Page images
PDF
EPUB

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

Y

SÉANCE D'OUVERTURE DU MARDI 28 JUIN

PRÉSIDENCE DE M. LÉON PALUSTRE, DIRECTEUR DE LA SOCIÉTÉ
FRANÇAISE D'ARCHÉOLOGIE.

Siègent au bureau: MM. Burgault, maire de Vannes; du Châtellier, correspondant de l'Institut; Fontès, président de la Société polymathique du Morbihan, et Hardouin, ancien conseiller à la cour d'appel de Douai.

Un grand nombre de personnes assistent à la séance; mais l'affluence eût été plus considérable, si la presse locale avait pu faire connaître plus tôt que la Société française d'Archéologie accordait, sans formalités, l'entrée libre pour toutes ses séances. Pour les excursions seulement une carte d'adhérent est indispensable.

A trois heures M. le président annonce l'ouverture du Congrès et prononce le discours suivant:

« Messieurs,

« L'an passé, à pareille époque, la Société française d'Archéologie pour la conservation des monuments historiques tenait son congrès dans la ville d'Arras, et, aujourd'hui, c'est à l'autre extrémité de la France, dans

1

une vieille cité bretonne, qu'elle a donné rendez-vous à tous ceux qui veulent bien s'associer à ses travaux. Ces déplacements font partie des conditions de son existence; deux fois de suite la même région ne nous voit jamais paraître et, autant que possible, un certain roulement est établi dans l'ordre de nos assises, qui se tiennent tantôt à l'est et tantôt à l'ouest, tantôt au nord et tantôt au midi. De la sorte, en quarante-huit années, nous avons, on le suppose bien, porté nos pas de tous côtés, et petit est le nombre des départements où nous n'avons pas encore tenu une séance ou fait une excursion. C'est ainsi que la ville de Vannes, si elle n'a pas eu son Congrès à proprement parler, nous a vus déjà dans ses murs en 1843, lors de la mémorable réunion provoquée par les fondateurs de l'Association bretonne. Mais l'ancienne capitale du plus puissant parmi les cinq grands peuples qui se partageaient jadis votre vaste péninsule, méritait mieux que quelques discussions passagères, et le moment devait venir où un appel serait fait à tous les hommes de science et de bonne volonté pour tâcher d'élucider certaines questions fort compliquées dont la solution réclame à la fois la perspicacité, la promptitude du coup d'œil que donnent, avec les voyages, l'habitude de la comparaison, et la connaissance approfondie des moindres éléments du problème que l'on ne peut, pour ainsi dire, acquérir que sur place.

<<< Point n'est besoin, en effet, Messieurs, de chercher ailleurs la raison d'être de ces grandes assises provoquées et vivifiées durant trente-sept ans par M. de Caumont. Mon illustre prédécesseur avait compris que la science dont il est demeuré jusqu'à son dernier jour le plus ardent apôtre, après en avoir été le fécond initiateur, ne pouvait vivre dans l'isolement, que la lumière naît souvent de rapprochements heureux et que rien, en définitive, ne saurait remplacer l'enseignement que procure la vue d'objets similaires dont l'usage se trouve naturellement expliqué en certains pays. Seulement, comme d'un côté on ne se déplace guère sans un motif qui vous entraîne, et que, de l'autre, la même personne ne peut être allée partout ni avoir tout examiné, l'idée est venue de créer une société générale qui, n'étant pas renfermée dans les limites d'un département ou d'une province, pourrait être ouverte indistinctement aux archéologues de la France entière, qui, n'ayant pas, en quelque sorte, de résidence fixe, se trouverait à même, suivant les nécessités, de se porter là où une question nouvelle se présenterait à étudier. Au lieu des séances mensuelles qui sont le lot des autres sociétés, elle ne se réunirait qu'une seule fois par an; mais à ces assises, désignées sous le nom de Congrès, elle inviterait en même temps que ses propres membres quiconque a des éclaircissements à produire ou simplement l'envie d'écouter.

