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C'est vrai, répond Étienne, et quoique j'aie le bon droit pour moi, c'est bien peu de chose, paraît-il; « ...mais « enfin, qui jamais a pu te dire, qui jamais a pu ima

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giner ce que tu m'as écrit ? Ce ne peut être, je le vois « bien, que mon précepteur, si célèbre par sa science, " mais envers lequel je suis probablement coupable, à « ce qu'il croit, bien qu'il me soit très-cher. Dieu fasse cependant qu'il me témoigne la bienveillance qu'il me doit, de peur que l'antique serpent ne change « mon affection en haine (1). ...Mais enfin, si j'ai fait quelque faute en le priant, d'un ton mécontent, d'envoyer le livre que j'ai composé avec tant de soin

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(1) Talia quis di — xit — tibi, vel sub pectore fin- xit

Qualia scripsisti— michi vel iam scripta ded- isti ?

Est, reor, ille m

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eus

In quem forte r

(præceptor dogmate cl

nunc sum cum sit michi c

Sed Deus æternus hunc afferat esse benignum

Semper, ut est dignum, ne serpens ille veternus

In proprium m

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nostrum convertat am

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Si quid peccavi — nostrum cum forte rog avi

Mitteret ut bellum me iam frendente libellum,

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Obsecro per Christum — qui mundum condidit — istum,
Ut michi nunc ven- - iam det, amicus quo sibi fi — am

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Id., for 183, r°; 183, vo; 184, ro.

(il revient plus tard, fos 194 à 197, sur ce livre), je « le prie, au nom du Christ, auteur du monde, de me

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pardonner maintenant et de me permettre de redeve«nir son ami. Je prépare une pièce de vers que Clio «<lui transmettra. Mais, crois-moi, ne te laisse pas << encore entraîner à te faire moine. Je désire, pour le « moment, que tu continues tes études de clerc ; il te <«< reste encore du temps, et personne ne te tourmente. « Continue donc d'apprendre ce que tu ignores. L'été prochain passera, puis un autre; un troisième enfin « viendra réchauffer la terre... avant qu'on te voie porter le capuchon noir du moine, avant que tu a changes ton costume et que tu sacrifies tes goûts. «Tu m'écris que ceux chez lesquels tu as pu prendre « un logement te donnent ta nourriture, et tu nous « demandes, comme déjà précédemment, que nous te fournissions des vêtements. Je t'envoie des écus d'or, «tout flambants neufs; je désire qu'ils te fassent plaisir. «Donne-les à Gislebert, ton père nourricier, pour qu'il « t'achète une cape magnifique. >>

(

Mais, après cet acte de générosité, Étienne croit être en droit de revenir sur les reproches que lui avait faits Rodulphe: « Tu m'écris, lui dit-il, que je suis « irascible et orgueilleux: ce sont là des défauts que « mon cœur, je pense, ne connaît pas. Je crois que je <«<< suis ferme, non orgueilleux, et quiconque est << ferme ne craint rien. Mais l'homme vaniteux est « envieux et craintif. Je ne crains pas les difficultés,

je ne les cherche pas non plus. Je ne suis pas un «orgueilleux, et je ne fais rien pour le devenir. Adieu, « mon ami. »

Ce n'était cependant pas un mauvais moine que cet Étienne, et lui-même prend soin de nous dire com

ment il entend la profession monacale (1). « Souvent, « écrit-il, je regarde tout autour de moi pour voir ce qu'il y a sous le capuchon noir du moine... Le moine « est celui qui rejette les actes du monde et qui suit

la règle de S. Benoît dans laquelle se trouve la formule de la vie et de l'amour du Seigneur. La vie mo« nacale pour lui est le miroir du repos, de la vérité «<et du calme... Celui qui s'y est voué, s'il désire « monter au ciel, a trois choses à observer : il doit « suivre la règle de ceux sur la trace desquels il veut « marcher; le service du Christ doit être l'objet de sa « vénération, enfin il doit aimer et méditer la divine << philosophie.

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Ces idées élevées n'empêchent pas Étienne d'être quelquefois sombre, et son siècle, que nous regardons comme une époque de ferveur et de foi, lui paraît bien dégénéré en comparaison des siècles passés.

