Page images
PDF
EPUB

centre et aux environs de cette ville gallo-romaine un établissement d'un caractère historique incontestable; et ce peuple paraît même avoir conservé longtemps, sous le gouvernement des rois Franks comme sous les Romains, une certaine autonomie, grâce à sa langue, à ses mœurs et à ses vertus guerrières, auxquelles les premiers mérovingiens firent souvent appel.

Il y a plus, ce n'est pas seulement à Bayeux même et aux environs que les Saxons fondèrent des colonies; mais c'est encore sur les côtes du Calvados en général, à Caen, où l'on a trouvé des vestiges incontestables attestant la présence d'un peuple déjà civilisé.

Ainsi, M. l'abbé De La Rue, dans ses Essais historiques sur la ville de Caen; Huet, dans les Origines de ladite ville, et Frédéric Vaultier, dans son Histoire de Caen, avaient déjà établi d'une façon vraisemblable l'origine saxonne de la capitale de la Basse-Normandie, lorsque M. Emile Travers a découvert à Caen même l'existence d'une ancienne chaussée saxonne.

L'établissement d'une véritable colonie de Saxons à Caen, et même la fondation de cette ville par les Saxons, paraît donc un fait historique aujourd'hui indiscutable, fait que confirme d'ailleurs l'étymologie naturelle d'un grand nombre de noms de lieux et de villages d'une origine évidemment germanique. L'on trouve par exemple dans la ville de Caen les rues Cattehoulle, du Ham, du Vaugueux... et l'ancien nom de la ville de Caen, Catheim, Cathim, Cathom... reflète sa fondation primitive par les Cattes, comme Chatham en Angleterre et Catwick en Hollande.

Enfin, ce n'est pas seulement sur le littoral du Calvados qu'il existe des traces d'anciennes colonies saxonnes; mais c'est encore sur les côtes de la Manche, notamment dans les environs de Granville, et c'est évidemment à des établissements saxons qu'il faut attribuer l'origine de cette race aux yeux bleus, aux cheveux blonds et à la haute stature, comme à la vocation décidée pour la navigation qui caractérise essentiellement la population des côtes de l'Avranchin. L'on trouve à Granville et dans les environs le quartier de Hérel, comme à Vire, la Houle, comme aux environs de Caen, Catteville, Hacqueville, Hocquigny, le cap Lihou, avec un exploratorium gallo-romain, Grainville, la Horie, Blaquemart... tous noms d'origine germanique.

Enfin, un affluent du Thar, sur la commune de St-Pierre-Langers, porte le nom de rivière d'Allemagne et arrose les vaux d'Allemagne, comme l'on trouve également aux environs de Caen la Haute et la Basse-Allemagne.

Sans doute, en l'absence de tout établissement politique proprement dit, il est difficile de prouver autrement que par induction l'existence des colonies saxonnes sur le littoral de l'Avranchin, dont l'origine se perd nécessairement dans la nuit des temps et se confond avec des siècles obscurs; mais ici, comme aux environs de Caen, les traditions et les légendes, ces reflets toujours vivaces de l'histoire, sont d'accord avec les noms de lieux.

La légende de saint Pair, évêque d'Avranches, contemporain de saint Vigor, apôtre des Saxons du Bessin, écrite par Fortunat, suppose dès cette époque aux environs de St-Pair et sur le littoral de Granville,

une race sui generis, très-différente de la race celtique, et qui ne peut être que la race saxonne, d'après le portrait saisissant que nous en a laissé l'historienpoëte de Poitiers.

D'un autre côté, un chemin qui paraît ancien et d'ailleurs beaucoup plus court que les anciennes voies romaines, reliait directement le littoral de Granville et le territoire de Caen, c'est-à-dire les deux colonies saxonnes. Ce chemin, c'est-à-dire la ligne de Villedieu, passait par Iquelon, Hocquigny, Champrepus, Villedieu, Pontfarcy, Villers-Bocage et Caen, toutes localités anciennes.

