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sitions, le brasseur Jacques Artevelle souleva les corps de métiers contre le duc, pour empêcher de payer l'impôt. En 1344, dans la même cité, les tisserands et les foulons se livrèrent une affreuse bataille; quinze cents foulons restèrent sur le carreau.

A Florence, durant les xin et xiv siècles, les arts majeurs et mineurs prirent une part active aux luttes politiques des Guelfes et des Gibelins.

En France, sous la régence du Dauphin de Viennois, depuis Charles V, trois mille artisans de différents métiers, ayant à leur tête Marcel, prévôi des marchands, soulevèrent Paris et se rendirent redoutables à l'autorité royale.

Sous Charles VI (19), quelques corporations passent du côté des Armagnacs, d'autres du côté des Bourguignons, et soutiennent également les deux partis avec une énergie tertible. Les bouchers tinrent un instant le roi et le dauphin prisonniers dans un hôtel. Un écorcheur et le tils d'une tripière présidaient à ces mouvements populaires.

Sous le même Charles VI (20), à l'époque d'une nouvelle levée d'impôts, une vendeuse d'herbes, refusant de payer, ameuta, par ses claraeurs, le peuple qui se précipita dans l'assemblée des notables, auxquels un savetier adressa un discours trivial, iuais plein de verve, et obtint un édit de suppression de ces subsides qui paraissaient écrasants et cdieux.

A Rouen, en 1381 (21), aussi à propos de levée d'impôts, une sédition se leva dans les rues de la Cité, les artisans arborèrent leur étendard, s'emparèrent d'un drapier, Jean Le Gras, et, sur la place du marché, le proclamèrent roi de France. En 1639, un horloger, nommé Gorin (22), homme robuste et hardi, dirigea la sédition qui effraya Rouen pendant quatre jours. Une barre de fer à pomme de cuivre lui servait de bâton de commandement. O la lui voyait brandir incessamment sur sa tête, en criant d'une voix formidable: Rou, rou, rou, sorte de mot du guet en ce temps pour le peuple en armes. Gorin menait ses adhérents aux maisons des financiers, des receveurs d'impôts; il frappait la porte de chacun d'eux de sa terrible barre, en criant: « Allons, compagnons, faites votre devoir.» L'histoire ajoute que, fidèles exécuteurs de ses ordres, les compagnons du fougueux horloger enfonçaient les portes, à coups de bâtons, de massues ou de haches.

Ce court exposé de faits si divers fait déjà apercevoir le caractère général des corporations, à la fois politique,, religieux et industriel. Toujours attentives à la conservation ou à la défense de leurs droits, de leurs priviléges, elles se montrèrent faciles à s'armer les unes contre les autres par jalousie de métier, contre les magistrats et même contre les représentants de la puissance souveraine, si elles se voyaient menacées d'impôts trop pesants ou d'exactions trop multipliées. Généreuses envers les églises qui donnaient T'hospitalité à leur société religieuse, elles se plaisaient à les enrichir et à les décorer; vigilantes sur l'accomplissement des statuts, elles ne négligeaient ni admonitions, ni amendes, ni punitions, pour en maintenir la fidèle observance. Nous terminerons donc ce paragraphe en concluant, sans trop de témérité, que si quelquefois et en plusieurs points, comme on le verra dans le cours de notre livre, elles furent nuisibles, cependant on ne saurait nier qu'elles n'aient été utiles aux arts, à l'industrie et même à la liberté (23).

§ IV.

Examen particulier des statuts des corporations.

Apprentis, compagnons, aspirants à

la maîtrise. Exécution du chef-d'œuvre, réception à la maitrise. quelques chefs-d'œuvre.

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Après avoir dessiné la physionomie générale des corps d'arts et métiers, il est convenable de considérer en détail les prescriptions diverses des statuts qui les réglementaient. Les apprentis, les compagnons, les aspirants à la maîtrise, les différents préliminaires de la réception dans la corporation, se présentent naturellement comme les premiers objets de notre revue.

