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Séance du 27 février 1885.

Présidence de M. P. ROUGIER, secrétaire général.

SOMMAIRE

Admission de nouveaux membres.

Question à l'ordre du jour Les Sociétés de crédit foncier, rapport par M. Emile Montagnon.

Discussion Observations de MM. Rougier, Letourneur, Montagnon.

:

La séance est ouverte à huit heures vingt, sous la présidence de M. Rougier (P.), secrétaire général, en remplacement de M. Flotard, président, qui ne peut assister à la réunion, et en l'absence des vice-présidents.

Il est donné lecture des admissions suivantes :

M. CHAVANIS (Amédée), propriétaire, rue Vaubecour, 30, présenté par MM. Cottin (J.-R.) et Belmont (R.).

M. CHAVANIS (Paul), rue Vaubecour, 30, présenté par MM. Cottin (J.-R.) et Belmont (R.).

L'ordre du jour appelle l'audition d'un rapport de M. Emile Montagnon, docteur en droit, sur les Sociétés de crédit foncier.

M. MONTAGNON s'exprime en ces termes :

MESSIEURS,

Dans la Revue des Deux-Mondes, du 1er février 1884, M. Eugène Risler, parlant de la crise agricole, énumėrait les diverses réformes par lesquelles on arriverait à remédier à l'état de crise actuel et, dans une certaine mesure, à en prévenir le retour.

Cette liste est longue, je n'en veux signaler que les points principaux :

En premier lieu, dit M. Risler, le personnel agricole fait défaut; il faut chercher à retenir chez elles les populations rurales.

Dans la dernière séance de notre Société, M. Mangini, traitant avec une haute compétence la question du travail des femmes, indiquait un moyen pratique d'y

arriver.

Chaque année, un grand nombre de jeunes gens désertent les campagnes pour se disputer dans les villes mille petits emplois qui les font vivre à peine; en restant chez eux, ils soigneraient mieux leurs véritables intérêts, et la prospérité de l'agriculture serait accrue d'autant. Beaucoup des places occupées par ces jeunes garçons devraient être tenues par des femmes. Les occupations des bureaux, des petites caisses, du service de la vente en détail dans les magasins ne sont pas faites pour les hommes; leur force et leur activité leur assignent d'autres travaux, et en première ligne les travaux des champs.

En second lieu, M. Risler propose toute une série de réformes touchant la législation civile: « Il faudrait

que la durée des baux fût plus longue, et ne fût pas réduite à neuf ans pour les propriétés des mineurs et des femmes mariées. Il faudrait que les contrats ne fussent pas copiés par les notaires sur des modèles qui datent du commencement du siècle, et qui contiennent des restrictions contraires à tous les progrès et même à toutes les nécessités de la culture moderne. » L'auteur pense que, pour les contrées où la propriété est morcelée et enchevêtrée à l'extrême, comme dans le Nord-Est de la France, ce qui leur importe le plus, c'est la diminution des droits de mutation et, si possible, une loi spėciale pour faciliter l'échange et la réunion des parcelles. Dans l'intérêt du Midi de la France, il faudrait effectuer la réforme de la législation sur les eaux, qui sacrifie les besoins de l'agriculture à ceux de la navigation, et qui n'a plus de raison d'être depuis que la vapeur peut se charger des transports, tandis que, pour la végétation, rien ne peut remplacer l'eau.

M. Risler, passant à un autre ordre d'idées, fait remarquer que « partout il faudrait des capitaux, mais on ne prête, dit-on, qu'aux riches, et l'agriculture est bien pauvre aujourd'hui.

>>

C'est de ce besoin de crédit que j'aurai l'honneur de vous entretenir dans un moment.

Enfin, en terminant son étude, M. Risler formule ce dernier vœu « Partout il faut l'instruction agricole. »>

Voilà, Messieurs, un vaste programme qui pourrait être proposé à l'ouverture d'une des années d'étude de la Société d'Economie politique, et les rapporteurs, pour effleurer les questions (je ne dis pas pour les épuiser), n'auraient pas à chômer. Et vous remarquerez que, dans ses indications, l'auteur de l'article que je

vous citais ne fait allusion qu'aux moyens rationnels et scientifiques acceptés par tous les économistes, sans distinction d'école, pour guérir le malaise de l'agriculture. Que serait-ce s'il s'était préoccupé des chefs de réclamations de ces écoles économiques, qui veulent traiter toujours notre industrie et notre agriculture, quand elles éprouvent quelque malaise, par des moyens empiriques capables de calmer un instant le feu de la douleur, mais non pas de supprimer le mal?

De ces prétentions, des voix autorisées ont fait justice; nous avons eu, il y a quelques semaines, le plaisir de relire les rapports si concluants présentés, par MM. Aynard et Morand, dans les brillantes séances qui ont ouvert l'année 1885. On peut dire que la question de la protection à donner aux agriculteurs y a été élucidée et tranchée d'une façon définitive. (Applaudissements.)

Permettez-moi, Messieurs, avant d'aborder la question que je me propose de traiter ici, d'en poser nettement les termes. Je ne prétends pas prendre pour moi la question du crédit tout entière. Elle est immense. Nous devons nous restreindre à l'étude d'une des formes du crédit.

Qu'est-ce que le crédit?

Le crédit, c'est le prêt, c'est l'avance d'argent.

Le mot crédit par lui-même signifie confiance, mais la confiance n'est guère accordée à l'emprunteur que sur de bonnes et solides garanties qui assurent au créancier le remboursement du prêt. Tantôt c'est un gage mobilier; tantôt une hypothèque. Aussi, quand on parle du crédit pur, de la confiance accordée, le dic

ton populaire est rigoureusement vrai Crédit est mort!

Passons aux vivants, c'est-à-dire au crédit réel.

Les agriculteurs ont deux instruments de crédit : leur mobilier et leur terre.

Le premier peut être employé indistinctement par tous, propriétaires et fermiers, parce qu'il consiste en objets mobiliers que de simples fermiers ont d'ordinaire en propriété instruments de travail, bétail, récoltes... A cet instrument de crédit correspond le crédit agricole qu'il ne faut pas confondre avec le crédit foncier.

Le crédit foncier n'est ouvert qu'au propriétaire du sol. La garantie repose en effet dans la terre même, et il faut en être maitre pour l'engager ainsi.

Chacune de ces deux espèces de crédit correspond à des besoins différents.

Le Crédit agricole répond à des embarras pécuniaires passagers, dont on espère sortir en contractant un emprunt qui ne sera ni considérable, ni de longue durée.

Le second instrument de crédit répond au besoin d'un crédit plus long et plus important. En effet, la sûreté qui résulte de l'hypothèque est solide et répond aux exigences d'un long crédit; de plus, la valeur du domaine est, en général, assez élevée et se prête à la garantie d'un emprunt d'une certaine importance.

C'est au crédit foncier seul que je veux consacrer cette conférence et, le sujet étant encore trop étendu, j'y vais apporter une nouvelle restriction le crédit foncier s'effectue de deux manières : tantôt ce sont des particuliers qui font les avances d'argent, c'est le

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