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tion délétère ou méphitique, produit par les émanations hydro-sulfureuses du voisinage des Balkans, où se trouvent des volcans éteints et plusieurs sources thermales d'une odeur suffocante. Cette dernière opinion m'a paru beaucoup plus convaincante, et je crois que c'est la seule cause de cette maladie. Il est encore une autre affection redoutable pour les moutons et les chèvres, ce sont les obstructions causées par la présence de substances terreuses et de l'humus des végétaux dont se recouvrent, après les vents et les pluies, les différentes herbes des pâturages, et après l'injection desquelles on aurait abreuvé l'animal. La variole sévit aussi très fréquemment et avec beaucoup d'intensité sur les moutons et les chèvres. Plus de 20 000 de ces animaux succombent annuellement aux différentes épizooties qui ravagent cette contrée, et contre lesquelles on n'a ici que fort peu de moyens préservatifs et curatifs. Au kellebek ou hydatides du foie, après la saison pluvieuse et humide, quand les troupeaux indisposés font pressentir cette maladie, le pasteur s'empresse de constater cette affection par l'autopsie, après quoi, s'en s'inquiéter davantage du moyen de les guérir, il se débarrasse bien vite de ces bestiaux, les vendant au boucher. Au tcheliklimé ou asphyxie, produite par les émanations hydro-sulfureuses, c'est la saignée pratiquée sur les veines du front de l'animal, remède fort peu efficace. Le dallak ou engorgement de la rate est, dit-on, guéri par l'immersion répétée de l'animal dans l'eau froide et de source de certaines parties des Balkans. A la variole, ils opposent l'inoculation au moyen d'un fil de soie passé à une longue aiguille qui tra-›

verse l'oreille de l'animal. L'acarus scabiei ou gale nommée ici guidjik, et qui sévit plus particulièrement sur les chèvres, passe, dit-on, par des frictions répétées avec de la graisse de mouton ou d'autres substances onctueuses dans lesquelles on a fait macérer du tabac.

Islimnia possède dans ses environs de nombreuses sources d'eaux thermales; je ne citerai que les principales comme jouissant d'une réputation justement méritée. Ce sont Djinali-Lidjassi, à 2 heures environ O. sur la route et dans la direction d'Eni-Zaaghra, eau très chaude et sulfureuse; Baïrakli-Lidjassi 6 heures O., canton d'Eni-Zaaghra source chaude et saline. Aétos Lidjassi, 14 heures E., sulfureuse et de moyenne température ; cette dernière prise à l'intérieure a un effet purgatif très violent. Les habitants des environs font un usage immodéré de cette eau dans une foule de cas et s'en trouvent, dit-on, très bien. Ces bains ne sont pas entretenus et personne n'est chargé de leur surveillance et de leur direction. Tous sont abandonnés à la garde de Dieu et aux injures du temps; quelques-uns cependant conservent encore les restes des travaux exécutés par les Romains qui avaient su apprécier l'importance de ces sources et en avaient fait des thermes qui chez eux, on le sait, étaient de splendides édifices.

Islimnia est une des villes les plus fécondes, les plus industrielles de tout l'empire ottoman. Elle est aussi une des plus importantes, et par son commerce et par sa position topographique au pied des Balkans dont elle est le boulevard et la vigie attentive; et cependant cette ville, fort peu fréquentée par les étrangers dont elle est peu connue, est restée en arrière de toute im