De lai-même, le mot apprenti indique assez la nature des études auxquelles le jeune homme devait se livrer pour acquérir la connaissance théorique et pratique du métier qu'il adoptait. Le commencement de l'apprentissage était fixé à peu près entre 12 et 18 aus, par cette raison qu'un enfant au-dessous de 10 ou 12 ans n'est ordinairement guère capable de supporter une occupation trop sérieuse; et qu'au-dessus de 16 ou 18 ans, il est à craindre qu'il n'ait plus la docilité nécessaire pour profiter utilement des leçons du maitre, ou bien qu'il ne se dégoûte d'un long et difficile apprentissage.

La durée de l'apprentissage, proportionnée à la difficulté supposée pour apprendre le métier, autant qu'au maintien de l'équilibre du nombre entre les maîtres et les élèves, comprenait tantôt 3 ou 4, quelquefois 5 et même 7 années. Au moment de commencer son

(19) ANQUETIL et MICHELET, Histoire de France.

(20) ANQUETIL et MICHELET, ibidem.

(21) A. CHERUEL, Histoire de Rouen à l'époque communale, t. II, ch. 27. (22) A. FLOQUET, Histoire du parlement de Normandie, t. IV, p. 721.

(23) OUIN-LACKOIX, loc. cit. sup., pag. 1-10.

DICTIONN. DES CONFRERIES ET CORPOR.

instruction, l'apprenti devait en faire la déclaration aux gardes du corps, prêter serment d'obéissance et prendre un brevet, sans lequel son temps d'apprentissage était considéré comme nul et ne lui donnait aucun droit à la maitrise. L'apprenti était-il entré chez son maître, il n'en pouvait plus sortir sans l'autorisation des gardes et pour des causes graves dont ils étaient les juges. Si par légèreté de caractère, par mécontentement ou toute autre cause, l'apprenti abandonnait la maison du maître, celui-ci devait incontinent en avertir les gardes. Si, la désertion du jeune homme paraissait coupable, on prononçait aussitôt son exclusion du corps et l'annulation de ses titres à la maîtrise.

Aucun maître ne pouvait avoir d'apprenti s'il ne tenait une boutique ou un atelier sur rue, conséquence nécessaire de l'instruction due à l'élève, qui ne pouvait se former saus l'exercice actuel et assidu du travail dans toutes les parties du métier; en outre, chaque maître ne pouvait en occuper qu'un seul pour la plupart des métiers, ou deux pour certaines branches d'art plus étendu. Sans doute, que cette prescription avait pour but d'empêcher le trop grand nombre d'apprentis qui, ne pouvant obtenir des places de maîtres, seraient condamnés à rester toute leur vie sans emploi, formant ce qu'on appelait alors les faux ouvriers.

Les fils de maîtres demeuraient affranchis de l'asservissement à l'apprentissage, parce qu'on supposait que nés dans une profession, à laquelle ils se destinaient, ils en seraient suffisamment instruits par leurs parents; de plus, il paraissait juste que les pères de famille qui avaient servi le public pendant de longues années, possédassent comme récompense ce moyen facile et ce privilége avantageux d'établir leurs enfants.

Le temps de sa première instruction terminée, l'élève devait encore, avant de devenir maître, passer quelques années dans l'exercice du métier, non plus gratuitement et sous le nom d'apprenti, mais avec des gages fixes et le titre de compagnon.

Le compagnonnage, institution ancienne et commune à tous les métiers était comme le complément indispensable des premières études. Les compagnons avaient formé entre eux une association vulgairement connue sous le nom de Garçons du devoir ; ils se liaient par des serments, se reconnaissaient à des signes, contractaient des obligations réciproques de fraternité et de bienfaisance qui assuraient à tous des forces, du travail et des secours dans le besoin. Lorsqu'un compagnon arrivait dans une ville, dit l'auteur du Livre de l'ouvrier (24), il lui suffisait de se faire reconnaître pour obtenir du travail; si par hasard toutes les places étaient occupées, le plus ancien compagnon lui cédait sa place; si un compagnon se trouvait dépourvu d'argent pour gagner une autre ville, l'association venait à son secours; tombait-il malade, les camarades le soignaient comme un frère, mais s'il s'écartait des voies de l'honneur du métier, ils ne balançaient jamais à en faire sévère justice.

