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rement en défaut, l'acheteur voyait en peu de temps la diversité et la nature des produits, et dès lors pouvait choisir plus promptement et plus sûrement ceux qui paraissaient de meilleure qualité. Cependant on ne peut nier que l'éparpillement actuel des boutiques dans tous les quartiers, n'offre aussi de précieux avantages, puisqu'il place à la purtée de chaque membre de la grande famille les objets divers nécessaires à la vie.

Le numérotage des maisons, méthode d'une date très-moderne, étant absolument inconnu au moyen âge, les maîtres des métiers durent nécessairement adopter des signes particuliers pour se faire reconnaître ou se distinguer de leurs voisins. De là l'usage si répandu alors des riches et brillantes enseignes pour attirer les regards des acheteurs. Le nom sonore du métal par excellence se rencontrait sur beaucoup d'enseignes: Au bras d'Or, à la Pomme d'Or, à l'Aigle d'Or. Quelquefois le marchand prenait pour enseigne un tableau. grossièrement peint, où figuraient les objets de son industrie. Les drapiers merciers étendaient à leur porte une large bande de drap sur laquelle se lisaient leurs noms entreJacés par quelques dessins en broderie: un maître d'escrime plaçait sur sa porte des armes en croix; un marchand de boissons, des bouteilles ou des tonneaux ; un marchand de laitage, une chèvre ou une vache; les artisans en fer, des marteaux, une enclume, et un fourneau embrasé. Chaque enseigne exprimait la nature particulière des marchandises en vente dans le magasin dont elle décorait la devanture.

Les brevets de maîtrise assurant aux patrons le monopole exclusif et absolu de leur métier, ils n'épargnaient ni soins ni efforts pour se le conserver intact.

Afin de prévenir ou de réprimer les envahissements frauduleux des corporations rivales, ils déployaient une vigilance qui souvent dégénérait en odieuses tracasseries. C'était une sorte de guerre quotidienne entre tels et tels corps, qui par des saisies, des dénonciations, des procès interminables, cherchaient à entraver leurs opérations mutuelles. Les professions qui se touchaient par quelques points montraient toujours dans leurs poursuites réciproques le plus intraitable acharnement le fripier et le marchand en neuf, le savelier et le cordonnier, l'hôtelier et le rôtisseur ne se pardonnaient aucune transgression.

Si nous le voulions, nous aurions bien des citations à faire sur les saisies de différente nature, car il ne s'est pas rencontré de corps de métiers qui n'ait intenté à des rivaux ou soutenu par lui-même des luttes presque quotidiennes, de longs et dispendieux procès. Les dépenses de ce genre formaient des sommes immenses: à Paris (28), les procédures judiciaires entre les fripiers et les tailleurs durèrent deux cent quarante-six ans, de 1530 à 1776. On rendit pour eux plus de vingt mille arrêts. A Rouen, les procédures ne furent ni moins longues ni moins ruineuses : les registres du vieux parlement de Normandie en fournissent des preuves nombreuses.

Nous allons finir ce paragraphe de notre Introduction, en donnant le texte d'un procèsverbal de saisie exécutée à la requête des barbiers-perruquiers-baigneurs-étuvistes de Dol (Bretagne-France).

