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attaqués, recherchés et molestés, nous prendrons leur défense contre qui que ce soit.... » (ANQUETIL, tom. VII, 45.) Qu'on lise tout ce qui est écrit dans ce formulaire, et l'on se convainera qu'il ne renferme pas un mot qui laisse voir aux catholiques qui l'ont adopté l'intention de se porter comme agresseurs; aussi se répandit-il bientôt dans tout le royaume; et il en résulta que la France, Paris surtout, aurait constamment repoussé Henri de Navarre plutôt que de voir à la tète de la nation la plus catholique du monde un prince professant le calvinisme. C'est aussi pour cela que la catholique Bretagne a souffert mille maux sous la conduite du duc de Mercœur, plutôt que de se soumettre au roi, que faussement on lui présentait comme tenant au schisme, que réellement il avait sincèrement abjuré.

Que si l'on nous objecte que la ligue amena la Saint-Barthélemy, nous dirons, après avoir condamné cet acte criminel et inexcusable, nous dirons qu'il n'est pas sûr qu'il ait été l'effet d'une combinaison mûre, réfléchie, de personnes qui ont voulu et prévu tout le mal qui se fit; puis nous ajouterons que peut-être les catholiques savaient-ils qu'il s'agissait pour eux de faire tomber sur les huguenots des coups destinés aux catholiques eux-mêmes par leurs ennemis, et qu'ensuite le nombre des victimes toujours beaucoup trop grand le fut beaucoup moins que ne l'ont allirmé des écrivains passionnés qui out toujours grossi les fautes des catholiques.

Il n'est pas inutile de rapporter ici le jugement que porte sur cette ligue des catholiques l'abbé Fauchet (44). « Ce n'est pas une question, dit-il, c'est un fait. Les Gaulois n'avaient point d'autre religion à l'époque de la conquête, les Francs l'adoptèrent. Les deux nations divisées d'abord par les traces sanglantes de la victoire, confondues ensuite par les bienfaits de la nature et du temps, et plus redevables qu'on ne le pense de cette coalition aux liens de l'amitié que la religion catholique tend toujours à resserrer davantage par l'essence même des vrais principes qui y sont constamment attachés. Dans toutes ces assemblées générales si fréquentes sous ces deux premières dynasties, la catholicité était la loi première et la plus inviolable. Sous la troisième race, malgré les lois odieuses du régime féodal, cette grande race restait entière. C'est l'unique loi depuis le commencement de la monarchie qui n'ait jamais éprouvé de variété dans sa sanction publique. Ou a dérogé plusieurs fois à ce qu'on a appelé la loi salique, dans son objet le plus important, jamais à la loi de la catholicité. »

Nous n'hésitons point à dire que, depuis dejà plusieurs années, nos érudits raisonnables rendent à la ligue des catholiques une justice qu'on lui a trop longtemps refusée.

Pour finir les troubles qui depuis la seconde moitié du XVIe siècle ensanglantaient la France, Louis XIV, assuré qu'ils venaient des priviléges toujours croissants accordés aux huguenots qui en devenaient chaque jour plus arrogants, plus audacieux, Louis XIV révoqua solennellement l'édit donné par son aïeul Henri IV aux ennemis de la religion. L'acte de révocation est de 1685. Par ce coup d'autorité jugé bien différemment par ceux qui s'en sont occupés, le roi croit porter un coup définitif à l'ennemi intérieur. Il ordenne que les temples des calvinistes soient abattus et que la religion catholique soit pratiquée dans tout le royaume.

Pour établir le lecteur juge en cette affaire, nous allons citer un long fragment d'un mémoire, mémoire écrit de la main de Louis, Dauphin de France, père de Louis XV, le vertueux et sage élève de Fénelon, qui a passé à ses descendants; nous le citons parce que ce prince parle comme un homme qui écrit sur les pièces qu'il avait entre les mains. « Je ne m'arrêterai point à considérer les maux que l'hérésie a faits en Allemagne, dans les royaumes d'Angleterre, d'Irlande et d'Ecosse, dans les provinces-unies et ailleurs; c'est du royaume seul qu'il est question. Je ne rappellerai pas même cette chaîne de désordres consignés dans tant de monuments authentiques, ces assemblées secrètes, ces serments d'associations, ces ligues avec l'étranger, ces refus de payer les tailles, ces pillages des deniers publics; ces menées séditieuses, ces menées ouvertes, ces guerres opiniâtres, ces sacs de villes, ces incendies, ces massacres réfléchis, ces attentats contre ses rois, ces sacriléges multipliés, inouïs jusqu'alors; il me suffit de dire que, depuis François I" jusqu'à nos jours, c'est-à-dire sous sept règnes différents, tous ces maux et d'autres encore ont désolé ce royaume avec une fureur plus ou moins grande. Voilà, dis-je, un fait historique que l'on peut charger de divers incidents, mais que l'on ne peut contester substantiellement et révoquer en doute, et c'est ce point capital qu'il faut toujours envisager en cette affaire. Or, en partant du fait notoire, il m'est peu important de savoir si tous les torts at

