondi de nombreux cartulaires bretons a démontré à M. de l'Estourbeillon que, tandis qu'on rencontrait, après l'invasion romaine, les noms en euc, oc, ac, presque toujours traduits, les noms en ec, au contraire, demeuraient, malgré les efforts des latinistes du temps, toujours intraduisibles, et marquaient clairement l'obstination des habitants de ce pays à conserver la vieille langue nationale. Il y a plus, des passages entiers de chartes et de manuscrits jusqu'au IXe siècle conservent toutes les formes, tous les caractères de la langue celtique. Certains d'entre eux ne sont, à vrai dire, que du celtique travesti, et s'ils portent parfois dans certains de leurs mots les efforts visibles de latinisation de leurs auteurs, ils n'en prouvent que mieux combien les clercs d'alors savaient peu la langue des conquérants, ou combien ils s'ingéniaient, avec des apparences de latinité, à conserver au fond, autant que possible, la langue nationale, soit par crainte de n'être pas compris, soit à cause de l'inviolable attachement du peuple à son égard. Nous n'en voulons ici pour témoins, dit M. de l'Estourbeillon, que ces deux exemples, dont l'un a déjà tant étonné les savants qui ont étudié le cartulaire de Redon, et qui tous deux montrent l'attachement du peuple à la langue celtique. Sous la date du 3 février 821, l'on trouve dans celui-ci une délimitation de domaine écrite presque en entier dans la langue du pays: « Magnificæ feminæ sorori meæ nomine Roiantken..... ego, Catweten....., vendidi rem proprietatis meæ, id est, Ran Riautcar, IV modios de brace, sitam in plebe Rufiaco, finem habens a fin ran Melau don roch do fos Matwor cohiton fos do Imhoir; ultrà Imhoir per laudam do fos fin ran Dofion, do fin ran Haelmorin cohiton hi fosan, do rud fos cohiton rud fos per launam (sic) do fin ran Loudinoc pont Imhoir. » D'un autre côté, une charte de 1216, mentionnant certains bénéfices accordés par l'évêque de Quimper au chapitre, en Bannalec, Spezet, etc., s'exprime ainsi : Beneficia..... de Bannalec in Poërcarnoët de Ploherenet in Armorico, in Capeanall et de Spethut in procheaër.>>> Voilà la merveilleuse traduction qu'on arrivait à faire alors en ce pays; dans la région des noms en ac, chaque cartulaire, chaque titre porte presque toujours au moins jusqu'au ix siècle le cachet, l'empreinte de la langue celtique, et le garde constamment dans la région des noms en ec. Or il est remarquable que tandis que la limite de cette dernière correspond absolument à la limite du breton au xix siècle, celle des noms en aс concorde de tous points avec la limite du breton au IXe siècle. N'est-on pas dès lors en droit de conclure: 1° Que le pays des noms en ec, où l'on parle encore breton de nos jours, a toujours conservé sa langue nationale; 2o que le pays des noms en ac, resté moitié breton jusqu'au IX° siècle, n'avait pas su opposer à l'influence latine une résistance énergique, et finit par abandonner sa langue après les désastres des invasions normandes? Telle est l'opinion de M. del'Estourbeillon. Enfin, les différences si tranchées de mœurs et de caractères qui, de nos jours encore, existent entre les diverses populations de la Bretagne et correspondent si nettement à ces régions, viennent fournir une nouvelle source de preuves à M. le comte de l'Estourbeillon. II ressort de cet examen et de celui de la carte de Bretagne qu'au point de vue de la linguistique, l'Armorique peut, par suite, être divisée naturellement en trois zones, caractérisées par des suffixes distincts et habitées par des populations fort différentes de mœurs et de caractères. La première comprend le pays des noms en ec, demeuré constamment celtique, à l'ouest d'une ligne allant de Plouha (côté ouest de la baie de Saint-Brieuc) à l'embouchure de la Loire. La deuxième, embrassant le pays