Page images
PDF
EPUB

Du reste, le progrès qui se remarque dans les inventaires apparaît aussi dans les comptes. Les articles de recettes et de dépenses se multiplient et se précisent. Au milieu de leur variété infinie, à côté des sommes affectées aux intérêts les plus graves, comme frais de justice, traitement du clerc tenant la cour de fief, salaires des hommes de loi, distribution des aumônes à Pâques, etc., etc. (1), on voit figurer les plus infimes détails, — jusqu'au salaire du barbier qui rasait le menton et la tête des moines, et qui était en même temps le fabricant des cierges et des chandelles qui les éclairaient (2).

Dans l'impossibilité où nous sommes de donner à ces simples notes les développements que comporterait une analyse complète de la matière, nous nous bornerons à indiquer quelques articles parmi ceux qui ont le plus d'importance et qui nous paraissent les plus dignes de l'attention de la Compagnie.

Chaque prieuré, conformément d'ailleurs à un usage général dans l'Église catholique, contribuait à l'entretien des jeunes moines que la maison-mère envoyait étudier à Oxford. Nous supposons, en voyant la différence qui se remarque chaque année dans la somme fournie in pensione studencium (3), que le nombre des étudiants n'était pas toujours le même. En 1430, il était de trois; les noms des pensionnaires sont

(1) In expensis factis pro tencione curiarum. curiam.

--

Et clerico tenenti

Et in expensis et donis datis Jurispertis. — In distribu

cione pauperum in cœna Domini, etc. (passim).

(2) Et Georgio Blyth pro lichina et factura cereorum et eidem Georgio barbitonsori confratrum, p. ccccx.

(3) P. CXLIX.

[ocr errors]

inscrits (1) par le prieur en même temps que la contribution modeste du prieuré qui n'est, pour cette année, que de 6 shell. 8 den.; tandis que un siècle auparavant, en 1338, elle s'élevait à 53 shell. 4 den., et en 1358 à 50 livres (2). Postérieurement à 1440, cet article ne figure plus dans le compte.

Le collége dans lequel les bénédictins de Durham étaient reçus à Oxford avait été fondé au milieu du XIIe siècle. Il portait le nom de Collége de Durham; il fut supprimé à l'époque de la réforme et remplacé, en 1554, par le collége actuel, qui fut construit sur ses ruines et qui est dédié à la sainte et indivisible Trinité, Holy and Undivided Trinity (3).

En 1361 et en 1365, nous voyons apparaître dans les comptes deux éléments nouveaux de dépense. Le premier est ainsi formulé : Et in donis sociis ludentibus apud Beurepair xxiiij s. (4); et le second: - Et in solucione facta..... Episcopo Elemosinariæ per tempus compoti ij s. (5).

Ces deux mentions nous font connaître deux usages en vigueur dans les établissements religieux du continent aussi bien que dans ceux de l'Angleterre. Ils se maintinrent jusqu'à l'avènement du protestantisme.

Nous nous occuperons d'abord du second. La formule que nous avons reproduite subit, à travers le moyen âge, dans les comptes du prieuré, plusieurs variantes successives et plusieurs additions de mots qui en éclai

(1) Dominis Johanni Burnby, Mody et Dalton monachis versu Oxoniam vj s. viij d., p. ccv.

(2) The priory, etc., p. XLIV et XLVIII.

(3) A handbook for visitors to Oxford, édit, Parker, 1847.

(4) P. LVIII.

(5) P. LXX.

[ocr errors]

rent la signification. On lit en 1440 : Et Episcopo puerili Elemosinaria ij s. ; plus tard, en 1449, on ajoute Dunelmensis; en 1459, on se borne au mot Et cantoribus; enfin, en 1475, l'article prend cette forme: Et solvit ad officium Feretrarii pro Episcopo puerili iij sh. iiij d., et la conserve jusqu'à la fin, en 1529.

Il s'agit ici, on l'a déjà compris, de l'une de ces coutumes singulières qui, dès les premiers siècles, s'étaient introduites dans l'Eglise chrétienne, et qui étaient, à n'en pas douter, une tradition du monde païen. Elles avaient, suivant les lieux et les temps, pris un caractère particulier et reçu des dénominations différentes; mais elles consistaient toutes dans des cérémonies plus ou moins bizarres qui, en général, s'accomplissaient dans les églises. Leur origine et leur signification étaient aussi plus ou moins obscures. Presque toujours elles avaient lieu dans les derniers jours du mois de décembre et les premiers jours du mois de janvier, c'est-à-dire aux calendes de janvier, et précisément à l'époque de l'année où à Rome on célébrait les Saturnales. Elles s'appelaient : ici, la Fête des fous; ailleurs, la Fête des sous-diacres, la Fête des ânes, la Liberté de décembre, la Fête des Calendes. A Rouen, à Evreux, à Cherbourg, il y avait la Fête des Cornards ou Cosnards; à Evreux encore, la Procession noire, et à Lisieux, la Cavalcade de St-Ursin, etc. (1).

