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aux yeux de la génération présente, un passé vénérable avec ses manifestations de foi, son esprit d'abnégation et de sacrifice.

A un autre point de vue, il attestait encore le respect qu'il portait à nos antiquités nationales, lorsque, répondant l'un des premiers à l'appel de M. le directeur des Beaux-Arts, il faisait dresser par des architectes, par des hommes spéciaux et par des ecclésiastiques instruits, l'inventaire scrupuleux des richesses artistiques, vitraux, émaux, statues, tableaux et décorations diverses, éparses dans son diocèse: excellent moyen, qui, en favorisant les progrès de la science, aura pour résultat nécessaire de soustraire ces objets fragiles aux atteintes du vandalisme, sous sa double forme, la destruction brutale, l'enjolivement ou la restauration inintelligente.

Rappelons encore qu'au centre de la ville épiscopale il fonda la Société académique du Cotentin, dont l'un de nos confrères les plus distingués, M. Quénault, a été jusqu'ici le vice-président, et qu'il contribua, par une large subvention, à déterminer la publication, par la Société de l'Histoire de Normandie, des Annales ecclésiastiques du diocèse de Coutances, de René Toustain de Billy. Certes ce sont là, pour tous les amis des lettres et de l'archéologie normandes, des titres exceptionnels de recommandation; et pourtant ils s'effacent tous et disparaissent en présence de cette inspiration généreuse qui lui fit accepter la charge du Mont-St-Michel et qui sauva ce monument sans pair d'une dégradation certaine, peut-être même de la ruine. C'est là un acte mémorable qui assurera toujours à Mgr Bravard la gratitude des membres de la Société et qui, plus tard, garantira son nom de l'oubli.

Sans doute, lorsqu'il occupa, en 1855, le Mont-StMichel délaissé par l'État et resté sans destination civile possible, Mgr Bravard obéissait surtout à l'influence des souvenirs religieux qu'évoque ce lieu privilégié; il pensait aux grands saints et aux grands hommes qui y avaient vécu : à saint Aubert, à Norgod, à Bernard le Vénérable, à Robert de Torigni; mais il était aussi profondément touché des faits glorieux pour le pays dont ce rocher, perdu au milieu des grèves, avait été le théâtre. Le prélat, qui, en plusieurs circonstances, s'était exprimé, en termes si pénétrants, sur le sentiment national, sur l'amour de la patrie, avait qualité pour dire à ses diocésains ce que rappelaient ces murs, ce château-fort et cette basilique. « Toute l'histoire de « la piété, écrivait-il, de la littérature, des sciences et « des arts dans notre patrie, toute l'histoire presque de « cette patrie est là, écrite avec ses gloires, ses triom«phes, ses humiliations et ses tritesses; elle y est « gravée en caractères durables, comme le granit, << hardie et fière comme ces vieilles et imprenables « murailles. >>

Il ajoutait ensuite : « Qu'il me suffise de dire qu'il y « a un point, un point seul de notre territoire qui n'a « jamais été soumis à l'étranger, un point que n'a ja« mais pu conquérir l'Angleterre, un point sur lequel << a toujours flotté le drapeau de la France; ce point, « c'est notre abbaye, notre édifice monacal et militaire, << monastère et forteresse tout à la fois, notre Mont « dédié à l'Archange, protecteur de la nation des « Francs (1). »

(1) Lettre circulaire de Monseigneur l'Évêque de Coutances et d'Avranches, touchant l'ancienne abbaye du Mont-St-Michel au péril de la mer, p. 6.

Cet appel chaleureux fut entendu; le Gouvernement accorda d'importants subsides, et en toutes circonstances le Conseil général de la Manche prêta à cette entreprise le concours le plus dévoué et le plus énergique. C'est une constatation que je suis heureux de faire ici en présence de l'homme éminent qui nous préside aujourd'hui et qui a toujours tenu à honneur d'apporter à la défense de notre grande abbaye l'appui de sa parole si sympathique et si universellement respectée. Nous aussi nous avons, à la demande de Monseigneur de Coutances, quand les temps furent devenus critiques, joint nos efforts aux siens pour le triomphe d'une cause nationale et sacrée, et grâce à un illustre patronage que l'on vient de vous rappeler, nos démarches ne furent pas infructueuses.

