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tionner à la fin que le scribe était en même temps un poète. Un jaloux avait gratté son inscription en vers: il nous en prévient et nous la transcrit de nouveau dans le recueil de ses œuvres. L'inspiration fut heureuse sans cela, nous n'aurions peut-être jamais su ce détail.

Toutefois, il n'était copiste que par occasion: il était avant tout versificateur, poète, si l'on consent à lui donner ce nom. Il a employé presque toutes les espèces de vers, les hexamètres, les élégiaques, les tétramètres, les catalectes, les acrostiches, les adoniques, les dactyliques, les saphiques; presque tous sont rimés, soit au milieu, soit à la fin. Même quand il s'occupe de ces sujets sérieux que l'on traitait dans les écoles, tels que la manière d'étudier, la manière de parler, c'est encore en vers qu'il les traite (1). Il commence par dis

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diocèse de Chartres, et de Ste-Honorine du Confluent, dans le diocèse de Paris; une lettre du pape Urbain II au même archevêque pour lui faire révoquer, comme irreligieuse et inhumaine, la défense qu'il avait faite aux moines du Bec qui sont à l'église de St-Pierre du Pont-Isare de sonner leurs cloches à l'heure des offices;une lettre du pape Innocent II à Létard, abbé du Bec, dans laquelle il confirme à l'abbaye la donation de l'église Ste-Trinité de Beaumont, faite par Galeran, comte de Meulan; une lettre du même pape à l'abbé du Bec, datée de Paris, le 7 des ides d'août, où il témoigne de son affection paternelle pour l'abbaye du Bec, et remercie d'un livre qu'on a bien voulu lui prêter; — enfin, car je ne peux tout citer, une lettre du même pape à Henri, roi d'Angleterre, à propos de l'insubordination de l'abbé de St-Wandrille, qui négligeait ses devoirs d'abbé et refusait d'obéir à l'archevêque de Rouen. Id., du f 163, r° au f 170, vo. describunt omne leg

(1) Hi versus stud Formant ingen

ium

-

meditandi vel retin

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endi.

Id., fos 188 r° et v° et 189 ro et vo.

tinguer, avec Pythagore, trois facultés dans l'âme la volonté, l'intelligence et la mémoire. La première est un mouvement incoërcible de l'âme, qui lui permet de ne se déterminer que pour ce qui lui plaît; la seconde lui fait connaître le présent, et la troisième lui rappelle le passé de ces deux dernières, celle-ci est la plus précieuse, c'est la source même du savoir, car rien ne sert de comprendre ce qu'on ne peut retenir. C'est donc la mémoire qu'il faut exercer et perfectionner, si l'on veut atteindre les hauteurs de la science. Il y a donc une méthode pour bien lire (legendi) et une autre pour étudier (meditandi). Dans un livre, il faut faire attention à la valeur de chaque mot, sans passer une syllabe; il faut creuser dans ses moindres replis la pensée de l'auteur, en rapprochant les conséquences des prémisses. Si le sens vrai nous échappe, il faut prendre le sens le plus voisin, d'après les règles de la foi (sana fidei). Une page ainsi étudiée ne peut manquer d'être de la plus grande utilité. — Il s'agit alors de retenir et d'étudier. Pour cela, quand on lit, on doit observer dans quelle partie du livre se trouve le passage dont on s'occupe, à la fin, au milieu ou au commencement, comment est faite la page, quelle est la couleur du parchemin et de l'encre, la grandeur des lettres. Ce sont là autant de petits moyens qui permettent de classer les pensées dans les casiers de l'intelligence. Il ne faut pas passer d'une lecture à une autre, cela énerve l'esprit (1), mais lire un livre d'un bout à l'autre, pour donner plus de force et de souplesse à l'intelligence. Il faut ensuite trouver le temps de réfléchir et de repasser dans sa pensée ce

(1) L'auteur semble s'être inspiré ici des Lettres à Lucilius,

que l'on a lu. Ainsi font les animaux auxquels il ne suffit pas de paître pour se nourrir, et qui ont besoin de ruminer. Ainsi donc, le commencement de l'étude c'est la lecture, et c'est l'étude et la méditation qui font le savant et le sage. Quant au goût pour le travail vient se joindre une intelligence d'élite, il faut discuter ce que dit celui-ci ou celui-là, voir quelles sont ses tendances, ses conclusions, quelles objections on peut lui faire et comment on peut les résoudre, quel sens peut surgir de ses paroles. Grâce à cette activité opiniâtre, on arrive à contempler la vraie lumière de l'intelligence et la source même de la sagesse. Il y a toutefois trois écueils à éviter : il ne faut dédaigner la lecture d'aucun livre, ne pas rougir d'apprendre de qui que ce soit ce qu'on ignore, — et ne pas dédaigner les autres parce qu'on se figure avoir acquis quelque science.