Un serment inviolable les rendait tous solidaires du maintien et de la défense de leurs priviléges. Malheur au maître qui leur donnait quelque sujet de doléance! ils lançaient contre lui une sentence d'interdit, et dès lors aucun des compagnons ne travaillait pour Jui. Malheur à la cité dont les magistrats auraient blessé leurs droits! les compagnons en sortaient tous à la fois, et par la suspendaient forcément les travaux. Si le maître ou la cité les rappelait, il devait avant tout consentir à réparer les outrages qu'il leur avait faits.

Les compagnons se divisèrent en plusieurs sectes, dont chacune possédait ses signes, ses moyens, ses mots de ralliement; de là une source de luttes qui dégénérèrent souvent en d'affreuses batailles d'autant plus meurtrières, que les outils du travail se changeaient en armes de guerre. On vit des maçons rivaux s'ouvrir le crâne avec leurs truelles, des charpentiers avec leurs haches, des couvreurs avec leurs marteaux à pointe.

Aujourd'hui, le compagnonnage disparait d'une manière visible; il va se perdre dans le vaste champ des travaux des intérêts de nos jours qui, monopolisant le travail ne veulent plus de société d'ouvriers religieux d'ailleurs l'esprit sceptique de la civilisation actuelle dédaigne des pratiques fondées sur la foi, sous prétexte des coutumes despotiques et souvent barbares des compagnons. Leur plus beau souvenir est l'usage du tour de France, sorte de pèlerinage pratique et aventureux, dans lequel le compagnon ne possédant ni maison ni patrimoine, aimait à se jeter sous l'égide d'une famille adoptive dont il portait les insignes et le mot d'ordre (25).

Ce pèlerinage de l'artisan, généralement appelé le tour de France, avait de précieux avantages pour l'instruction du compagnon et pour le progrès de l'industrie. Chaque ville, chaque atelier présente toujours quelque chose de nouveau et d'utile. Comme les matières premières présentent de grandes variétés selon les lieux, et exigent des modifications dans leur emploi, le compagnon rapportait dans ses foyers toutes les découvertes ou les perfectionnements qu'il avait recueillis dans ses lentes pérégrinations par les villes et les bourgades de France. Ces voyages profitaient à l'industrie elle-même. Eux seuls, en effet, pouvaient établir promptement la communication des lumières, former de toutes les découvertes un patrimoine commun. Dans les professions de maçon, de serrurier, de

(24) EGRON, loc. cit.

(25) G. SAND, Le compagnon du tour de France, cité dans M. l'abbé OUIN-LACROIX, op. cit., p. 11.

charpentier, de menuisier, de teinturier, il faut beaucoup voir pour bien imiter et une pratique variée peut seule donner une grande habileté.

Les compagnons n'avaient le droit ni d'exercer le métier à leur propre compte ni de travailler dans des endroits cachés, mais seulement dans la boutique du maître. Cette prescription paraît assez juste: car les compagnons n'ayant à supporter aucunes des charges de la maitrise auraient pu fabriquer les ouvrages à plus bas prix et emporter ainsi la substance des maîtres en outre, échappant par leur clandestinité aux visites des gardes et par conséquent à la responsabilité de leur travail, ils auraient inondé le commerce d'objets défectueux. Par ces motifs, on comprend l'activité vigilante des maîtres pour arrêter les tentatives fraudulecses des compagnons. Au moindre soupçon, sur le plus faible indice, les gardes du corps avertis, envahissaient la demeure du compagnon accusé. La plus petite trace de délit, le faisait inévitablement condamner à la confiscation de l'objet fabriqué, à une amende, quelquefois même à l'exclusion du métier.