(44) L'abbé Fauchet, né à Dorne, dans le Nivernais, le 22 septembre 1744, entra dans la communauté nes prêtres de Saint-Roch, à Paris: il fut interdit par son archevêque, ce qui ne l'empêcha pas de devenir prédicateur ordinaire du roi, vicaire général et chanine de Bourges, et il donna dans les idées et mème les excès révolutionnaires. On le vit, le 14 juillet 1789), s'avancer trois fois à la tête des assaillants, donnant des ordres et faisant des discours. Il devint évèque du Calvados. Le vendredi-saint, on le vit déposer sur le bureau de la Convention sa calotte, sa croix pectorale, et il entraina plusieurs de ses confrères qui sanctionuèrent ainsi le décret qui supprimait les litres ecclésiastiques. Les excès de la révolution le ramenèrent à de meilleurs sentiments. Il combattit Marat et Robespierre et défendit Louis XVI. Il vola toujours pour le part du bien. Il fut condamne a mort, fut guillotiné le 31 novembre 1793, après avoir, sur les avis du pieux M. Emery, confessé ses péchés et obtenu la grâce de la réconciliation. (FELLER, V. Fauchet.)

tribués aux huguenots furent uniquement de leur côté. Il est hors de doute que es catholiques auront aussi les leurs, et je leur en connais plus d'an, dans l'excès de leurs représailles. Il ne s'agit pas même de voir si le conseil des rois a toujours bien vu et sagement opéré dans ces jours de confusion; si la sanglante expédition de Charles IX, par exemple, fut un acte de justice devenu nécessaire à la sûreté de sa personne et à celle de l'Etat, comme le soutiennent quelques-uns, ou l'effet d'une politique ombrageuse et une indigne vengeance, comme d'autres le prétendent, que l'hérésie ait été la cause directe ou seulement l'occasion habituelle et toujours renaissante de ces différents désordres; toujours est-il vrai de dire qu'ils n'auraient jamais eu lieu sans l'hérésie, pour faire comprendre combien il importait à la sûreté de l'Etat qu'elle fût éteinte pour toujours. Cependant on fait grand bruit, on crie à la tyrannie et l'on demande si les rois out droit de commander aux consciences et d'employer la force pour le fait de la religion. Comme c'est de la part des huguenots que viennent ces clameurs, on pourrait les renvoyer aux chefs de la réforme. Luther pose pour principe qu'il faut exterminer et jeter à la mer ceux qui ne sont pas de son avis, à commencer par le Pape et les souverains qui le protégent, et Calvin pense à cet égard comme Luther. Mais sans donner au prince des droits qui ne lui sont pas dus, nous lui laissons ceux qu'on ne saurait lui contester; et nous disons qu'il peut, qu'il doit même, comme père de son peuple, s'opposer à ce qu'on le corrompre par l'erreur; qu'il peut, qu'il doit même prêter son épée à la religion, non pas pour la propager, ce ne fut jamais l'esprit du christianisme; mais pour châtier et pour réprimander ceux qui entreprennent de la détruire. Nous disons enfin que, s'il n'a pas le droit de commander à la conscience, il a celui de pourvoir à la sûreté des Etats et d'enchaîner le fanatisme qui y jette le désordre et la confusion. Que les huguenots comparent, s'ils le veulent, la conduite modérée que l'on a tenue à leur égard, à la cruauté des premiers persécuteurs de la religion, j'admets la comparaison, tout injuste qu'elle est, et je dis que les césars eussent été fondés à proscrire le christianisme, s'il eût porté ceux qui le professaient à jeter le trouble dans l'empire. Mais ies chrétiens payaient fidèlement leurs charges à l'Etat et servaient fidèlement dans les armées; on les tenait éloignés des charges publiques, on les emprisonnait, on mettait à mort des légions entières; ils ne résistaient point, ils n'appelaient point les ennemis de l'Etat, ils ne croyaient point qu'il fallait égorger les empereurs et les jeter à la mer. Cependant ils avaient pour eux la justice et la vérité. Leur invincible patience annonçait la bonté de leur cause, comme les révoltes et l'esprit sanguinaire des huguenots annoncent l'injustice de la leur. Il est vrai qu'ils ont exercé moins de désordres éclatants sous ce règne que sous