« L'an mil sept cens soixante quinze, le premier jour du mois d'avril, environ midi, sousigné René Julien Mancel, sergent royal général et d'armes, reçu au siège présidial de Rennes, établi et demeurantà Do!, Grande Rue, paroisse Notre-Dame, certifie qu'à la requête du sieur Pierre Neveu, lieutenant des maîtres perruquiers de la ville de Dol, et Alexis Boisle inspecteur de ladite communauté, demeurans audit Dol, paroisse de Notre-Dame, qui ont élu leur domicile en l'étude de maître Jean Laurent Bidan leur procureur, sise en la ville de Dol, rue Ceinte, paroisse du Crucifix, sur l'avis leur donné que le nommé Noël demeurant en la paroisse de l'Abbaye entréprénoit sur l'état des maîtres perruquiers au préjudice de leurs statuts et règlemens, je me suis transporté en compagnie des sieurs Jean-Eustache Daussy et François Métivier maîtres perruquiers de ladite communauté de Dol, y demeurans dite paroisse de Notre-Dame (29) en la maison et domicille dudit Noel Aubert où étant avons trouvé un homme à nous inconnu, qui nous a dit se nommer Jean Dufeix et demeurer en la paroisse de Flerguer, assis dans une chaise, ayant une serviette au col, et ledit Aubert se préparant à le raser, ayant un plat à barbe de terre, trois rasoirs, un cuir et des frotoirs sur une fenestre. Comme la conduite dudit Aubert est une entreprise manifeste aux statuts des maîtres perruquiers, j'ai en la présence desdits maîtres cydessus dénommés et des sieurs Pierre Neveu, Alexis Boisle et Jacques Girard, maîtres perruquiers qui sont à l'instant intervenus et sur leur réquisitoire saisi et mis sous la garde du roi et de la justice, le plat à barbe, les rasoirs, le cuir, la serviette et les frotoirs cy-dessus, lesquelles choses cy-dessus saisies du consentement desdits maîtres, j'ai emportées pour être avec le présent déposées au greffe de police de la ville de Dol, et pour avoir ladite saisie bonne et valable, dire et ordonner que les choses saisies seront contisquées au profit de ladite communauté, et pour en outre s'ouir condamner à l'amende prononcée par lesdits statuts contre les contrevenants à iceux, j'ai audit Noël Aubert en parlant à sa personne donné assignation à comparoître à la première audience du siége de police de la ville de Dol vingt quatre heures franches, etc., et en outre répondre et proceder ainsi que de raison par dépens

(28) Rapport de la Chambre de Commerce de Paris, en 1805. (29) Voy. Dictionnaire de Bretagne, par ОGÉE, vbo Dol · 1813.

et ai laissé copie du présent audit Aubert sous mon seing et ceux desdits maîtres, lesdits jour et an que devant.

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Que signitiaient ces amendes, ces saisies, ces confiscations, s'écrie M. Ouin-Lacroix, après en avoir rapporté un certain nombre? A quoi servait cet écrasant monopole ? Quelle utilité pouvait-on retirer, pour le vrai progrès des arts, d'une surveillance pleine de rancune, de jalousie et de haine d'état ? (30) Ces amendes, ces saisies, ces confiscations, servaient à maintenir et perpétuer ces corporations dans toute leur pureté. Elles empêchaient tout empiétement, toute fraude, et assuraient à l'ouvrier une position acquise à grand'peine.

& VI.

Assemblées des corps de métiers. - Election des gardes des corporations.- Droits et devoirs des gardes. Traits de leur vigilance. Devoirs des membres du corps entre eux. — - Droits pécuniaires imposés à chaque artisan ou marchand pour sa réception dans un corps d'art el métier.- Droits de capitation d'industrie des corporations. Equipements des miliciens par les corporations. Autres réclames pécuniaires.

L'administration d'un corps de métier ressemblait à celle d'une véritable cité, ayant ses lois, ses assemblées électorales et délibératives, ses magistrats et ses gardes. Chose digne de remarque, à notre époque, où l'on s'occupe tant de suffrage universel, presque toutes les affaires de ces communautés industrielles se réglaient par le libre vote de tous les membres. S'il s'agissait d'un statut, on le rédigeait en commun, après une délibération dans laquelle chaque membre avait droit d'émettre son opinion; il est vrai que le prince devait accorder sa sanction au statut, pour lui donner une force légale; cependant il n'en demeurait pas moins l'expression des pensées et des volontés du corps.

Devait-on choisir les magistrats ou gardes de la corporation? tous les membres se réunissaient dans la salle commune, donnaient leurs suffrages à ceux qu'ils jugeaient les plus dignes; la pluralité des voix décidait seule l'élection du candidat. Si quelque affaire grave s'élevait au sein de la corporation, les maîtres du métier délibéraient ensemble sur la manière dont elle devait être dirigée, en se déchargeant toutefois du soin de l'exécution sur les gardes élus.