Les apprentis et les compagnons, à l'époque des exercices préparatoires à leur admission à la maîtrise, recevaient le titre d'aspirants. En se présentant pour l'examen, ils devaient exhiber leur certificat de naissance, attestant au moins leur vingtième année, leurs brevets d'apprentissage et de compagnonnage; plus, une attestation de moralité et de probité rarement les gardes transigeaient sur tous ces points.

Après la vérification de ces différentes pièces, les gardes du corps interrogeaient l'aspirant sur toutes les branches du métier ses réponses annonçaient-elles des connaissances suffisantes, il était admis au chef-d'œuvre consistant dans l'exécution des principaux articles de l'art adopté par l'élève.

Ce chef-d'œuvre, toujours considéré comme la preuve la plus sûre et la plus palpable. de la capacité de l'aspirant, était entouré des plus minutieuses précautions. L'aspirant n'y pouvait travailler qu'en présence des gardes examinateurs, dans un appartement fermé de la Maison-de-ville, ou de la demeure du syndic du métier: personne, ni parents, ni amis, ne pouvaient le visiter pendant l'exécution de son chef-d'oeuvre, de peur que l'aide ou les conseils d'autrui ne lui retirassent le mérite de la spontanéité. Le chefd'oeuvre achevé, on l'exposait publiquement à la visite de tous les maîtres néanmoins les sculs gardes en demeuraient juges compétents: s'ils l'approuvaient, l'aspirant était admis, conduit devant les officiers de justice, prêtait serment de fidélité aux statuts, payait au roi, à la communauté, à la confrérie, aux gardes, diverses sommes assez considérables. Si au contraire les gardes déclaraient le chef-d'oeuvre imparfait, ou que l'aspirant eût contre lui l'antagonisme jaloux de quelques maîtres, il n'entendait jamais sans douleur, quelquefois sans désespoir, la sentence sévère qui, malgré ses longues années d'apprentissage et les énormes sacrifices qu'il s'était imposés, l'excluait pour toujours de la jouissance de la maîtrise.

Afin de donner une idée de la nature de cette œuvre préparatoire si importante, nous joignons ici l'intéressante description des chefs-d'oeuvre de quelques métiers particu

liers.

L'examen de l'apothicaire-cirier était accompagné d'une pompe extraordinaire, qui a fourni au fameux Molière le sujet d'une scène du plus fin et du plus gai comique. Les gardes du métier, vieux sénateurs de la pharmaceutique, deux docteurs ou deux licenciés en médecine, revêtus de leurs insignes, portant sur un front ridé par l'étude la gravité magistrale, interrogeaient l'aspirant sur les propriétés bienfaisantes ou vénéueuses des plantes, sur les qualités vivifiantes ou délétères des drogues, sur les conditions essentielles à toutes les préparations médicinales. La science paraissait-elle suffisante, les juges le proclamaient digne d'entrer dans le corps des apothicaires, en payant toutefois quarante sous tournois au roi, quarante aux examinateurs, et trente à la confrérie. L'aspirant drapier devait teindre quatre sortes de draps de couleurs différentes, expliquer leur nature, leur qualité, les apprêts de leur confection et de leur teinture.

L'aspirant cordonnier taillait et cousait une paire de bottes, un collet en peau de bouc, de chèvre ou de mouton, trois paires de souliers, une paire de mules, tandis que le savelier confectionnait une paire de souliers à homme et à femme en cuir de mélange, remontait une botte à rosette aussi de mélange. L'un et l'autre devaient travailler sans patrons ni modèles, rigoureusement enfermés dans la maison du prévôt de la corporation. Le chef-d'œuvre du boucher consistait à tuer et à appareiller un boeuf, un veau, un porc

et un mouton.

Le menuisier taillait des pièces de bois en mode ancienne et moderne, avec assemblages, Kaisons et moulures de tout genre.

Le chef-d'œuvre de l'aspirant tailleur s'étendait aux costumes des hommes d'église, de guerre, de palais et de théâtre.........