pulsion administrative et reléguée par des fonctionnaires incapables au coin de tant de localités ignorées de cet immense empire. Vu de la hauteur des Balkans, l'aspect de ce pays est admirable; au débouché d'une profonde vallée qui s'ouvre en entonnoir sur le versant des monts, on aperçoit, dans les anfractuosités de ce ravin, des chalets, des moulins comme perdus dans les gouffres de profonds précipices au milieu desquels se joue un gros ruisseau qui alimente cette pépinière d'habitations, pour, après mille circonvolutions, ressortir et se déverser en une large nappe sur Islimnia. Cette ville semble s'épanouir et se multiplier sur un immense espace, étalant sa large robe de verdure sous les blanches murailles des fabriques impériales; le vert sombre de ses jardins touffus se mêle et se confond avec le rouge des toits, et la luisante parure des minarets aux flèches élancées, à la cuirasse de plomb, qui surgissent capricieux de mille bosquets. Elle paraît belle de la splendeur de son paysage au voyageur attristé par les longues heures de la solitude et du silence des Balkans aux sombres forêts de hêtres et d'érables; ou au sol granitique de roches calcinées et vomies par les volcans. L'étranger se sent plus à l'aise au sortir de ce noir labyrinthe habité seulement par les oiseaux de proie. Le coup d'œil qui s'offre à lui alors est magnifique et au delà de toute description. Au loin l'immensité des plaines de la Thrace sillonnée de collines qui se dressent onduleuses comme l'Océan, alors que la tempête gonfle ses vagues géantes, un horizon sans fin se confondant avec les cimes argentées des monts Athos et Rhodope et la masse cotonneuse de

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nuages diaprés aux ardentes couleurs ; à ses côtés, derrière lui, la chaîne des Balkans, colossal réseau aux sombres forêts, à la tête granitique; à ses pieds, presque sous lui, riante et parfumée, Islimnia, avec son écharpe de verdure, se miroitant dans les méandres sans fin de mille ruisseaux, humectant ses jardins.

Ce que j'écris n'est point de la poésie; l'Égypte vue du haut de la pyramide de Chéops est bien belle; la Syrie, du sommet du mont Mahemed offre un coup d'œil magique. Toute l'Abazie, la basse Arménie, la mer Noire vues du colossal Téges (Cara Kapan), cé– lèbre par le cri d'enthousiasme et d'espoir jeté par les soldats de Xénophon, ne peuvent se dépeindre qu'imparfaitement eh bien, le spectacle grandiose de la Thrace et de la Macédoine, image de l'immensité envisagée du haut des Balkans, est aussi beau que toutes ces merveilles de la nature réunies.

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Arrivé à Islimnia tout disparaît, tout change, et on se prend à regretter la magnificence du coup d'œil qui vous a fait apercevoir dans son ensemble un monde en perspective. A part la fabrique impériale dont les élégantes bâtisses rappellent notre confort européen, Islimnia redevient ce qu'elle a toujours été, c'est-à-dire une ville turque par excellence. De loin, un séjour enchanté avec ses magnificences poétiques; de près, des maisons d'une apparence plus qu'ordinaire, toutes inégalement construites, sans goût, marquant des rues étroites et mal pavées; des bazars à angles droits, de longues rangées de boutiques, des échoppes informes où s'accroupissent nonchalamment des artisans et des vendeurs, fainéants, avides de fumée de tabac, altérés

d'arome de café amer, mélangé d'orge torréfié et de brou de noix.

Comparativement à l'état ordinaire de presque toutes les villes de la Bulgarie, Islimnia a quelque chose cependant qui plaide en sa faveur; ses rues sont plus larges et plus aérées; on y remarque plus de propreté, les cours d'eau qui l'arrosent facilitent l'écoulément des égouts et l'assainissement de toute la ville, là où dans d'autres localités des foyers d'immondices obstruent toujours la voie publique et en font un vaste bourbier. Avec un peu de soin, cette ville, construite comme elle l'est, sur un plan incliné, arrosée de tous côtés par une foule de petits ruisseaux, pourrait devenir un des séjours les plus agréables de tout l'empire ottoman. La haute classe d'Islimnia est propre dans son intérieur, et met souvent de la coquetterie dans son modeste ameublement, toujours battu, épousseté; il n'y a pas jusqu'aux planches les plus ordinaires qui ne soient frottées et luisantes des passes répétées de la maîtresse de la maison, dont les mains sont devenues calleuses à ce genre de travail, qui lui ruine la santé et ronge une partie de son existence. Le reste de la population d'Islimnia est en général sale et malpropre ; les Bulgares, par leurs nonchalantes habitudes, laissent la plupart du temps croître la vermine sur leur corps toujours imprégné de sueur; ils changent rarement de vêtements et se couchent ordinairement habillés; aussi en est-il qui repoussent par une odeur indéfinissable, excessivement répugnante pour l'étranger.

Le caractère des habitants d'Islimnia est industriel et mercantile, celui des environs essentiellement agri

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