les précédents; mais c'est moins la volonté de remuerqui leur manquait que la puissance. Encore se sont-ils montrés coupables d'une infinité d'infractions aux ordonnances dont quelques-unes ont été dissimulées et les autres punies par la suppression de quelques priviléges. Malgré leurs protestations magnifiques de tidélité, et leur soumission, la plus parfaite en apparence à l'autorité, le même esprit factieux et inquiet se manifestait toujours et se trahissait quelquefois. Dans le temps que faisait des offres de service au roi et les réalisait même, on apprenait par des avis certains qu'ils remuaient sourdement dans les provinces éloignées, et qu'ils entretenaient des intelligences secrètes avec les ennemis du dehors. Nous avons en main les actes authentiques des synodes clandestins dans lesquels ils arrêtaient de se remettre entre les mains de Cromwel, dans le temps où on pensait le moins à les inquiéter, et les preuves de leurs liaisons criminelles avec le prince d'Orange subsistent également. L'animosité entre les catholiques et les huguenots était toujours la même. Les plus sages règlements ne pouvaient pacifier et allier ces deux partis, dont l'un avait toujours quelque motif pour sus pecter la bonne foi de l'autre. On n'entendait parler dans le conseil que de démêlés particuliers. Les catholiques ne voulaient point admettre les huguenots aux assemblées de paroisses; ceux-ci ne voulaient point participer aux charges de la fabrique et de la communauté; on se disputait les fondations de charité et les cimetières, on s'aigrissait, on s'insultait réciproquement. Les huguenots qui n'avaient pas de temple affectaient dans le désœuvrement des jours de fête de troubler l'office divin par des altroupements autour des églises et par des chants profanes. Les catholiques indignés sortaient quelquefois du lieu saint pour donner la chasse à ces perturbateurs, et quand les huguenots faisaient leurs prêches, ils ne manquaient guère d'user de représailles.... Quoique le roi sût assez que les huguenots n'avaient pour titres primordiaux de leurs priviléges que l'injustice et la violence, quoique les nouvelles contraventions aux ordonnances lui parussent une raison suffisante pour les priver de leur existence légale qu'ils avaient envahie en France les armes à la main, Sa Majesté voulut encore consulter avant de prendre un parti; elle eut des conférences à ce sujet avec les personnes les plus instruites et les mieux intentionnées du royaume; et dans un conseil de conscience où furent admis deux théologiens et deux jurisconsultes, il fut décidé deux choses: premièrement, que le roi pouvait révoquer l'édit de Nantes dont les huguenots se servaient comme d'un bouclier sacré; la seconde, que, si Sa Majesté le pouvait, elle le devait à la religion et au bien de ses peuples. Le roi, de plus en plus confirmé par cette répouse, laissa mûrir son projet pendant près d'un an encore, employant ce temps à concerter les moyens les plus doux pour son exécution. Lorsque Sa Majesté proposa dans le conseil de prendre une résolution dans cette affaire Monseigneur, d'après un mémoire anonyme qui lui avait été ad veille,

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représenta qu il y avait apparence que les huguenots s'attendaient à ce qui se préparait; qu'il y aurait peut-être à craindre qu'ils prissent les armes, comptant sur la protection des princes de leur religion, et que, supposant qu'ils n'osassent le faire, un grand nombre sortirait du royaume, ce qui nuirait au commerce, à l'agriculture, et même affaiblirait J'Etat. Le roi répondit qu'il avait tout prévu depuis longtemps et pourvu à tout, que rien au monde ne lui serait plus douloureux que de répandre une goutte du sang de ses sujets; mais qu'il avait des armées et de bons généraux qu'il emploierait dans la nécessité contre les rebelles qui voudraient eux-mêmes leur perte. Quant à la raison d'intérêt, il la jugea peu digne de considération, comparée à une opération qui rendrait à la religion. sa splendeur, à l'Etat sa tranquillité, à l'autorité tous ses droits.

