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A la fin du Ve siècle, la Haute-Auvergne était couverte de maisons de campagne et d'habitations fortifiées. Cette contrée offrait, dit Sidoine Apollinaire (1), une agréable perspective de bois, de pâturages et de champs cultivés ; les coteaux, la plupart plantés en vignes, avaient leur cime pierreuse couronnée de manoirs ou de châteaux (2).

Quoique les châteaux occupés au Ve et au VIe siècle eussent une origine plus ancienne, quelques-uns pourtant furent construits de fond en comble à cette époque, et tous à l'imitation de ceux qui avaient été élevés sous la domination romaine; il n'appartenait point aux Barbares, qui avaient envahi les provinces de l'Empire, de perfectionner rien de ce qu'avait produit le génie des Romains; ils ne purent qu'imiter les modèles laissés par ces derniers.

Fortunat, évêque de Poitiers, a donné dans ses poésies la description d'un château bâti sur les bords de la Moselle, par Nicet, évêque de Trèves. C'était une forteresse considérable, assise sur une éminence escarpée, baignée par les eaux du fleuve et défendue, d'un autre côté, par un ruisseau; les murs, garnis de trente tours, enceignaient une assez vaste étendue de terrain, dont une partie était cultivée. L'habitation ou le château (aula), placée au sommet le plus escarpé du coteau, était très-considérable, si l'on en juge par les expressions du poète, et magnifiquement décorée; de là, la vue plongeait sur les eaux de la Moselle, et s'étendait sur de riches coteaux couverts de vignes, ou chargés de moissons; du côté opposé où le terrain en pente permettait l'accès du château, une tour armée de balistes et dans laquelle se trouvait un oratoire ou chapelle, défendait le passage.

Un moulin à eau faisait partie du palais fortifié.

La reine Brunehaut, qui fonda au VIe siècle une multitude d'églises et de monastères, fit aussi réparer ou construire plusieurs châteaux.

patulum non haberet, incisâ Arcadius serâ unius portæ, eum civitati intromisit. (Gregorii, episc. Turon,, Historia Francorum, lib. III, cap. x; apud Bouquet, t. II, p. 191.)

(1) Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, naquit à Lyon, vers l'an 430, d'une famille illustre des Gaules, où son père et son grand-père avaient été préfets du Prétoire: il mourut le 21 août 489.

(2) Viatoribus molle, fructuosum aratoribus, venatoribus voluptuosum : quod montium cingunt dorsa pascuis, latera vinetis, terrena villis, saxosa castellis, opaca lustris, aperta culturis, concava fontibus, abrupta fluminibus, quod denique hujus modi est, ut semel visum advenis, multis patriæ oblivionem sæpè persuadeat. Apollinarii Sidonnii Epistolarum, lib. IV, epist 22.

Cette femme célèbre paraît, dans tous ses ouvrages, s'être proposé de faire revivre les arts des Romains, et en cela, elle fut imitée par les rois qui lui succédèrent.

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Non-seulement les rois mérovingiens faisaient réparer les forteresses des Romains, mais ils bâtissaient ou réparaient des cirques pour y donner des spectacles (1), et l'on ne peut douter que les ouvrages militaires n'aient été construits et disposés suivant le système usité précédemment.

Mais tous ces travaux, dont malheureusement les historiens ne nous ont point transmis de description, et dont il ne reste plus qu'un souvenir confus, ne peuvent être comparés à ceux que Justinien fit exécuter au VIe siècle dans l'Empire d'Orient. Comme il est possible que ces importantes constructions aient plus tard influé sur les progrès de l'architecture militaire en Orient, lorsque de nombreux châteaux s'élevèrent du Xe au XIIIe siècle, sous la direction de barons, d'évêques et d'architectes qui avaient visité l'Orient, il est bon, je crois, de nous arrêter un peu sur les ouvrages de Justinien.

Procope mentionne plus de 700 forteresses réparées ou construites en entier par lui dans les diverses parties de l'Empire, et dans ce nombre se trouvaient beaucoup de villes considérables.

Il serait difficile de déterminer en quoi consistèrent les améliorations ou innovations introduites, sous Justinien, dans la fortification des places. Toutefois, on voit cet empereur exhausser presque partout les murs, les garnir de tours et de créneaux, y faire creuser des puits (2), des réservoirs et des citernes, afin que les garnisons ne pussent manquer d'eau.