Par ces motifs, les corporations attachèrent toujours une grande importance à leurs assemblées, dont aucun membre, sans raison légitime, ne pouvait se dispenser sous peine d'amende. L'élection des gardes se faisait par ces assemblées convoquées annuellement pour cet objet, par le syndic ou prévôt de la communauté.

La dignité de garde conférait au titulaire des droits nombreux : ceux de convoquer les assemblées du corps, de les présider, de recueillir les suffrages, de dresser l'ordre des délibérations, de recevoir les apprentis, d'assister à la confection du chef-d'œuvre et à l'examen des aspirants à la maîtrise, de faire les visites d'inspection chez les maîtres: en un mot, de veiller à l'exacte observation des statuts.

Cette dignité devenait quelquefois très-onéreuse, en ce sens que pendant les années de sa gestion, il ne se rencontrait pas de semaine, ni de jour, dans lesquels le garde en charge n'eût à s'occuper de quelque affaire de la société, soit d'une correspondance avec les autorités, soit des plaintes ou réclamations de ses confrères devenus ses subordonnés ; d'où il advenait que, pour conduire avec honneur l'administration générale de sa corporation, il se voyait forcé d'omettre et de négliger les opérations de son propre négoce; d'un autre côté, cette dignité présentait au garde de lucratives compensations. Tous les actes de sa gestion lui assuraient un droit inaliénable à une rétribution certaine : un serment d'apprenti, un examen d'aspirant, une assistance à un chef-d'œuvre, une réception de maître, une visite d'inspection, une saisie d'objets illicites, valaient au garde autant de sommes d'argent, qui dans le cours d'une année, formaient un capital suffisamment capable de payer les labeurs et les soucis de son administration, et c'était justice: ainsi sont payés les membres des tribunaux de commerce.

Le nombre des gardes chargés de régir la corporation variait de trois à six, et même à huit proportionnellement à la quantité générale des associés. Dans l'origine des corporations, les gardes ne géraient qu'une seule année, après laquelle on les renouvelait simultanément par une même élection. L'expérience découvrit le vice d'une semblable coutume aucun ancien garde ne demeurant dans l'administration d'un exercice à l'autre, les nouveaux, ignorant souvent le cours des affaires, portaient préjudice au corps entier. Les négociations, commencées par les gardes sortants, n'étaient pas toujours poursuivies par les entrants: d'ailleurs un exercice d'un an sulisait rarement à l'accomplissement d'une affaire un peu considérable. Le garde le plus zélé et le plus actif n'osait tenter (50) OCIN-LACROIX, loc. cit.,,pag. 21-55.

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apprécier l'importance relative de chaque métier, par le chiffre plus ou moins considérable des droits de réception. Ces redevances, une fois payées, ils étaient faits participants de tous les droits et priviléges attachés à la corporation dont ils étaient membres titulaires. Ils voulurent, dans un moment où périssait toute institution religieuse, ils voulurent voir un affranchissement là où pour eux et leur industrie, il n'y eut que ruine et plus tard cruel abandon de la part de ceux qui les flattaient par l'apparence d'une liberté qui ne gênait en rien la soumission à des lois équitables qui garantissaient leur présent, et leur assurait pour l'avenir d'abondantes ressources.

TABLEAU INDICATIF

DES DROITS DE RÉCEPTION A LA MAITRISE.

Tarif de 1778 énoncé en livres.

4. Fabricants de toutes sortes de draps et étoffes en laine

300

2 Fabricants de toutes sortes d'étoffes de soie pure ou mélangée, coton, poil de chèvre; rubanniers, boutonniers.

300

3 Fabricants de tous ouvrages en soie, laine et autres matières pures ou mélangées, mises sur le métier à bas.

4 Fabricants de toutes sortes de toiles en fil et en coton.

200

200

(Ceux qui exerçaient ces quatre professions avaient la faculté de teindre, de donner tous les apprêts aux ouvrages de leur fabrication, et de les vendre en gros et en détail concurremment avec les marchands.)