Inutile il serait de multiplier d'avantage nos citations, celles-ci suffisant pour nous faire apercevoir les conditions constitutives de ces pièces d'examen. Aucun aspirant ne pouvait éire dispensé du chef-d'oeuvre à moins d'être fils de maître, auquel cas il n'en faisait qu'an demi ou même aucun. Chaque état traçait son chef-d'œuvre conformément à ses exigences spéciales, de telle façon que l'aspirant pût montrer son talent dans les diverses parties de son art. Certes, on ne saurait nier qu'un examen aussi rigoureux et des prescriptions aussi sages requérant de l'élève tant d'étude et de travail, n'aie

Jes artisans une vive émulation, qui ne sera pas restée sans influence sur le progrès de l'industrie (26).

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§ V.

Droits et devoirs des maîtres. - Temps du travail. - Priviléges des fils et veuves des maltres. - Quartiers et rues de métiers. - Boutiques et enseignes. - Lutles entre des maîtres de corps différents. - Saisies.

L'aspirant proclamé maître, avait-il en cette qualité prêté serment devant les officiers de la justice, qu'il devait encore, avant d'ouvrir son atelier, faire inscrire son nom et sa demeure sur les registres des gardes. Par cette prescription, on se proposait d'empêcher aucun maître de se soustraire à leur vigilance et d'échapper à la fidèle observation des différents devoirs du métier. Si le nouveau maître établissait sa boutique dans la même rue que son ancien patron, les statuts ne lui permettaient de la fixer qu'à une certaine distance de la sienne. Par là, on semblait éviter toute lutte de rivalité, toujours facile à naître entre deux hommes dont l'un se trouvait aisément disposé à faire expier à l'autre les aigreurs et les chagrins de son ancienne domination.

Les lettres de maîtrise conféraient à leur possesseur un droit imprescriptible sur toutes les branches du métier. Le maître pouvait étendre son trafic selon les ressources de son activité ou le nerf de sa fortune, mais il ne devait jamais s'écarter des règles imposées, concernant la nature du trafic, la forme ou les dimensions de l'ouvrage : toute innovation lui demeurait interdite. Si les gardes le surprenaient travaillant à une fabrication hasardeuse, ils le condamnaient inévitablement à l'amende, à la confiscation de son ouvrage, si l'ouvrage était défectueux quant à la forme et surtout à la valeur de la matière première, ce qui profitait à la fraude nuisait au métier.

Néanmoins, bien que privé du droit de tout essai nouveau, il ne devait pas moins s'appliquer à gérer dûment et loyalement les affaires de sa profession, encourager le progrès. C'est grâce à cette impossibilité d'innover frauduleusement que nos manufactures ont obtenu et consacré pendant plusieurs siècles leur supériorité et une réputation qui plaçait notre industrie à la tête de toutes les industries qui pouvaient leur faire concurrence. Qui ne connalt le fini de nos tapisseries d'Aubusson, des Gobelins, les plus belles du monde, même sous le régime des corporations? Nos fils et nos toiles de Bretagne n'étaientils pas recherchés dans toute l'Europe ? Les tissus et teintures du fil et du colon employés à Cholet et à Limoges pour mouchoirs ont-ils jamais été égalés par ceux que nous voyons comme fournis sur ces préparations des anciens maîtres? Toute fraude dans la vente ou la fabrication de ses produits, toute falsification illégale dans la composition de ses ouvrages, entraînait toujours de très-rigoureuses punitions. Pour prévenir les abus, les gardes des métiers faisaient à jour et à heure indéterminée des visites chez tous les maîtres, qu'ils tenaient ainsi dans une salutaire inquiétude.

