Page images
PDF
EPUB

subtil, une composition agréable et facile, tout en constatant qu'on ne trouve pas, dans ses œuvres, ce fini que donnent seuls un travail assidu et la méditation incessante des grands modèles classiques.

M. de Beaurepaire estime, avec raison ce semble, que le jugement de l'évêque d'Avranches doit être modifié, en présence d'un manuscrit découvert à Valognes par M. Léopold Delisle, et contenant des vers de Garaby jusque-là inédits. Ce qui mérite surtout d'attirer l'attention des érudits contemporains sur les œuvres de cet auteur, c'est, affirme-t-il, l'esprit satyrique incisif; c'est la verve humoristique et railleuse. Dans les poésies du sieur de La Luzerne, on voit se dessiner avec un relief énergique les vices et les travers de son temps, souvent même ceux de l'humanité à toutes les époques. On pourrait citer comme exemple de ce style parfois amusant dans sa bizarrerie une glose curieuse, venant après une pièce de vers assez insignifiante sur les inconvénients du mariage, qui forme, malgré ses dangers, l'apanage commun de presque tous les hommes.

Un autre travail, à la fois biographique et littéraire qui nous a paru des plus instructifs, est l'article qu'un professeur de l'Université, M. Charles Le Breton, a consacré à commenter le Roman des Franceis, œuvre poétique d'un trouvère normand du XIIIe siècle, indiquée plutôt qu'expliquée dans la grande histoire des trouvères et des jongleurs publiée par le savant abbé De La Rue.

André de Coutances, auteur de ce petit poème, avait, tout le fait croire, abandonné complètement la Normandie, sa patrie, pour suivre en Angleterre le roi Jean Sans Terre, dépossédé par Philippe-Auguste de son duché patrimonial. Écrivant sur une terre étran

gère, il était naturel qu'il manifestât, dans ses vers, cette rancune des exilés toujours si amère. Dans une composition romanesque qui racontait une guerre chimérique du passé, il se proposait sans doute de consoler par l'espoir d'un meilleur avenir les rois d'Angleterre, ses protecteurs, vaincus dans le présent.

Par une fiction assez semblable à celle que l'Arioste devait plus tard introduire dans son poème, dans un but différent, il suppose un siége de Paris entrepris par le roi Arthur, le fameux roi des Bretons. La grande ville, bien entendu, se défend mal et ne tarde pas à succomber. Sa chute est suivie immédiatement de la conquête que font les soldats de l'Angleterre de la contrée entière possédée alors par les Français.

En elle-même, cette fable n'a rien de bien intéressant, ni même de bien nouveau, puisqu'elle avait déjà, paraît-il, servi de thème à quelques-unes des poésies des trouvères anglo-normands. Mais elle est accompagnée dans le récit d'André de Coutances de quelques particularités bizarres que signale et explique l'auteur de l'article que nous apprécions. Voici, par exemple, une étymologie étrange du nom porté par la capitale de la France, emprunté, s'il fallait en croire le vieux trouvère, à l'empressement de ses habitants à fuir la colère des légions d'Arthur, en délaissant leurs murailles.

a Engleis fièrement assaillirent,
Franceis mallement défendirent,
« Au premier assault se rendirent,
u Et honteusement d'en partirent,
A cet partir fut appelée

« Paris; ci n'a nul célée,

« Qui fut prime Lutèce nommée,

Et moult est de grand renommée. »

Parmi les vices nombreux que signale André chez les français de son temps, il en est un qu'on est assez surpris de trouver sous sa plume. Longtemps dirigés en sens inverse, les reproches qu'il leur adresse à cet égard ont fait, chez nous, l'objet de charges comiques à l'endroit des fils d'Albion. Les Français, à l'entendre, nation dénuée d'élégance et de bon goût, s'adonnent chaque jour à de grossiers festins, dans lesquels ils engloutissent avec voracité les viandes placées à leur portée, ne laissant rien à prendre à leurs chiens aspirant à profiter des reliefs de la table:

« Li chiens se plaignent d'autre part.