On élisait, pour la circonstance, un personnage burlesque comme la fête qu'il devait présider et qui portait le titre d'évêque ou d'abbé.

(1) Voy. sur cette matière le Gloss. de Duc. Vis Kalendæ, Festum, etc. Mémoires pour servir à l'histoire de la Fête des fous, etc. (Ap. Cérém. et Cout, relig. de Bernard Picard, t. VIII).

Dans le monastère de Durham, c'était la fête des Innocents qu'on célébrait; elle avait pour principal acteur l'Évêque enfantin ou de l'Aumônerie, - Episcopus puerilis - Episcopus Elemosinaria. Les divers prieurés contribuaient aux dépenses qui étaient faites à cette occasion au prieuré principal.

Nous ne trouvons dans les comptes, cela se comprend, aucuns autres détails sur les cérémonies qui étaient observées, que ceux qui peuvent être tirés des courtes mentions que nous avons transcrites. En France, dans les églises où cette fête était en usage, à Reims, par exemple, les enfants de choeur élisaient l'un d'eux évêque. Et le nouveau prélat, revêtu des ornements épiscopaux, — mître, crosse, chappe et gants, faisait son entrée solennelle entouré de son clergé. Il donnait sa bénédiction au peuple; allait s'asseoir sur le siége de l'abbé. L'office était chanté par ses chantres, enfants de chœur comme lui (1).

-

A Durham, si l'on interprète dans son sens rigoureux le mot Elemosinariæ qui suit le mot Episcopus, on doit supposer que la cérémonie avait lieu dans l'Aumônerie, c'est-à-dire dans la partie du couvent affectée aux étrangers et aux pauvres, et non dans l'église même. Du reste, l'Évêque enfantin y avait aussi ses chantrescantores, qui recevaient un salaire particulier (2); et il s'y faisait certainement une procession, puisque presque chaque année on porte au budget des dépenses une somme pour le porte-bannière de l'évêque (3).—Ad officium Feretrarii pro Episcopo puerili.

(1) Mémoires pour servir, etc., sup. cit. eod. loc.

(2) Et cantoribus ad ludum suum ij s. (The priory, p. cccxvIIJ, et passim).

(3) Ex officio Feretrarii pro Episcopo puerili iij s., iiij d. (The priory, etc., p. CCCLXIJ et passim).

Nous n'avons pas ici à rechercher comment ces usages, qui dégénérèrent de bonne heure en abus et qui furent souvent l'objet des défenses des évêques et des anathèmes des conciles, avaient à l'origine une signification symbolique ou historique qui les expliquait et même, jusqu'à un certain point, les justifiait. Ils l'étaient aussi par l'état social des peuples chrétiens avant et pendant le moyen âge. Les habitudes matérielles et intellectuelles de la vie étaient alors, est-il besoin de le rappeler, fort différentes de ce qu'elles devinrent dans les siècles modernes. Elles étaient, pour l'immense majorité des individus, très-étroites et très-peu variées. Chaque collection ou communauté devait, dans le cercle où sa destinée était renfermée, se suffire à elle-même et se créer ses instruments et ses procédés de travail, comme ses moyens de délassement et ses éléments de plaisir.

C'est ainsi que les cérémonies du culte religieux devinrent peu à peu de véritables spectacles qui varièrent suivant les temps et les lieux, prirent souvent une grande importance et s'élevèrent parfois jusqu'à la hauteur d'une institution nationale, - témoin, la Compagnie de la Mère-Folle de Dijon, avec sa devise tirée de l'Ecclésiaste: « Stultorum infinitus est numerus. »

Les monastères eux-mêmes comprirent la nécessité de fournir aux religieux qui habitaient leurs cloîtres et aux populations qui vivaient sous leur patronage, des occasions de se distraire. On leur donna des fêtes à des époques de l'année déterminées. Cela faisait diversion aux rudes labeurs de la vie et comme des temps d'arrêts et de repos dans cette succession monotone des jours d'isolement et de peines.

La fête de l'Évêque enfantin se passait au monastère

« PreviousContinue »