J'ai tenu, Messieurs, à analyser ce traité versifié de l'Art d'étudier, parce qu'il nous donne une idée des systèmes pédagogiques en usage dans les grandes écoles monacales du XIIe siècle, et spécialement à l'abbaye du Bec. A côté de conseils de la plus haute importance, y a quelques détails vraiment puérils; mais ils n'en peignent que mieux les habitudes du temps. Nous retrouvons, d'ailleurs, les mêmes qualités et les mêmes défauts dans un autre traité sur l'Art de parler (1)

il

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qui fait suite au premier, ainsi que l'auteur nous le fait lui-même remarquer. Qui sait lire, réfléchir et retenir doit savoir exprimer ce qu'il a appris, car à quoi sert un trésor dont on n'aurait pas la clef? -A ce sujet, Étienne s'occupe des choses les plus élémentaires; c'est ainsi qu'il étudie, comme le fera plus tard le maître de philosophie du Bourgeois-Gentilhomme, la manière de former les mots à l'aide de la langue, des dents, du palais et des lèvres. Sa sollicitude s'étend aussi à la voix, qui ne doit être ni rauque ni rude, mais douce et suave; -il parle de la salive, qui, lorsqu'elle est trop abondante, rend la prononciation souvent gênée.-Il recommande à celui qui doit parler en public de boire peu de vin cela embarrasse la langue et trouble le cerveau. Il termine enfin par un abrégé de rhétorique qu'il divise, d'après Cicéron, en cinq parties.

Tout cela sent l'école et n'a peut-être pas une grande valeur; mais c'est un échantillon de ce qu'était et de ce que pouvait être alors la poésie didactique. Le De arte meditandi et le De arte loquendi ne sont certes pas à comparer à l'Art poétique d'Horace, pas plus que les autres petites pièces, dont j'ai eu l'occasion de parler, ne sont à mettre en parallèle avec ses odes, ses satires et ses épîtres. Étienne est un poète dur, maniéré, prétentieux; mais c'est un homme studieux et savant, et à ce titre il mérite un certain respect. Il a consacré sa vie entière à s'instruire et, s'il eût vécu à une époque plus raffinée et d'un goût plus pur, il eût pu faire des œuvres durables, car il ne manque pas d'une certaine verve. Condamné à la médiocrité littéraire par la nature même des choses, il a eu au moins le mérite d'aimer les sciences di

vines (1) et humaines, et de consacrer ses loisirs à la reproduction intelligente des textes sacrés et profanes. Ce qui touche à la rhétorique l'intéressait vivement. C'est pour cela qu'il copiait soit des déclamations de Sénèque et d'autres auteurs (2), soit des extraits des partitions oratoires de Cicéron (3), soit la Dialectique de Martianus Capella, avec le Commentaire de Remi d'Auxerre (4). Mais ce qui, à mon avis, a une im

(1) Quid enim in hac vita dulcius, quid utilius quam meditari in lege Domini die ac nocte, dum ipsa divinæ sapientiæ meditatio geminam conferat utilitatem, quia et animam studiosi a vanitate mundi abstrahit et intellectum mentis erudiens ad contemplationem Creatoris sustollit. Habeant ceteri divitias suas, nostræ divitiæ sint die noctuque divinarum scripturarum secreta rimari. Quis autem omnia penetrare, omnia intelligere, omnia percipere valeat ?....

Id., fo 6, v', Proœmium Stephani in librum sententiarum super Isaïam.

(2) Oratio invectiva in Tereum Gracchi Neronis filium pro amputatione linguæ uxoris, quam si quis intento animo legere voluerit, et divisiones totius orationis et earum ordinatas absolutiones et principii et conclusionis modum considerare voluerit, quam utilis sit facile perspiciet. Id., f 129 à 131.

Ex primo libro Seneca de causis (fo 131).

Ex libro secundo (fo 133).

Ex libro tertio (fo 134).

Ex libro quarto (fo 134).

Ex libro septimo (fo 135).

Ex libro decimo (f 137).

Ex eisdem libris (f° 138).

(3) Ex libro Tullii de partitione oratoria. Omnis doctrina dicendi

in tres partes distributa est.....

(4) Martiani Minei Felicis Capella dialectica incipit.....

(Id., fo 138, vo.)

(Id., f 139, r.)

(Id., f° 150, vo.)

(Id., fo 156, vo.)

Explicit dialectica Martiani, incipit de commento Remigii.

Explicit de commento Remigii.

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