<< Et la preuve que l'institution dont nous parlons répondait à un besoin, c'est que depuis un demi-siècle bientôt elle n'a cessé de prospérer. Ni la guerre, ni les révolutions ne l'ont empêchée une seule fois de fonctionner, et quant aux sociétés nombreuses qui couvrent aujourd'hui notre sol, - nous pourrions citer des parties de la France où il y en a une par arrondissement, loin de redouter notre immixtion dans les matières qui topographiquement semblent leur appartenir, elles sont les premières à nous adresser un chaleureux appel. Comment en serait-il autrement, d'ailleurs? toutes ne comptent pas comme la Société polymathique du Morbihan, cinquante-cinq années d'existence, et la plupart ayant été fondées à la suite de notre passage dans telle ou telle ville, les relations établies entre elles et nous n'ont jamais pu être qu'excellentes. Mais, même dans votre cas, qui ne comprend combien il est profitable d'échanger de temps en temps des idées, de se faire part mutuellement de ses recherches, d'assurer ainsi plus fortement sa marche vers la découverte de la vérité, qui est le seul but de tous nos efforts ?

<< Car, Messieurs, puisque l'occasion s'en présente, nous devons le proclamer bien haut, l'archéologue est le grand ouvrier de l'histoire, et, grâce à lui, ce qui n'était jadis qu'un thème à variations éloquentes est devenu une science exacte, cherchant, elle aussi, des faits nouveaux, positifs, pour en conclure des lois générales. Loin de réaliser le type imaginé par Walter Scott, de passer son temps à rassembler des tessons et des monnaies fausses, ce tard-venu, dont il ne fut pas question au collège, dont Aristote, ni Quintilien, ni Rollin n'ont parlé, et pour cause, on le voit expliquer les races mortes par le spectacle des races vivantes sur le même sol, dégager de la diversité des symboles, par l'action nécessaire des mêmes milieux sur les hommes, l'unité primitive des religions, des mythes, des coutumes d'un monde disparu. Il nous rend des ancêtres, reprend des siècles au néant et recule l'horizon des temps où notre inquiétude étouffe. Ce rôle assurément a bien son prix, et nous plaignons ceux qui ne le comprendraient pas. Il nécessite pour être exercé avec profit un grand sens critique, en même temps qu'un certain esprit de divination. En outre, l'archéologue, - et ce n'est pas la l'affaire d'un instant, doit connaître tout ce qui a été écrit avant lui relativement

aux anciennes religions, aux langues perdues; nous ne parlerons pas des idiomes modernes que très souvent il est obligé d'apprendre, s'il veut suivre les travaux parallèles aux siens dans les publications des savants étrangers.

<< N'est donc pas archéologue qui veut, bien que pour prendre ce titre on n'exige pas un diplôme. Mais cela viendra peut-être. En attendant, nous constatons avec bonheur que l'Université, longtemps rebelle à nos études, vient d'en reconnaître toute l'utilité. Cette même année, le conseil supérieur de l'instruction publique a décidé que désormais les candidats à la licence ès lettres seraient interrogés sur les institutions de Rome et d'Athènes. Et de fait, si on les ignore, on ne peut pas comprendre à fond les auteurs anciens et rendre leurs récits vivants pour les élèves. Un professeur qui ne connaît pas de quelle manière se faisaient les élections à Rome serait incapable d'intéresser ceux qui l'écoutent à certains discours de Cicéron et à certaines narrations de Tite-Live.

<< Mais comment les candidats dont nous venons de parler arriveraient-ils à remplir le programme qui leur est imposé, si, préalablement, ils ne se sont adonnés à l'étude de l'épigraphie? Les inscriptions seules conservent le secret du cursus honorum, c'est-à-dire de la série des magistratures inférieures qu'il fallait avoir parcourues dans un certain ordre, avec de certains intervalles, avant d'aspirer à la plus élevée. Cette sorte de hiérarchie des fonctions publiques, en effet, avait été dès l'origine réglée d'une manière rigoureuse par des lois appelées lois annales, qui sont aujourd'hui imparfaitement connues, parce qu'elles ont été souvent violées et que la fréquence de l'exception nous empêche

« PreviousContinue »