« Il fut conclu, d'un sentiment unanime, pour la suppression de l'édit de Nantes. Le roi, qui voulait toujours traiter en pasteur et en père ses sujets les moins affectionnés, ne négligeait aucun des moyens qui pouvaient les gagner en les instruisant. On accorda des pensions, on distribua des aumônes, on établit des missions, on répandit partout des livres qui contenaient des instructions pour les simples, les ignorants et les savants. Le succès répondit à la sagesse des moyens; et, quoiqu'il semble d'après les déclamations emportées de quelques huguenots, ministres, que le roi ait armé la moitié de ses sujets pour égorger l'autre, la vérité est que tout se passa au gré de Sa Majesté, sans effusion de sang et sans désordre. Partout les temples furent démolis et purifiés; le plus grand nombre fit abjuration, les autres sy préparèrent en assistant aux prières et aux instructions de l'Eglise. Tous envoyèrent leurs enfants aux écoles catholiques. Les plus séditieux étourdis par ce coup d'autorité, et voyant bien qu'on était en force pour les châtier s'ils tentaient la rébellion, se montraient les plus traitables. Ceux des Paris, qui n'avaient plus Claude pour les ameuter, firent leur soumission. Les plus entêtés sortirent du royaume, et avec eux toute semence de trouble. L'Europe entière fut dans l'étonnement de la facilité et de la promptitude avec laquelle le roi avait anéanti par un seul édit une hérésie qui avait provoqué les armes de six rois ses prédécesseurs et les avaient forcés de composer avec elle. On a exagéré infiniment le nombre des buguenots qui sortirent du royaume à cette occasion, et cela devait être ainsi ; comme les intéressés sont les seuls qui crient et parlent, ils affirment ce qu'ils veulent. Un ministre qui voyait son troupeau dispersé disait qu'il avait passé à l'ennemi, et un chef de manufacture qui avait perdu deux ouvriers, faisait son calcul comme si tous les fabricants du royaume avaient fait la même perte que lui. Dix ouvriers sortant d'une ville où ils avaient leurs connaissances et leurs amis, faisaient croire par le bruit de leur fuite que toute la ville allait manquer de bras pour tous ses ateliers. Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que des maîtres de requêtes, dans les instructions qu'ils m'adressèrent sur ces généralités, acceptèrent ces bruits populaires et annoncèrent combien ils étaient peu instruits de ce qui devait le plus les occuper. Aussi, leurs rapports se trouvèrent-ils contredits par d'autres et démontrés faux par la vérification faite par d'autres en plusieurs endroits. Quant au nombre des huguenots qui sortirent à cette époque du royaume, porté suivant les calculs les plus exagérés à 67,732 personnes, il ne devait pas se trouver parmi ce nombre, qui contenait tous les âges et tous les sexes, assez d'hommes utiles pour laisser un grand vide dans les villes et les campagnes et les ateliers, et influer sur le royaume entier. Il est certain, d'ailleurs, que ce vide ne fut jamais plus sensible qu'au moment où il se fit. On ne s'en aperçut point alors, et l'on s'en plaint aujourd'hui, il faut donc en chercher une autre cause. Elle existe en effet, et si on veut la savoir, c'est la guerre. Quant à la retraite des huguenots, elle causa moins de pertes qu'une année de guerre civile seule. Il est bien étonnant que les personnes se laissent égarer par les raisons les plus frivoles, au point de douter s'il y aurait plus d'avantages à rétablir les choses sur l'ancien pied, et par conséquent si l'on n'a pas eu tort de faire ce que l'on a fait; mais dans la supposition bien fausse, assurément, que l'on ait eu tort de faire ce que l'on fit, je maintiens que l'on aurait bien plus grand tort aujourd'hui de le défaire ce serait se ruiner à démolir une forteresse parce qu'on se serait ruiné à l'élever. Il y a des torts dont il faut savoir profiter, des torts qui ne sauraient se réparer que par des torts plus grands encore, et cette opération, si elle en était une, serait de ce genre.