Dans le grand nombre de forteresses reconstruites ou bâties en entier par Justinien, on en voit beaucoup de placées sur des montagnes escarpées ou bordées de précipices. Ainsi, à Théodosiopole, fondée par Théodose, l'empereur fit pratiquer des fossés très-profonds, semblables aux ravins que la chute d'un torrent peut creuser entre deux montagnes; ensuite il fit couper des rochers, tailler des précipices et des

(1) Apud Suessiones atque Parisios Chilpericus circos ædificare præcepit, in eis populo spectaculum præbiturus. Greg. Tur,, lib. V, cap. xxvш; apud Bouquet, t. II, p. 243.

(2) Le fort de Baras, qui était situé sur une montagne extrêmement élevée, manquait d'eau ; Justinien fit creuser dans cette place un puits qui traversait l'éminence jusqu'à la racine.

abîmes (1), afin que la muraille fût d'une hauteur extraordinaire, et tout-à-fait imprenable.

Il établit un chemin couvert à l'intérieur des murailles, et chaque tour reçut des augmentations qui en firent une petite forteresse.

Des galeries 'voûtées furent pratiquées dans l'épaisseur des murs de plusieurs autres places. J'ignore si ce fut une invention de cette époque, et le laconisme de Procope ne permet pas de le décider.

Dans plusieurs places fortes, Justinien fit rétrécir les ouvertures par lesquelles on lançait des flèches sur l'ennemi ; il fit aussi boucher les portes communiquant des tours aux courtines, et n'en conserva pour chaque tour qu'une seule, ouverte dans la place, afin, dit Procope, que les tours fussent plus faciles à défendre, et d'augmenter ainsi la confiance des soldats chargés de les garder.

Les fortifications commencées par Anastase, et continuées par Justinien, à Dara, ville située à 14 milles de Nisibis, peuvent donner une idée de l'architecture militaire de l'époque.

La place était environnée de deux murs, et cinquante pas d'intervalle, laissés entre l'un et l'autre, offraient une retraite au bétail des assiégés. On admirait la force et la beauté du mur intérieur ; ce mur s'élevait à 60 pieds, et les tours en avaient 100 de hauteur. Les ouvertures ou meurtrières, par où la garnison lançait des traits sur l'ennemi, étaient étroites, mais nombreuses; les soldats se trouvaient postés le long du rempart, sous le couvert d'une double galerie, et l'on voyait au sommet des tours une plate-forme garnie de créneaux. D'un côté, les murs étaient assis sur une roche fort dure et fort élevée ; l'accès de la place était plus facile vers le sud-est; mais on avait établi de ce côté un ouvrage en forme de demi-lune, entouré d'un fossé profond toujours rempli d'eau (2).

Procope cite le château d'Episcopia, comme ayant été construit d'après un nouveau système, mais il n'indique que la forme de la forteresse et la position des portes : « Le bâtiment s'avance, dit-il,

hors

<< de l'enceinte de la muraille, et étant fort étroit au commencement, « il devient fort large et est revêtu, aux deux bouts, de deux tours qui << empêchent les ennemis d'approcher des murailles. Les portes ne sont « pas comme ailleurs au milieu des courtines, mais à côté, dans des

(1) Procope, Des édifices de Justinien, liv. III.

(2) V. Gibbon, Sur la décadence de l'Empire romain, t. VII;-Procope, Des édifices bátis par Justinien, liv. IV.

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enfoncements qui les dérobent à la vue des ennemis; ce fut Théodore

« Silentiaire, homme d'un grand talent, qui fut employé à l'ouvrage (1). D

Ce que je disais de l'état des forteresses de notre pays au Ve et au VIe siècle peut s'appliquer au VIIIe et même au IX®.

Charlemagne adopta l'ancienne méthode romaine pour tout ce qui avait rapport à l'art de la guerre, et rien ne prouve qu'il ait introduit aucune innovation pour la fortification des places. Il fit garder les côtes et fortifier l'embouchure des fleuves les plus exposés aux pirates normands; mais il y a lieu de supposer que ces ouvrages, établis pour satisfaire le besoin où l'on était de se défendre contre un danger momentané, n'étaient que des redoutes en terre garnies de palissades, ou de petits forts entourés de fossés.

