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Enfin, c'est vraisemblablement à un courant de déportations nouvelles, et notamment à la déportation en masse de l'année 804, qu'il faut attribuer, sinon la fondation proprement dite de la ville de Caen, au moins le développement de ce qui n'était peut-être, dans le principe, qu'un simple village, fondé, comme tant d'autres, par les Cattes.

Or le Bessin offre, en outre, un phénomène étrange, c'est la persistance non-seulement des noms de lieux, mais encore, ce qui se conçoit beaucoup moins, de cette langue du Nord encore parlée à Bayeux au commencement du XIe siècle phénomène difficile à expliquer sans un courant de migrations successives comme l'histoire nous permet de le supposer.

Ainsi, nous voyons les premiers ducs de Normandie envoyer leurs enfants en bas-âge à Bayeux, afin qu'ils pussent y apprendre l'ancienne langue danoise, que l'on ne parlait déjà plus dans la capitale même de la Normandie, c'est-à-dire à Rouen, mais que les conquérants eux-mêmes avaient abandonnée pour adopter la langue romane des peuples vaincus.

C'est sans doute grâce à la persistance du langage que nous retrouvons encore les traces de ces anciennes colonies saxonnes, et c'est à peu près aujourd'hui, avec un certain type sui generis et quelques traces matérielles, le seul signe distinctif des races d'origine saxonne qui subsiste encore pour nous.

Etienne de Rouen, moine du Bec, au XII' siècle. Etude d'après le ms, 14,176, fonds latin, de la Bibliothèque nationale, par Ch. Fierville.

MESSIEURS,

Je viens essayer de faire revivre un instant devant vous une figure bien oubliée du XIIe siècle, qui peutêtre mérite d'être remise en lumière, c'est celle d'Étienne de Rouen, moine du Bec, auteur d'un certain nombre de pièces de vers, et surtout d'un Abrégé dé Quintilien, d'une grande valeur, que j'ai déjà eu l'occasion de signaler, l'an dernier, à l'attention du monde savant (1).

Sans doute Étienne de Rouen est un bien mince personnage, si on le compare à Lanfranc, à saint Anselme, à Robert de Torigny, à Alexandre II, à Yves de Chartres, et même à Guillaume de Conches; cependant, il mérite d'être cité au nombre de ceux qui, au XI et au XIIe siècle, firent honneur à la grande et fameuse école du Bec, d'où sortirent alors tant d'hommes distingués dans les sciences divines et dans les sciences humaines (2).

Je me contenterai aujourd'hui de vous raconter ce que j'ai pu trouver de sa vie, et de vous parler de ses œuvres poétiques.

(1) De Quintilianeis codicibus, et præcipue, inter nostros, de codice Carcassonensi, disquisitionem proponebat C. Fierville. In-8°, Hachette, 1874, 215 pages.

De

(2) Beccum magnum et famosum litteraturæ gymnasium. schola Beccensi eloquentes divinis et sæcularibus sophiste processerunt. Orderic Vital, liv. IV, c. 10.

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Etienne de Rouen nous a laissé un petit volume manuscrit, écrit par lui-même, composé de 203 feuillets en parchemin (0,133 sur 0,100), qui a fait longtemps partie de la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, d'abord sous le n° 771, puis sous le n° 1547, et qui, après l'incendie de St-Germain, en 1794, passa à la Bibliothèque Nationale, où il est conservé sous le n° 14,146, fonds latin. C'est dans ce volume qu'il nous faut aller chercher tout ce qui concerne son auteur. Il vivait dans le courant du XIIe siècle, et il a soin de mettre son nom en tête de presque tous ses opuscules, avec une sorte de prodigalité qui contraste avec les rares détails qu'il laisse entrevoir pour ce qui concerne sa biographie. Toutefois, si incomplets qu'ils soient, ils nous suffisent: la vie d'un moine, absorbé par la prière et par l'étude, ne peut pas offrir beaucoup de péripéties.« Il avait, nous dit-il, le nom et remplis<< sait les fonctions du bienheureux martyr qui, le pre« mier au monde, versa son sang pour le Christ, et il " vivait sous la règle aimable du vénérable Benoît (1). » Craignant peut-être de n'avoir pas été assez clair, il

(1)

Possidet auctor

Nominis artem

Officiumque

Martyris almi

Qui celebravit,

Primus in orbe,

Sanguine fuso

Prælia Christi.

Hunc volo noscas
Sub Benedicti

Patris amanda

Vivere norma.

Bibl. Nat., Ms. 14,146, f 171, ro

répète la même idée ailleurs, et ajoute, sous forme d'explication : « Je m'appelle Étienne, sachez-le bien (1). « Or vous n'ignorez pas qu'il y a une enceinte de «< bâtiments sacrés... dont la renommée se répan«dant dans le monde entier, et s'élevant jusqu'aux << astres, va frapper la voûte des cieux. Son nom « s'écrit avec six lettres, BECCVS. C'est là que je passe << ma vie (2). >>

Le Bec était même pour lui comme une seconde maison paternelle. Un de ses oncles, si connu sous le nom de Bernard le Vénérable, l'y avait précédé et n'en était sorti que pour aller gouverner pendant dix-huit ans, en qualité d'abbé (1131-1149), la célèbre abbaye du Mont-St-Michel. Aussi Étienne de Rouen se vante-t-il avec une sorte de naïf orgueil d'être le neveu de cet

(1)

(2)

Auctor, ut ipse canit, nominis arcem
Possidet, illius fungitur officio

Qui Christi primus bella peregit,
Perfusus proprii fonte cruoris.

Inspice quod Stephanus dicitur iste.

Id., fo 178, ro.

Hos circumseptos tegmine sacro
Noveris ex patrum fonte meare,
Quem Christi clarus continet hortus,
Cuius discurrens fama per orbem,
Astraque transcendens, culmina cœli
Concutit ac penetrat, scandet et implet.
Hujus si nomen noscere gliscis,
Claudere bis ternas cerne figuras.
B præcedit in his, E sibi vicina,
C sequitur, qua sit syllaba prima.
Altera C subit has V sibi subdens
Quas S concludit subdita cunctis.
Id., ibid.

illustre abbé (1), qu'il appelle son père, la fleur des abbés, la lumière de tous les moines que la terre porte (2), et dont la sagesse est connue jusqu'aux deux pôles. Sa vénération pour son oncle est une espèce de culte. « Heureuse, « s'écrie-t-il, la femme qui a été la mère d'un si grand << homme, et toi, abbaye du Bec, qui as fait germer cette fleur dont la suave odeur se répand partout, ates louanges méritent d'être célébrées dans tout « l'univers (3).

מ

Cela ne lui suffit pas encore: il tient à nous faire savoir que son oncle (et lui aussi, par conséquent) était de noble origine; que ses parents tenaient un rang honorable parmi les premières familles de Normandie (4); qu'il était allé étudier à Paris, et que ni la

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(4) Nous ne savons pas le nom de la famille de Bernard le Vénérable et d'Étienne de Rouen; toutefois, il faut remarquer qu'il y avait à l'abbaye du Mont-St-Michel un autre neveu de Bernard, nommé

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