«Rappeler les huguenots, ne serait-ce pas leur dire: Vous nous êtes nécessaires, nous vous avons fait une injustice, nous vous faisons des excuses? Quel orgueil une telle démarche n'inspirerait-elle pas à de tels sujets? Ils se croiraient plus en droit que jamais de composer avec leur souverain et plus en état de lui faire la loi? Rappeler les huguenots, e serait-ce pas rappeler les amis des ennemis de la France? et ceux qui entretenaient des correspondances avec ces ennemis dans les temps où on les laissait tranquilles, nous seraient-ils plus fidèles, et moins dévoués à nos ennemis, actuellement qu'ils auraient sous leurs yeux les auteurs de leur disgrâce et qu'ils se rappelleraient ceux qui les out accueillis dans leurs malheurs. Rappeler les huguenots, ce serait, dans une affaire qui dut être et qui fut le sujet d'une mûre délibération, offrir à toute l'Europe une variation de principe pitoyable. En un mot, rappeler les huguenots ce serait s'écarter de cette politique de fermeté qui fait le maintien des empires; ce serait, en se donnant un grand ridicule, mettre l'Etat dans le plus grand danger.

« Je ne parle pas encore des intérêts de la religion; car ne serait-ce pas attribuer à l'hé résie le sceau de la perpétuité en France; ne serait-ce pas exposer tous ces nouveaux

convertis aux railleries, aux persécutions et aux dangers perpétuels de la rechute? Ne seraitce pas exposer la religion à se trouver parmi nous, avant un demi-siècle, dans l'état où ele se trouve chez les peuples qui nous avoisinent. Je sais que certains politiques s'imaginent avoir fait une belle découverte, et trouvé un remède à tous les maux, dans un concordat que feraient réciproquement les princes catholiques et les huguenots, de laisser en repos les sujets des deux religions dans leurs Etats. D'abord la partie ne serait pas égale, puisqu'on mettrait la religion véritable de niveau et en parallèle avec l'hérésie. Qu'à la bonne heure les luthériens, les zwingliens, les calvinistes et autres novaleurs passent entre eux ce concordat; nouveauté pour nouveauté, erreur pour erreur, il n'y aurait de partie essentiellement lésée en ce paete, au lieu que les catholiques ne pourraient le faire sans un désavantage évident: ce serait comme si, pour arranger deux frères qui seraient en différend sur leur légitime, ou voulait obliger celui qui a le droit d'aînesse à partager par égale portion avec son cadet, lequel encore a la tache de bâtardise. En second lieu, c'est une vérité bien incontestable, qu'un prince chrétien puisse permettre que le mal se fasse dans ses États pour obtenir que le bien se fasse dans des États étrangers, et qu'il puisse dire: Souffrez, seigneur, que Dieu soit honoré chez vous, et je souffrirai qu'il soit blasphémé chez moi. En admettant qu'il le puisse, ce qu'assurément je ne crois pas, personne ne soutiendra qu'il le doive. En outre, quand tous les souverains conviendraient de supporter chez eux les sujets des deux religions, reste à savoir s'ils voudraient y rester et s'il serait sage de les y obliger. Il n'est pas question de savoir ici comment ces deux religions peuvent compatir en d'autres pays; l'expérience la plus longue et la plus funeste prouve qu'elles étaient incompatibles dans ce royaume, et c'est, encore un coup, le point auquel il faut s'en tenir et qu'il ne faut jamais perdre de vue. Catherine de Médicis avait pieusement prétendu, en suivant l'idée d'un concordat, ménager et contenir les deux partis que résulta-t-il de sa politique? la plus grande confusion qui conduisit à la scène sanglante de la Saint-Barthelemy, qu'elle crut nécessaire pour se débarraser une bonne fois des huguenots qu'elle n'avait rendus que plus audacieux et plus factieux en les flattant. Mais ce qui vient de se passer dans les Cévennes ne suffit i pas pour faire toucher au doigt la sagesse de l'opération du roi et la nécessité de la maintenir ? C'est par les succès inouis et les horribles brigandages que les huguenots viennent d'exercer dans le Languedoc, qu'il faut juger des autres maux qu'ils eussent pu nous faire pendant la guerre actuelle, s'ils se fussent trouvés au point de puissance où ils étaient il y a vingt-cinq ans.

«Et au moment où j'écris ceci, et où par une modération feintele parti semble désavouer les horreurs auxquelles se sont portés les camisards, des papiers découverts nous apprennent que les liaisons avec les Anglais subsistent toujours.» (Voyez Vie du Dauphin, père de Louis XV, tome II, page 98 et suivantes.)