Le chômage affligeant de tant de milliers d'ouvriers, qui de nos jours a montré les excès et les dangers d'une production incessante, illimitée en disproporition avec les nécessités de la consommation, avait sans doute été prévu par les chefs des vieilles corporations du noyen âge, lorsqu'ils renfermèrent dans des limites sages les jours et les heures du travail. La durée du jour naturel en était la règle la plus commune: les dimanches et les fêtes aucun coup de marteau ne devait troubler les rues paisibles de la cité. Tout travail public ou particulier était strictement défendu à peine d'amende. Si un maître, cédant aux tentations d'une cupidité immodérée, exécutait quelque ouvrage dans le recoin protecteur d'une chambre ignorée, ce n'était jamais qu'au milieu des soucieuses angoisses d'un criminel, qu'un voisin soupçonneux ou un rival jaloux se plaisait malignement à livrer entre les mains des gardes et des magistrats. Grâce à ce point important des statuts le jour du dimanche était un jour de repos, conformément à la loi si sage du Seigneur. De nos jours, comment les dimanches et fêtes sont-ils sanctifiés? Voici en quels termes l'archevêque de Tours s'exprime à ce sujet, dans son Mandement pour le carême de 1844: «< Y a-t-il beaucoup de travaux suspendus et d'ateliers silencieux ? Quelle est la place publique, quelles sont les voies de la cité où les affaires du monde et les soins du négoce soient interrompus? Partout l'agitation, le bruit, 'ardeur des enfants des hommes se livrant, comme la veille, à leurs terrestres travaux. Ici s'élèvent à graids frais des édifices que le Seigneur ne bénira point; là s'élaborent ou s'étalent les travaux de l'industrie, se poursuivent les spéculations du négoce; les calculs de l'insatiable cupidité. Dans Os campagnes, jusque dans les hameaux les plus retirés, l'oubli de Dieu traîne à sa suite des profanations et des désordres non moins déplorables. Les travaux des champs, les soins et les intérêts matériels absorbent des populations égarées qui ne respirent plus que la terre. Et, comme pour mettre le comble à ces attentats contre la Majesté suprême, presque partout il se fait du dimanche un affreux partage qui en attribue une partie aux affaires du monde, et l'autre aux plaisirs. Après les travaux défendus viennent les joies désordonnées; après les occupations serviles, l'intempérance et la dissolution.

(26) OUIN-LACROIX, loc. cit., pag. 12 à 21.

Essaierons-nous, N. T. C. F., d'énumérer les conséquences de ces indignes profanations et les maux qu'elles enfantent ? mais ne les voyez-vous pas se dérouler et se propager sous vos yeux? Ah! depuis que ce fléau dévastateur exerce ses ravages, ceux qui savent observer et prévoir, constatent avec inquiétude l'affaiblissement de tous les principes d'honneur, de devoir et de vertu....

« C'est ainsi, N. T. C. F., que d'un côté les révoltes ouvertes et les scandaleux outrages envers la Divinité, de l'autre l'insouciance et la lâcheté dans l'accomplissement du premier des devoirs provoquent les coups de cette justice forte, patiente, toujours sûre d'elle-même, qui n'a pas besoin de punir tous les jours, parce qu'elle est puissante et éternelle; qu'il ne faut pas confondre avec cette justice de la terre que la multitude des coupables étonne et intimide, et qui, ayant trop à frapper, laisse échapper le glaive de ses mains. Ah! quand Dieu veut punir, ce n'est pas le nombre des coupables qui arrête ses coups.... il ne comple alors que les justes, et quand les justes ont disparu des nations, son bras s'appesantit sur le monde (27). »

Ces profanations viennent de ce que nos ouvriers, privés de l'élément religieux ne voient plus que les stupides jouissances du présent.

Les heures du travail dans la semaine variaient suivant la nature des occupations de chaque métier; pour plusieurs, notamment pour les orfévres et les drapiers, on les avait limitées sur le cours du soleil, en interdisant à ces artisans le travail nocturne; les huchers et menuisiers ne pouvaient commencer avant cinq heures du matin ni aller au delà de neuf heures du soir.

