Page images
PDF
EPUB

votre président dans une lecture intitulée : Une bonne fortune de l'érudition allemande, sur la supercherie audacieuse dont ont été victimes récemment les représentants officiels de la science germanique, à propos d'inscriptions moabitiques.

M. Tessier, en quelques pages animées, a fait passer sous vos yeux la jeunesse et les premières années du fils de Robert Guiscard, Marc Boémond, dont Anne Comnène nous a tracé un si saisissant portrait. Ce barbare, qui produisit sur l'imagination des femmes de l'Orient une si vive et si persistante impression, méritait bien à coup sûr l'honneur d'une biographie. Malheureusement tout est obscurité et incertitude au début d'une carrière que la gloire devait plus tard mettre en pleine lumière. M. Tessier conjecture, avec vraisemblance, que le fils de Robert Guiscard et de la normande Alvarède dut naître à La Roche-St-Marc, vers 1055. Trois ans après, Sikelgaite prenait auprès de son père la place d'Alvarède, répudiée pour cause de parenté au degré prohibé, et la vie de Boémond s'enveloppait immédiatement des ténèbres les plus profondes. C'est dans cette longue période d'inaction apparente et d'oubli, de 1058 à 1081, qu'au milieu des dangers qui le menaçaient près des siens, Boémond dut contracter ces habitudes d'énergie, de finesse, de dissimulation qui, s'unissant à une certaine culture de l'esprit acquise au contact des lettrés de Salerne, en font un type à part au milieu des conquérants normands.

A son tour M. Guillouard vous a exposé l'état de la législation ancienne sur deux points qui ne manquent pas d'intérêt: Les peines de la calomnie, telles qu'elles étaient réglées par la coutume de Normandie; la responsabilité, des médecins, d'après les Assises de Jéru

salem. Cette dernière loi, avec ses dispositions draconniennes suspendues, comme une menace perpétuelle, sur la tête de ceux qui se mêlaient de la cure des maladies, contraste singulièrement avec la sécurité absolue garantie à l'exercice régulier de la profession médicale par l'état de nos mœurs et par notre législation. Ces pénalités aveugles, que nous retrouvons dans toutes les civilisations primitives, s'expliquaient, suivant M. Guillouard, dans le royaume de Jérusalem, par la défiance trop légitime qu'excitaient les aventuriers sans mandat exerçant leur art prétendu dans les conditions les plus suspectes et presque toujours au grand préjudice de la sûreté publique.

Dans un autre ordre d'idées, M. Desdevises du Dézert vous a lu de substantielles observations sur le rôle de S. Louis tel qu'il se révèle à nous dans la Pragmatique-Sanction, dans les Établissements et dans le Livre des métiers, et M. Guinat a traité, avec la compétence qui lui est propre, une question relative à l'assiette de l'impôt à propos d'une réclamation élevée par les bourgeois de Caen en 1790. C'est encore à la catégorie des recherches historiques qu'appartiennent diverses communications sur les Pains de Pâques, les Rectories, les Billets de confession, par M. Châtel; les Comptes d'un prieuré, par M. G. Dupont; l'Établissement des Saxons sur les côtes de Normandie, par M. Moulin; la Généralité d'Alençon, par M. Des Diguères; l'Ancien fonds du greffe de Mortain, par M. Albert Trochon; la biographie d'Étienne de Rouen, par M. Ch. Fierville; les Antiquités de Serk, par le révérend Cachemaille; enfin le Tribunal criminel de la Manche pendant la terreur, par votre secrétaire.

L'archéologie proprement dite n'a pas été moins

largement représentée dans nos séances mensuelles. De nombreux et intéressants rapports vous ont été adressés par MM. Le Héricher, de Rampan, Duval, Gervais, Cailloué, Tirard, Ernest Gueroult, de Farcy, Noël, Lecointe, Danne, Lavalley-Duperroux. Ils touchent aux sujets les plus divers: statuettes gauloises, coffrets, monnaies anciennes, débris de l'âge de bronze, voies romaines, pesons, gaufriers et fers à hosties. Parmi tous les objets dont les dessins nous ont été présentés, les disques funéraires, rencontrés au Mont-StMichel dans les sépultures des abbés Martin et Robert de Torigny, au cours du mois de septembre 1875, occupent, sans contredit, l'un des premiers rangs.