Ajoutons à celte si juste appréciation des personnes et des choses que Bayle, qui ne peut être suspect en cette matière, Bayle a soutenu que les calvinistes eux-mêmes out forcé le roi à révoquer l'édit de Nantes; qu'en cela il n'a fait que suivre tout au plus les Etats de Hollande qui n'ont tenu aucun compte des traités qu'ils avaient faits avec les catholiques. Il a prouvé que toutes les lois des princes protestants ont été plus sévères à l'égard des catholiques que ceux de France envers les calvinistes. Il rappelle le souvenir des émissaires que les buguenots envoyèrent à Cromwel en 1660, des offres qu'ils lui firent, des résolutions sévères qu'ils prirent dans leurs synodes de la basse Guyenne. Il se moque des lamentations qu'ils font sur la persécution qu'ils endurent, et il déclare que leur conduite justifie pleinement la conduite tenue contre eux en France. (OEuvres de Bayle, tome II, page 594.)

Si ces réflexions avaient besoin d'être appuyées par des faits, nous dirions que si les protestants ont été rappelés en France, ils n'y sont arrivés que tout juste un an avant le détrônement de Louis XVI et le renversement de la monarchie, maux auxquels ils ont puissamment contribué. Que les déclamateurs acharnés à la mémoire de Louis XIV nous disent si les souverains protestants, schismatiques grecs, ou autres séparés de l'Eglise catholique, accordent à leurs fidèles enfants les priviléges qu'ils réclament si hautement en France pour tous les dissidents. Qu'ils nous disent, en outre, si la présence des vrais catholiques, partout où ils existent, se révèle par des scènes de désordre, d'émeutes, ou autres contraires aux lois de la charité et aux préceptes des pays qu'ils habitent. Qu'ils nous disent s'ils ne sont pas les plus équitables, les plus justes, les plus soumis aux chefs sous lesquels ils ont à vivre. Ajoutons en finissant que ceux qui crient contre la révocation de l'édit de Nantes se font les apologistes enthousiastes des Henri VIH, des Elisabeth d'Angleterre, de tous les persécuteurs des catholiques, à quelque poste qu'ils puissent être, et pour cela qu'ils maltraitaient des hommes attachés à la seule véritable Eglise. Voilà leur justice, leur impartialité.

Nous pensons devoir mettre sous les yeux du lecteur ce passage de Voltaire : « Le calvinisme devait nécessairement enfanter des guerres civiles et ébranler les fondements des Etats, Les réformateurs du xv siècle ayant déchiré tous les liens par lesquels l'Eglise romaine tenait tous les hommes, ayant traité d'idolâtrie ce qu'elle avait de plus sacré, ayant ouvert les portes de ses cioîtres et remis ses trésors dans les mains des sécu liers, il fallait qu'un des deux postes périt par l'autre. Il n'y a point de pays en effet où

la religion de Luther et Calvin ait paru sans faire couler le sang. » (Siècle de Louis XIV, chap. 33.) Nous avons, dans le cours de ce paragraphe, placé sous les yeux du lecteur des juge ments bien opposés sur le régime réglementaire des corporations et le système de 'a libre concurrence. Résumons-les en peu de mots.

Le ministre Turgot foudroie les corporations de tous ses anathèmes, et croit honorer son nom et servir l'Etat en proposant leur destruction; l'avocat Séguier les défend en les proclamant la sauvegarde la plus sûre des transactions commerciales et regarde le système de la concurrence comme dangereux et capable de ruiner toute espèce de négoce. Le jurisconsulte Merlin et le Hollandais Jean de Witt jugent tout autrement, et déclarent que le monopole assuré de la corporation rend l'artisan paresseux, tandis que l'aiguillon de la concurrence le tient constamment en haleine. Louis XVI et son ministre, après une longue énumération des vices et des abus, des usurpations des anciens corps de métiers les suppriment.