Lorsque le maître avait reçu chez lui un apprenti, il lui devait le logement, la nourriture, l'instruction exacte dans toutes les parties du métier et une bienveillance presque paternelle. En retour, l'apprenti devait au maître, honneur, soumission et le service gratuit de son temps d'apprentissage. Si quelque différend s'élevait entre eux, on en référait aux gardes qui, tout en punissant les apprentis rebelles et coupables, devaient aussi déployer une équitable rigueur contre des maîtres durs et méchants qui regardaient leurs jeunes apprentis moins comme des enfants à instruire, que comme des machines dont ils extorquaient, avec une inhumaine avidité, la plus grande somme de gain et de bénéfice possible. Les statuts n'accordaient aux maîtres le droit de prendre un apprenti à leur service, qu'après la seconde année de leur entrée dans la maîtrise. C'était une disposition singulièrement favorable à l'apprenti, puisqu'en recevant son instruction d'un maître plus expériwenté et déjà éprouvé par deux années de commerce, elle n'en devenait que plus solide et plus profonde.

Les maîtres jouissaient des plus précieux priviléges à l'égard de leurs fils qui, par ce seul titre voyaient tomber devant eux les innombrables entraves de l'apprentissage et de l'examen. Les veuves des maîtres possédaient également quelques prérogatives. Elles pouvaient continuer le métier de leurs époux, avec les mêmes droits, pourvu toutefois qu'elles eussent prêté serment de fidélité aux statuts, payé plusieurs sommes au coffre du métier, à la confrérie et qu'elles demeurassent en viduité; car, si elles contractaient une nouvelle alliance, elles perdaient immédiatement toutes ces prérogatives, dont elles jouissaient à titre de veuves de maîtres.

Au moyen âge et même dans toute l'antiquité, les maîtres du même métier avaient l'usage de se réunir dans des quartiers spéciaux. A Rome, les marchands se classaient par genre d'industrie; au Forum, les banquiers; au quartier Tusculan, les marchands d'étoffe de soie, les contiseurs, les parfumeurs, les droguistes; dans Argitèle, les cordonniers; sous le portique d'Agrippa, les marchands de riches habits; sur la voie sacrée, les fournisseurs de toutes les brillantes bagatelles que l'on offrait aux femmes; à l'entrée des cirques, des bains ou des théâtres, les marchands de vin, de boissons, d'aliments cuits. Au moyen age, un grand nombre de villes présentaient le même spectacle: les noms de beaucoup de rues en sont encore de vivants témoignages. Ainsi à Rouen, les rues des Bonnetiers; des Pelletiers ou marchands de peaux et de fourrages; des Tapissiers, fabricants et débitants de Lapis à haute et basse lice; à Rennes, les rues aux Foulous, où se trouvaient des ateliers de foulons à drap; de la Cordonnerie, de la Parcheminerie; de la vieille-Laiterie; de la Tixerandrie; à Saint-Brieuc la rue aux Toiles; à Dinan, la rue de la Lainerie.

Ce voisinage des boutiques ainsi rangées dans une même rue, occasionna souvent de Vives animosités entre des marchands rivaux. Pour ce motif, les statuts défendaient ox pressément d'appeler et de retirer les acheteurs du magasin d'un autre à peine de punition et d'amende. Néanmoins, les querelles n'étaient pas rares à ce sujet : l'acheteur inoffensif, victime des bruyantes et injurieuses clameurs des marchands jaloux, se vit plus d'une fois obligé à une fuite prudente à travers les rangs ameutés d'une populace railleuse.

Sous ce rapport, le classement des mêmes industries par rues et quartiers avait quelques inconvénients: d'un autre côté, il pouvait être utile à l'acheteur, en ce sens qu'il lui facilitait l'achat de ses marchandises. Une longue rue toute peuplée de boutiques pareilles, ressemblait presque à la galerie d'un musée. Spectateur intéressé et d'une perspicacité ra

(27) Voir un petit volume ayant pour titre: Associations de prières pour la réparation des blasphèmes, etc; Tours, Mame et Compagnie, 1818, in-18, pag. 56-61.

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