des noms en euc, oc, ac, ou demeuré breton jusqu'au Ix siècle et ayant subi plus ou moins l'influence latine, à l'ouest d'une ligne allant de Dol à Méans, près de Saint-Nazaire. La troisième, embrassant tout le pays des noms en é, ay, ais, ère, et des autres suffixes français, à l'est de la ligne déterminée ci-dessus. M. de l'Estourbeillon présente ensuite au Congrès une carte à l'appui de cette thèse et indiquant très nettement les délimitations que nous avons citées plus haut. Après quelques observations de MM. de Baillencourt et Le Floch sur cette communication et sur l'étymologie celtique de Vorganium, M. l'abbé Abgrall lit un intéressant travail relatif à la borne de Kernao, dans le Finistère, et donnée par quelques auteurs comme indiquant la situation de Vorganium. Cette borne, dit M. l'abbé Abgrall, transportée au musée de Quimper, porte l'étiquette: Borne de Kernav (Finistère), emplacement de Vorganium. Elle indique la distance de Vorganium à la précédente station: VIII M. P., c'est-à-dire 8,000 pas. Quelques doutes existent sur l'authenticité des deux dernières lignes, qui auraient bien pu être repiquées pour venir en aide à la thèse de M. Le Men, plaçant Vorganium à Castellaih, en Plouguerneau, sur le littoral. Entre Kernao et Castellaih, il y a 11 kilomètres en suivant la voie romaine. Ces 11 kilomètres ne semblent pas concorder avec les huit mille pas de la borne. Il est vrai que le pas romain n'est employé que jusqu'à Lyon pour la mesure des voies romaines, et que, au delà, sur tout le territoire de la Gaule, c'est le pied gaulois qui est maintenu en usage. Mais cette mesure ne nous donne pas encore 11 kilomètres. Si l'on place Vorganium à Kerilien, en Plounéventer, lieu où M. de Kerdanet indiquait l'emplacement d'Occinor, nous avons encore une moindre concordance entre le chiffre de la borne et la distance réelle, puisque cette distance est de 12 ou 13 kilomètres au moins. Il est certain que sur le plateau de Kerilien a existé un vaste établissement romain, et la Société scientifique de Morlaix s'y est livrée à des fouilles qui ont produit quelques résultats; mais on est encore loin d'avoir démontré que cet établissement est en réalité le vieil Occinor ou le vieux Vorganium. Enfin la parole est donnée à M. l'abbé Luco pour la lecture d'un mémoire inédit de M. Miln. Celui-ci nous fait assister, auprès du village de Coet-à-Toun, en Carnac, à l'exploration d'une seconde sépulture circulaire, semblable à celle de Mignol, déjà décrite ici. Le plan de ce nouveau monument et les dessins des objets qu'on y a trouvés se trouvent exposés sur les murs de la salle du Congrès. La séance est levée à dix heures et demie.pl 2a SÉANCE DU VENDREDI 1er JUILLET. PRÉSIDENCE DE M. LEDAIN. Siègent au bureau MM. le comte de Limur, Mazard, du musée de Saint-Germain-en-Laye, de Fontenilles, de Cahors, et Micault, de Saint-Brieuc. La parole est donnée à M. Léon Palustre pour entretenir le Congrès de la visite faite la veille au château de Sucinio. L'orateur fait remarquer la différence de date de construction des édifices qui subsistent; les établissements du XIIIe siècle n'ont pas disparu au xve siècle; la partie est a été reconstruite. Dans la tour située à droite du pont-levis se trouve la chapelle; les serviteurs du château entendaient la messe dans la grande salle et les seigneurs se tenaient dans un endroit où on a voulu à tort voir la sacristie; il convient de rappeler qu'à cette époque le prêtre s'habillait à l'autel. M. Palustre parle du château de Blain, dans la LoireInférieure, où la porte d'entrée de la baille est pratiquée dans une tour ronde. Cette particularité qui, suivant Viollet-le-Duc, caractérise l'architecture militaire mise en honneur par Olivier de Clisson, a une origine plus ancienne que ne l'indique le grand archi ১ |