Deux ans à peine s'écoulent: Necker succède à Turgot, et par la même loi, on les rétablit. Ce qui, peu de temps auparavant, avait été jugé condamnable et digne de mort est de nouveau absons et rappelé à la vie. Dans cet intervalle plusieurs chambres de commerce avaient rédigé de longs mémoires dans lesquels elles peignaient, sous les plus sombres couleurs, le commerce ruiné, l'industrie discréditée, la confiance perdue, la fraude enrichie et couronnée sous le régime destructeur d'une liberté sans frein ni loi. Que conclure en présence d'opinions si diverses, émanées d'hommes si élevés, exercés pour la plupart dans le maniement des affaires? De quel côté est la vérité? Doit-on condamner sans restriction le régime tombé des corporations? ou bien faut-il reconnaître qu'il contenait à la fois des germes salutaires de vie et des principes de désastrense langueur? Hérissé de prescriptions sévères, et par cela seul suspect à la génération présente, ne vous offre-t-il pas néanmoins de sages règlements, utilement applicables encore de nos jours? D'un autre côté, doit-on louer sans limite le système qui lui a succédé ? Une concurrence indéfinie, une liberté absolue, une exemption complète de lois et de règlements sont-elles dans le commerce les véritables degrés sur lesquels peut s'élever la prospérité individuelle et nationale? En un mot l'ancien régime vaut-il mieux que le nouveau? Grave question sur laquelle il est extrêmement difficile de prononcer. Jetons un coup d'œil sur la libre concurrence et voyons:

Le régime des corporations a vécu sept on huit siècles, celui de la concurrence compie à peine soixante ans (1792-1853) d'existence, et déjà ils ont tous deux excité des plaintes presque aussi vives, des réclamations presque aussi nombreuses. En 1776, qui ne se plaignait de la tyrannie de la législation industrielle? En 1853, qui ne se plaint des résultats de la libre concurrence? Quel artisan, quel marchand n'en redoute pas les funestes effets. Autrefois vingt artisans existaient dans une ville, nul autre ne pouvait s'y établir, car l'esprit des corporations pouvait se résumer ainsi : « Nul ne pourra travailer hors nous et nos amis il est défendu à ceux que nous n'avons pas adoptés d'exercer leur industrie. Vous avez du talent, du savoir, n'importe; vous n'êtes pas reçu maître: vous ne travaillerez pas. » Aujourd'hui, au lieu de vingt artisans de même métier dans une ville, il y en a trente, quarante et quoique ce nombre soit disproportionné avec les besoins de ce métier, il pout s'en établir encore autant, en nombre illimité, sans autorisation ni examen. Les anciens du métier jettent les hauts cris: ils ne peuvent plus vivre. Chaque nouveau maître qui ouvre un atelier leur enlève une portion de leur gain, déjà si restreint. Voilà qu'ils vont être réduits à la plus affreuse misère. N'importe, ce nouvel antagoniste a droit de s'établir. et il s'établit, dut-il bientôt lui-même mourir de faim. Ajoutez qu'il a également la faculté de travailler sans relâche ni mesure, et de jour et de nuit, fêtes et dimanches. La qualité, la solidité, la perfection des ouvrages lui importent peu aucune surveillance ne l'arrête. Quelle étrange situation! Ainsi, lois outrées sous le régime des corporations, licence sous celui de la concurrence: voilà les deux traits caractéristiques. Où est le remède ? Comment résoudra-t-on ce problème si plein d'inquiétudes, d'angoisses et d'orages ? Nous en laissons la décision aux habiles. Nous leur avons présenté les pièces historiques de ce grand procès. A eux de juger (45).

O hommes ! si Dieu n'est pas avec vous, que pouvez-vous jamais bâtir de solide et de durable? C'est en vain que vous formez des plans magnifiques, que vous élaborez des projets merveilleux pour élever ou défendre votre édifice social. Si Dieu n'édifie pas avec vous, l'édifice ne tiendra pas ferme : Nisi Dominus ædificaverit domum, in vanum laboraverunt qui ædificant eam (Psal. CXXVI, 1.) C'est en vain que vous faites une garde vigilante autour des murs de votre ville, c'est-à-dire autour de ces institutions qui vous paraissent les remparts de votre société si Dieu ne veille pas avec vous sur elles, vos sentinelles sont inutiles: Nisi Dominus custodierit civitatem, frustra vigilat qui custodit eam. (Ibid., 2.)

Si vous comptez sur vos seules forces, un jour elles défailleront; et à travers l'effroyable tumulte de la bataille, comme autrefois le pontife Héli (I Reg. iv, 17), décrépit et languissant vous entendrez ce cri fatal: Arca capta est: L'arche est prise la société s'écroule, Jes institutions succombent, tout est en proie.

Et nunc intelligite, erudimini qui iudicatis terram. (Psal. n, 10.) (45) OUIN-LACROIX, loc. cit., pag. 409.

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