" Quand je considère, dit-il, ce qu'était le monde du • temps de nos pères (2), quelle était alors la justice,

(1) Parvus tractatus pingit quid sit monachatus.

Sæpe sed et multum mentis circumfero vultum,
Sub monachi pulla quæ constent cerno cuculla,
Quid sit nomen idem, vel quid monachatus eidem,
Quid sibi servandum, venerandum sit vel amandum,
Hæc tria dissolvi vellem quæ mente revolvi,

(2)

Quum considero quis fuit

Mundus temporibus patrum,

Quantæ institiæ, simul

Virtutis, sapientiæ,

At nunc qualiter occidat,

Defectum libet illius

Tali plangere carmine,

Id.. f 191, r°

« la vertu, la science, et dans quelle décadence il « est maintenant, je ne puis m'empêcher de déplorer «< cette ruine dans mes vers. Le monde, autrefois si

distingué par son intelligence, ses richesses, sa foi, « court maintenant à sa perte; la Religion se meurt......., "tout n'est plus que contradiction; l'affection n'existe << plus et la haine est partout. Le vent de la discorde "souffle et dessèche les cœurs. Le fils n'épargne pas « son père, et le père ne sait pas pardonner à son «fils unique. Quiconque le peut opprime ses frères. « L'amour du Christ est bien rare aujourd'hui. Même «<ici on aurait de la peine à trouver Dieu, car Dieu «< c'est l'amour, et à peine ici trouve-t-on l'amour ; "Dieu s'y trouve donc à peine.

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Le tableau n'est pas flatté; c'est du reste l'éternelle histoire du vieillard d'Horace et pourtant Étienne qui, au fond, espère voir Rodulphe prendre un jour la robe de moine (1), croit encore quelque peu, quoi qu'il en dise, au savoir et à la vertu de son temps. Il a d'ailleurs bien des moyens de se consoler et de couler doucement ses jours dans la solitude du Bec. La poésie, la philosophie, la rhétorique, l'érudition en voilà, certes, plus

Mundus qui fuit inclitus
Sensu, divitiis, fide

Prisco tempore, iam ruit;
Omnis religio cadit.

Id., f 193, vo.

(1)

Sed iam valeas michi chare,
Indutum quem monachilem
Me cernere spero cucullam,
Cum munere Pneumatis almi.
Id., fo 194, ro,

qu'il n'en faut pour faire oublier bien des ennuis, et il s'y livre tout entier.

D'après sa correspondance, nous avons déjà pu juger de ce qu'il vaut comme poète bel esprit (1); mais ce n'est qu'une des faces de son talent. Il se mêle aussi de faire des panégyriques qui ne sont pas les pièces les moins curieuses de son recueil. Il est impossible d'abuser de la flatterie plus qu'il ne le fait dans son Eloge funèbre de Galeran, comte de Meulan, mort le 11 avril 1166 (2). C'est une longue pièce en vers élégiaques, dans laquelle, à côté des banalités ordinaires à ces sortes d'ouvrages, se trouve l'hyperbole la plus échevelée. « Pour la beauté, Galeran était un « Pâris; pour la stature, un Nestor; pour la prudence, un Ulysse; pour la valeur, un Hector; pour « les richesses, un Crésus; pour l'érudition, un Quintilien; pour l'éloquence, un Cicéron; pour les talents << poétiques, un Virgile (3). »

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Tous ces compliments s'expliquent cependant si l'on songe qu'un jour, méprisant les grandeurs et les gloires éphémères du monde, Galeran était venu finir sa vie sous l'humble robe du moine, et qu'il repose, attendant la résurrection, dans la gracieuse vallée où

(1) Il est encore poète bel esprit dans la petite pièce qui commence par ce vers:

Cur A ponatur primum mea pagina fatur.

Id., fo 191, v

(2) Ce poème a été publié par dom Martène, dans le 1er volume de son Amplissima Collectio, p. 875-878.

(3)

Hic Paris in facie, statura Nestor, Ulixes
Consilio, belli viribus Hector erat,

Cresus divitiis, in causis Quintilianus,
Eloquio Cicero, versibus ipse Maro!

Id., fo 1, v°.

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