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11 Tailleurs, fripiers d'habits en neuf et en vieux, chasubliers, brodeurs.

13° Lingères en neuf.

14 Bonnetières, faiseuses et marchandes de modes, plumassières.

300

(Avec faculté de vendre toutes marchandises sans pouvoir fabriquer, apprêter ni enjoliver.)

600

400

400

100

300

300

200

200

(Avec faculté de vendre en gros, à la pièce et à l'aune toutes sortes de toiles concurremment avec les merciers.)

300

(Avec faculté de jouir, comme par le passé, en concurrence avec les perruquiers. de leurs droits sur la parure.)

15 Boulangers.

250

(Avec faculté d'employer du beurre et du lait, en concurrence avec les pâtissiers.)

16 Bouchers, charcutiers, chandeliers.

17 Cuisiniers, traiteurs, rôtisseurs, pâtissiers, cabaretiers, aubergistes.

400

400

(Avec faculté de vendre en détail du cidre, de la bière, en concurrence avec les marchands de cidre et de bière.)

18 Vinaigriers, cafetiers, limonadiers.

600

19 Marchands de cidre et de bière.

500

20 Maçons, couvreurs, plombiers, paveurs, tailleurs de pierre, sculpteurs en pierre et tous constructeurs en plâtre, pierre, ciment.

500

21 Charpentiers et autres constructeurs en bois.

500

22 Menuisiers, ébénistes, sculpteurs en bois, tourneurs, luthiers, layetiers, peigniers et coffretiers. 23 Tonneliers, bosseliers, futaillers.

400

500

24 Couteliers, armuriers, arquebusiers, fourbisseurs et tous autres ouvriers travaillant en acier. 25 Serruriers.

200

400

(Avec faculté de faire tous ouvrages en fer.)

26 Maréchaux-ferrants, grossiers, taillandiers, cloutiers, éperonniers et tous ceux faisant les ouvrages en fer autres que les clefs et les serrures.

390

29 Tapissiers, fripiers, faiseurs et vendeurs de meubles en neuf et en vieux. 30 Lunetiers, miroitiers, doreurs sur cuivre.

27 Fondeurs, chaudronniers, potiers d'étain et autres ouvriers en cuivre, étain et autres métaux,
excepté l'or et l'argent.

28 Selliers, bourreliers, carossiers, charrons et autres ouvriers en voitures.
(Avec faculté de ferrer les roues en concurrence avec les maréchaux.)

54 Peintres, doreurs, vernisseurs.

32 Tanneurs, corroyeurs, hongroyeurs, peaussiers, mégissiers et autres fot peau.

33 Ga. tiers, parfumeurs, poudriers.

200

400

500

300

230

s en cuir et en

300

300

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Outre les sommes ci-dessus mentionnées, et que chaque aspirant devait payer lors de sa réception, la corporation en masse payait annuellement un impôt, appelé capitation d'industrie, et réparti sur chaque membre à raison de son débit et de son commerce. Cette capitation correspondait à peu près aux droits des patentes actuelles, avec cette différence cependant que, de nos jours, les agents fiscaux perçoivent directement de chaque marchand les droits de sa taxe, tandis qu'au temps des corporations, ils traitaient uniquement avec les gardes en charge, seuls représentants légaux de tout le corps et ses vaillants défenseurs. Comme nous ne pouvons présenter un tableau général pour toute la France, nous donnons ici le tableau des droits de capitation sur chaque corps d'industrie, à Rouen (32), tels qu'ils avaient été réglés par un édit de Louis XIV, en mars 1701 et juillet 1715, et que nous extrayons du livre de M. l'abbé Ch. Ouin-Lacroix. L'intendant de la généralité publiait chaque année le tableau de ces droits recueillis par les agents des finances royales.

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(31) OUIN-LACROIX, loc. cit., pag. 579-583.

(52) Par ce tableau, on devra avoir une idée de l'importance de cet impôt. (33) OUIN-LACROIX, luc cit., p. 383-86.

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