Il est une autre découverte plus récente que vous nous reprocheriez certainement de passer ici sous silence, bien qu'elle ait été de notre part, dans le Bulletin qui vous sera distribué aujourd'hui, l'objet d'une notice détaillée nous voulons parler des bijoux mérovingiens de Valmeray, comprenant un collier en or, une boucle de ceinture en argent doré, deux fibules en or et en argent avec filigranes, grenats et verroteries, une bague ornée d'une intaille antique, un bracelet de perles d'ambre et cent-soixante petits fragments d'or fin, recouverts de dessins estampés, et destinés à être cousus sur un vêtement. Ce trésor, d'une valeur inappréciable au point de vue de la curiosité, qui renferme les pièces les plus belles et les plus rares de la joaillerie mérovingienne, garnissait la sépulture d'une femme appartenant aux conditions sociales les plus élevées inhumée, sur le territoire de la commune de Moult, au Ve ou au VI° siècle. L'aspect si caractéristique des bijoux suffit à lui seul à préciser cette date; leur richesse indique le rang de la personne qu'ils accompagnaient, et quant à

son sexe, il nous semble déterminé, aussi rigoureusement qu'on peut le désirer, par l'absence absolue d'armes dans le tombeau et par l'étroitesse de la bague et du collier en or qui y ont été rencontrés.

Permettez-nous d'ajouter que nous devons la connaissance de cette découverte à M. Letourneur, maire d'Airan. C'est aussi grâce à ses bons offices et à ceux de M. A. Leroy que nous avons pu entrer en relations avec le propriétaire et négocier l'acquisition des bijoux. Malgré l'exiguïté de ses ressources et le haut prix des objets qui lui étaient offerts, la Société n'a pas éprouvé un moment d'hésitation; et elle a cru servir les intérêts, non-seulement de la ville de Caen, mais de la province tout entière, en faisant entrer dans son musée des joyaux qui, au dire des juges les plus compétents, constituent un ensemble d'une rareté insigne et d'un intérêt exceptionnel.

Depuis notre dernière séance publique, la mort a fait de nombreux vides dans nos rangs.

Monseigneur Bravard, évêque démissionnaire de Coutances et d'Avranches, chanoine de St-Denis, est mort à Avranches le 13 août, à la suite d'une maladie douloureuse qui, depuis plusieurs mois déjà, l'avait éloigné de son siége. La Société des Antiquaires ne peut pas oublier ce prélat distingué, à l'esprit primesautier, au cœur large et généreux, qui, après avoir été pendant de longues années l'un de ses membres les plus zélés, devint son directeur en 1872.

Il ne saurait me convenir de vous présenter ici le tableau des œuvres diverses par lesquelles l'épiscopat fécond de Mgr Bravard s'est signalé. Son digne successeur sur le siége de Coutances s'est chargé de ce

soin, et dès le 14 août, au lendemain de la mort, il a adressé aux fidèles de son nouveau diocèse une lettre admirable où les titres de Mgr Bravard à la reconnaissance du pays sont exposés dans un langage ému et avec des détails auxquels je ne saurais rien ajouter. Il est toutefois un côté de cette vie d'apostolat et de dévouement qui touche de trop près aux choses qui nous préoccupent spécialement, pour que nous puissions le laisser dans l'ombre. Ce prélat, sur lequel pesait l'administration d'un diocèse riche et populeux, qui créait sans cesse des maisons d'éducation, des établissements religieux de tout genre, qui, pendant la guerre, se prodigua sans trève et sans mesure pour relever le courage et répandre les secours et les consolations, ne négligea jamais, et c'est là un trait distinctif de son caractère, d'affirmer hautement et en toutes circonstances l'intérêt profond qu'il portait aux lettres, aux sciences et en particulier aux recherches historiques. Comme l'à dit, avec autant d'exactitude que d'autorité, Mgr Germain, notre ancien directeur aimait la Normandie, le diocèse de Coutances en particulier, dont il avait si bien fait sa seconde patrie; il en aimait les traditions, les monuments, la gloire. Par un sentiment facile à comprendre, surtout dans le cœur d'un évêque, Mgr Bravard se résignait difficilement à voir rester dans l'ombre l'héroïsme et le courage de son clergé au jour des persécutions. Il ouvrit, en conséquence, la voie à ses prêtres et leur enjoignit de scruter les archives de leurs églises, d'interroger les vieillards, d'étudier les documents. A l'aide de cette vaste enquête, poursuivie, sur un plan uniforme dans les six cent cinquante paroisses de son diocèse, il espérait arriver à construire un monument historique durable, propre à faire revivre

« PreviousContinue »