M. l'abbé Faucon, dont nous déplorons la perle, était un ecclésiastique érudit et laborieux. Plein de feu et d'ardeur, malgré les devoirs souvent absorbants du ministère, il nous avait donné successivement une Notice biographique sur M. l'abbé Dumont, missionnaire apostolique; une histoire consciencieuse du prieuré de St-Vigor; enfin un opuscule intitulé: L'intérieur d'un château normand, dont nous avons signalé l'intérêt dans l'un de nos Bulletins. La Semaine religieuse de Bayeux, dont il était l'un des principaux collaborateurs, lui doit de nombreuses notices biographiques, divers articles détachés et des Éphémerides diocésaines qui, à elles seules, formeraient presque un volume. M. l'abbé Faucon est décédé le 30 mars. Il n'était âgé que de 57 ans.

C'était aussi un travailleur infatigable, que M. Gosselin, commis-greffier de la Cour d'appel de Rouen,

mort le 8 novembre de cette année. Placé au milieu d'un dépôt renfermant des pièces judiciaires de la plus haute valeur, M. Gosselin, marchant dès lors sur les traces du doyen des archéologues normands, M. Floquet, avait su à son tour tirer un judicieux parti de toutes ces richesses accumulées. Glanant après la moisson, il a fourni pendant plusieurs années, à divers recueils, notamment à la Revue de Normandie, des articles remplis de particularités ignorées et de révélations originales. L'acte relatif à la présence de Molière à Rouen en 1643 et le contrat passé par Masicot Abaquesne, émailleur de terre, pour la fourniture des carreaux d'Écouen, sont au nombre de ses plus intéressantes découvertes. Dans les derniers temps de sa vie, bien que cloué sur son lit par la souffrance, il avait réuni de nombreux documents relatifs au origines du commerce maritime de Rouen. Grâce aux concours obligeant de M. le conseiller Félix, qui a bien voulu se charger de reviser le manuscrit et d'en surveiller l'impression, ce volumineux mémoire ne sera pas perdu pour nous.

Nous ne pouvons terminer ce rapport sans saluer en passant la mémoire vénérée de M. l'abbé Hyacinthe de Valroger, enlevé à la religion, à la philosophie et aux lettres dans sa 63° année. Né à Avranches en 1814, M. l'abbé de Valroger, après avoir passé la plus grande partie de sa vie à Sommervieu comme professeur de philosophie; à Bayeux, comme chanoine, et à Paris, dans la maison des PP. Oratoriens, est venu s'éteindre à Caen le 10 octobre dernier, près d'une sœur dont la vie tout entière est vouée aux œuvres de la charité chrétienne. M. l'abbé Hyacinthe de Valroger est surtout connu par ses grands travaux de philoso

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phie religieuse (Études critiques sur le rationalisme contemporain. Du christianisme et du paganisme dans l'enseignement. -Crédibilité de l'histoire évangélique. Introduction historique et critique aux livres du NouveauTestament) et par la part importante qu'il prit à la restauration en France de l'ordre de l'Oratoire. Ce que beaucoup de personnes ignorent, c'est que cet esprit chercheur, avide de connaissances, était, dans le sens élevé du mot, un très-éminent archéologue. Le moyen âge n'était pas, à proprement parler, son domaine; mais les découvertes récentes, relatives aux âges préhistoriques, l'avaient invinciblement attiré, et il s'était porté à leur étude avec cette ardeur et cette tenacité que, malgré son état maladif, il mettait dans toutes ses entreprises.

Les articles qu'il a publiés sur ce sujet dans les Annales de philosophie chrétienne, dans le Correspondant, dans la Revue des questions historiques, attestent les connaissances les plus variées, les méditations les plus profondes. Des études médicales faites au début de sa carrière, M. de Valroger avait gardé un goût très-vif pour les sciences exactes; ses relations suivies avec l'un des géologues les plus distingués de notre époque, le regretté M. Charles Sainte-Claire-Deville, donnèrent plus tard à ce penchant naturel un développement particulier. Aussi ses derniers travaux révèlent-ils tout d'abord un esprit familiarisé avec les découvertes et les systèmes les plus récents de la géologie et de la paléontologie. Au milieu de tous ces opuscules, nous croyons devoir particulièrement mentionner L'Ancienneté de l'homme d'après l'Archéologie préhistorique, Les Précurseurs de l'homme, Les Stations du Mont-Dol et de Thenay, et la lettre adressée de Caen, le 2 mars 1875,

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