Charlemagne fit aussi réparer les murs de plusieurs villes; il fonda même quelques châteaux, tels que celui de Fronzac, sur les bords de la Dordogne. Cependant les chroniqueurs parlent à peine de ces travaux, tandis qu'ils s'accordent à vanter les édifices religieux et les constructions civiles dont il orna plusieurs villes de son empire.

On remarquait encore, du temps de Charlemagne, une organisation ressemblant à celle qui avait existé sous l'Empire romain pour la garde des frontières des comtes étaient chargés de la défense d'une certaine étendue de pays, comme au temps où fut rédigée la Notice des dignités de l'Empire. Ainsi, le comte des limites du pays nantais figurait à la bataille de Fontenai en 841, et le fameux Rolland, qui périt à Roncevaux, est qualifié par Eginhard de comte des limites bretonnes, comes britannici limitis (2).

(1) Procope, Des édifices de Justinien, liv. IV.

(2) Le duc Angilbert avait reçu de Charlemagne la mission de défendre les côtes nord-ouest de la France. Nithard, qui lui succéda, défendit contre les Normands les côtes comprises entre la Seine et l'Escaut.

Sous les rois mérovingiens, plusieurs des peuples barbares qui avaient reçu des terres sur les frontieres de l'Empire romain, avaient conservé une organisation militaire. Les Saxons du Bessin, par exemple, sont mentionnés parmi les troupes qui marchaient, en 578, contre les Bretons, par ordre de Chilpéric. Douze ans après, vers 590, la reine Frédégonde envoya aussi les Saxons du Bessin, Saxones bajocassini, au secours de Guérech, roi de Bretagne. V. Greg. Turon, Hist. Francor., lib. V, cap. xxvII; apud Bouquet, t. II, Hist. de Bretagne, par Dom Morice, t. Ier.

Il est possible que les Saxons du Bessin, qui avaient conservé leurs mœurs et

Or, ces officiers firent nécessairement construire des forteresses, et tout porte à croire qu'elles différaient peu de celles qui se multiplièrent plus tard. Mais, en voyant avec quelle facilité des troupes peu nombreuses de Normands parcouraient et ravageaient les provinces de France au IXe siècle, on demeure convaincu que les châteaux étaient encore rares sur les frontières, et qu'à l'intérieur des terres il n'y avait que des villes et un petit nombre de bourgades qui pussent opposer une sérieuse résistance.

D'un autre côté, les fortifications furent négligées et quelquefois détruites dans les localités où l'on n'avait rien à redouter. Nous savons, par exemple, que Charlemagne et ses successeurs permirent quelquefois aux évêques de démolir les murs militaires, et d'en tirer des matériaux pour bâtir leurs églises ou leurs cathédrales.

Cependant le besoin de maisons fortifiées se fit sentir de tous côtés, dans le cours du IXe siècle; quelques-uns entourèrent leurs habitations de palissades ces forteresses, trop peu nombreuses et probablement mal défendues, furent prises par les Normands; on fut même parfois obligé de les détruire, de peur qu'elles ne devinssent des retraites pour les brigands qui désolaient alors la France.

Un tel état de choses ne pouvait toujours durer: des châteaux plus formidables et des lieux de refuge furent établis sur plusieurs points du royaume. Dans la seconde moitié du IXe siècle, Hérivée, évêque de Reims, en fit bâtir un au village de Coucy et un autre à Epernay-surMarne (1). Nous voyons, dans les annales de Metz, qu'en 892 les Normands prirent un château neuf, près des Ardennes, dans lequel s'était réfugiée une innombrable multitude de peuple (2). Je pourrais citer bien d'autres preuves à l'appui de ce que je viens d'avancer.

Le temps approchait où les fortifications privées devaient se multiplier partout le royaume, donner une nouvelle indépendance à la noblesse, retremper son caractère, et rendre à la nation française les vertus militaires qu'elle perdait sous le gouvernement des prélats et des hommes

leurs coutumes militaires, aient été chargés de défendre le rivage contre les bandes nouvelles qui auraient voulu y prendre terre, et qu'ils aient ainsi remplacé cette cohorte dont parle la notice, et qui tenait garnison sur les côtes du Calvados:

TRIBUNUS COHORTIS PRIME NOVE ARMORICE GRANNONA IN LITTORE SAXONICO. (1) Frodoard, Hist de l'église de Reims.

(2) Ann, de Metz. Collection de M. Guizot, t. IV.

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