Tout porte donc à croire que, bien avant l'établissement des Normands sur nos côtes, les Saxons avaient déjà infusé du sang du Nord dans les veines de nos populations celtiques, sinon remplacé les indigènes par des colonies nouvelles, et vraisemblablement formé cette race du littoral, dont le caractère tout particulier est l'amour de la mer, le goût de la navigation ou une vocation déterminée pour cette vie de loups de mer qui a toujours caractérisé et qui caractérise encore, Dieu merci, les habitants de nos côtes.

Enfin, si l'on composait un dictionnaire des termes techniques employés par les marins et les pêcheurs de l'Avranchin, ou un vocabulaire des vieux mots empruntés à leur patois populaire, l'on y trouverait, comme à Bayeux, ce centre des colonies saxonnes, une langue à part, c'est-à-dire la langue des races germaniques, surtout dans ses rapports avec la pêche et la navigation.

En résumé, les premiers Saxons et notamment les Cattes, après avoir détruit les anciennes villes gallo

romaines de la deuxième Lyonnaise, avaient sans doute fondé de petites colonies éparses sur les côtes du Bessin et de l'Avranchin. Toutefois, il est probable que ces premiers établissements ressemblaient à ceux que peuvent fonder des pirates pourchassés d'abord et tolérés ensuite, lorsqu'ils se mêlent aux indigènes, acquittent l'impôt, obéissent aux lois et se soumettent aux gouvernants.

Il est d'ailleurs à remarquer que la Notice officielle de l'empire romain, rédigée au commencement du Ve siècle, n'indique de rivage saxon que dans la seconde Belgique ou dans la troisième Lyonnaise, tandis que la seconde ne possédait point de littus Saxonicum proprement dit, à moins que l'on ne suppose que les Saxons de Guérande étendaient leur autorité sur tout le littoral armoricain et notamment sur les côtes de la deuxième Lyonnaise, fait que ne confirme aucun document précis.

Quant aux Saxons de Bayeux, il est d'ailleurs peu vraisemblable qu'ils eussent assez d'importance, surtout dans les temps mérovingiens, pour créer une ville comme devait devenir la ville de Caen; et nous savons que la colonie des Bajocasses, prise à la solde de nos rois sans cesse en guerre avec les Bretons, fut maintes et maintes fois décimée sur les champs de bataille.

Il faut donc chercher ailleurs l'origine véritable d'une ville appelée à devenir la capitale de la BasseNormandie.

Ainsi, l'on ne rencontre dans les Capitulaires du roi Charles le Chauve, c'est-à-dire dans l'un des plus anciens documents géographiques que nous possédions, rien qui indique une contrée ayant à cette

époque un centre comme la ville de Caen, bien que l'on trouve néanmoins dans lesdits Capitulaires, avec leurs noms bien connus, ces pagi qui ont subsisté si longtemps en Normandie, savoir l'Avranchin, le Cotentin, le Bessin, le Cinglais, l'Hiesmois, le Lieuvin...... tandis que la partie du littoral occupée par le territoire de Caen ne paraît désignée que sous le nom saxon d'Otlingua saxonia.

Mais, à la fin du VIIIe siècle et surtout au commencement du IX, il se produisit un événement mémorable, lequel n'a peut-être été ni assez étudié, ni suffisamment précisé, eu égard surtout aux conséquences qu'il a dû nécessairement avoir au point de vue de la colonisation de nos côtes.

A cette date l'empereur Charlemagne, après avoir battu et maintes et maintes fois décimé les Saxons, sans cesse révoltés et toujours indomptables, au bout de trente-trois années de lutte, prit le parti décisif de les déporter en général en France, afin que ces barbares, en se mêlant aux Franks, depuis longtemps convertis au christianisme, suivissent leur exemple et adoptassent leurs mœurs.

« Ut abjecto demonorum cultu, et relictis patriis ⚫ ceremoniis, christianæ fidei atque religionis sa«< cramenta susciperent, et Francis adunati, unicus « cum eis populus efficeretur, » dit l'historien Eginhard.

Or, c'est ainsi qu'à la fin du VIII° siècle, Charlemagne déporta, avec femmes et enfants, d'abord dix mille Saxons, chefs de familles, de ceux qui habitaient les deux rives de l'Elbe, Saxons qu'il répartit çà et là par petits groupes, tant en France qu'en Allemagne.

L'historien Eginhard raconte ainsi cet événement :

« PreviousContinue »