« Que quant l'os de la table part,
• Tout leur vient mègre, et tant à tard
Que du tot le trouvent bastard. »

Je m'arrête, et pourtant je suis loin d'avoir épuisé l'analyse des travaux intéressants à divers égards contenus dans le volume de la Société d'Avranches. Si, comme il est permis peut-être de le supposer, les exemples de la Société des Antiquaires de Normandie ont été pour quelque chose dans la constitution de la Société d'Avranches et dans la direction imprimée à ses travaux, notre Compagnie, j'ose l'affirmer, a lieu d'être fière de cette filiation scientifique. J'adresse, en son nom avec bonheur, au volume de 1873, un témoignage de félicitations cordiales et de sympathie fraternelle !

Description de l'abbaye du Mont-St-Michel et de ses abords, précédée d'une Notice historique, par Édouard Corroyer, archiviste du Gouvernement.

Il est des monuments d'un caractère de beauté si rare et si original qu'ils ont le privilége d'exciter l'admiration sans la lasser jamais. Le Mont-St-Michel appartient à cette catégorie des maîtresses-œuvres destinées à captiver indéfiniment les historiens, les antiquaires, les artistes, les rêveurs, les âmes pieuses aussi bien que les simples voyageurs, épris avant tout du pittoresque; aussi n'y a-t-il guères à s'étonner du nombre prodigieux de travaux de tout genre que provoque depuis quelques années l'étude de la sainte montagne, et qui viennent grossir cette collection Michelienne si riche déjà et si diversifiée. Les investigations, d'ailleurs, ne sont pas stériles et il semble que sous l'effort du travailleur le sujet se renouvelle et lui révèle des points de vue ignorés, des détails restés dans l'ombre et des aspects absolument inattendus.

L'un des ouvrages récents consacrés à ce grand sujet, qui mérite le plus justement d'attirer l'attention, est à coup sûr la description de l'abbaye par M. Édouard Corroyer, architecte du Gouvernement.

M. Corroyer fait partie de notre Société, et la question qu'il traite avec compétence et autorité intéresse trop particulièrement les archéologues de notre région, pour que nous n'en touchions pas ici quelques mots. Le but poursuivi par le savant et consciencieux architecte est exposé nettement dans un passage de sa préface, que nous croyons devoir textuellement reproduire :

«

« Pendant un séjour de plusieurs mois au Mont« St-Michel, écrit M. Gorroyer, j'ai exploré, étudié, « relevé et dessiné sous toutes les formes et avec le < plus grand soin et la plus grande exactitude, tous « les monuments qui le composent. Après avoir con«sulté les auteurs anciens et modernes qui ont réuni « dans leurs écrits de si précieuses indications, j'ai pu former un noyau de documents que des décou<< vertes récentes, faites pendant le cours des travaux de restauration commencés depuis 1873 par les soins << de la Commission des monuments historiques, sont << venues augmenter encore. Ils seront compris dans un << ouvrage que je m'efforcerai de rendre aussi complet « que possible, et que j'espère faire paraître bientôt << sous le titre de: Monographie archéologique du Mont« St-Michel. Il formerait, dans cette publication, l'un « des chapitres, sinon des plus intéressants, au moins << des plus nécessaires, c'est-à-dire l'étude critique de «l'architecture du Mont-St-Michel.

Pourtant, en raison de l'intérêt toujours croissant « qui s'attache à l'antique abbaye, j'ai pensé qu'une • description du Mont-St-Michel et de ses abords, précédée « d'une notice historique résumant mes recherches et << mes travaux, pourrait être bien accueillie, surtout << si elle apporte quelques documents inédits sur la « grande question que j'ai essayé de traiter. »

L'ambition si légitime de M. Corroyer n'a pas été déçue, et son étude élégante et consciencieuse a rencontré dans le monde archéologique le plus vif et le plus sympathique intérêt. Elle le méritait à bien des titres. Une notice historique dont les éléments sont empruntés aux sources les plus sûres, notamment aux traités de dom Huynes, ouvre le volume. La description

« PreviousContinue »