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Évidemment, il signifie là une fente dans le rocher, une grotte. Et on peut remarquer, en passant, la forme que le mot ici a revêtue, ce n'est plus sousci, ni solsis, mais soussis, la forme même que nous allons trouver tout à l'heure dans nos vieilles chartes. Et sa présence dans ce texte, incontestablement et foncièrement normand, nous autorise pleinement à le faire servir à l'explication du nom d'une localité normande.

Maintenant, d'où vient ce mot de solsis, souci ou soussis? Nous l'avons fait pressentir en le traduisant par solution de continuité. C'est, en effet, à la languemère du français, au latin, qu'il en faut demander l'explication; c'est aux environs du mot solvo, solvere, qu'il convient de la chercher. Nous voyons dans Ducange que solvo a eu dans la latinité du moyen âge un deuxième parfait, solsi, au pluriel, troisième personne, solserunt. Il cite des exemples des deux formes. Solsi nous met sur la voie de notre mot; malheureusement il nous y laisse. Il y a là une lacune, il manque deux chaînons à la chaîne; nous ne pouvons les suppléer que par hypothèse, et je tiens à bien marquer que je ne fais ici qu'une hypothèse. A solsi, correspond au supin solsum, au participe passé solsus (1), d'où le substantif solsitium ou bien solsitio ou solsisio (2); le mot ne s'étant pas encore rencontré, nous ne pouvons en affirmer l'existence, nous nous contentons d'indiquer la transition probable, et de là serait venu tout naturellement

(1) Il est à remarquer que solsus conduisait à absous bien plus naturellement que solutus.

(2) Ducange nous autorise à supposer également ces deux formes. Il nous apprend que, dans la basse latinité, en même temps que solutio a existé solutium.

notre mot français solsis. Il a dû, en même temps, y avoir un infinitif solsire, avec un sens neutre. Ce qui semblerait l'indiquer, c'est l'existence d'un infinitif français, de forme assez étrange, qui ne peut avoir d'autre explication ni d'autre origine, sousir, correspondant à soussis, qui, comme le substantif, se trouve dans la Chronique des ducs de Normandie, t. II, p. 330, v. 25,143, où il veut dire probablement éclater, s'ouvrir, se fendre :

Un cri jeta et un teu brait
Cum si trestost deust sousir.

Et quant li dux s'en dut eissir, etc.

Le lexique de la Chronique des ducs et, d'après lui, le Supplément à Ducange, qui donnent les deux mots sousir et soussis s'étaient contentés de les enregistrer sans essayer de les traduire. Nos citations les éclairent complètement, et les explications des deux parts se fortifient l'une par l'autre.

Il semble que la forme solsitii a dû se trouver encore sous les yeux de Papire Le Masson au XVIe siècle. C'est la seule façon dont puisse s'expliquer l'étrange traduction qu'il a faite en son latin de la Fosse du Soucy par fossa solstiti. Que la faute vienne de lui ou de l'imprimeur, ne connaissant pas le mot solsis, au mot inintelligible solsitium on aura substitué, par la seule addition d'un t, le mot connu solstitium, qui offre le même assemblage de lettres, à une près, sans se plus préoccuper du sens.

Mais solsis est encore une forme trop voisine du latin, sol est trop net et trop détaché. La voyelle suivie d'un peu à peu a formé un son moins franc et moins vibrant, la prononciation s'est alourdie, assourdie,

épaissie, est devenue de plus en plus rustique. Sol est devenu sou, solsis sousci ou souci. Notre texte même ne laisse aucun doute sur la façon dont s'est opéré le passage d'une forme à l'autre; il nous les présente toutes les deux réunies, sousci et solsis. Plus tard, on a écrit soucy par un y, l'ygrec représentant mieux le son i formé par une contraction, et l'habitude, d'ailleurs, s'étant répandue en France à un certain moment, vers la fin du XVe siècle, de remplacer presque partout l'i final par un y.

Les monuments écrits confirment l'interprétation que nous donnons. Dans les pièces françaises que j'ai pu trouver aux Archives du Calvados, les diverses formes que le mot revêt sous la plume fantaisiste des scribes, procèdent presque toutes, d'une façon plus ou moins exacte, de notre mot solsis. Nous trouvons une fois seulement, dans un acte de 1405, la forme soursiz. Mais au dos de ce même acte, nous lisons Soussiz; en 1446, le Moulin du Soussys, et dans une autre pièce de la même année, du Soussis; en 1504, du Sousix; en 1528, du Soucys; en 1535, du Soussis; en 1571, du Soulcy; en 1572, du Soussis.

Et il est à noter que dans toutes ces pièces du moyen âge, à une date où l'on sait encore ce que parler veut dire, ce que signifie notre mot, on n'écrit pas la fosse du Soucy, ce qui ferait un double emploi, un pléonasme, la fosse du fossé, mais simplement le Soussis.

Les pièces françaises semblent donc donner tout-à-fait gain de cause à notre interprétation (1).

(1) Nous sommes malheureusement moins riches en témoignages latins sur la forme première du mot. Je n'ai pu rencontrer qu'une pièce en cette langue, et elle n'est pas antérieure au commencement du XIIIe siècle. Cela est certain, bien qu'elle ne porte pas de date, car

Quelles conclusions peut-on tirer de tout ceci?

1° Un premier point est absolument hors de doute. Il y a eu dans notre vieux langage un mot solsis, sousci, soussis, soucy, qui a signifié fente, crevasse, trou, fossé, solution de continuité, et qui venait du latin solsitium ou solsitio.

2o Ce mot semble être le même que celui qu'on a appliqué au lieu où se perd l'Aure. La constitution physique du lieu et le sens du vieux mot s'accordent admirablement pour rendre l'assimilation tout-à-fait vraisemblable: je ne prétends pas davantage. Le soucy du Bessin, c'est la fosse, l'échancrure pratiquée par la nature dans le terrain de ce canton et par où disparaissent les eaux de l'Aure. Et l'orthographe est ici d'accord avec le sens, le plus grand nombre des docu

on y voit figurer un évêque de Bayeux appelé Robert, et l'on sait qu'il n'y a eu de prélat de ce nom sur le siége de Bayeux que de 1206 à 1231. C'est une charte latine qui porte donation d'un tiers du moulin du Soussis (1) au chapitre de Bayeux, par Robert de Juvigny.

Le mot s'y présente sous une forme singulière, et dont je confesse ne pouvoir trouver une explication tout-à-fait satisfaisante: tertiam partem mei molendini de Sorsis, » écrit le donateur.

Le seul renseignement certain que nous puisse donner cette rédaction, c'est, ce me semble, que, comme nous l'avions dit nous-même, il ne faut pas chercher l'étymologie du nom du côté de Salix et de ses dérivés.

Voici notre charte tout entière: « Omnibus Christi fidelibus ad quos præsen scriptum perveniet Robertus de Juvigniero miles salutem. Ad noticiam universitatis vestri volo pervenire me divine pietatis intuitu et pro salute antecessorum meorum dedisse in perpetuam elemosinam ecclesie beate Marie de Baiocis et canonicis ibidem Deo servien⚫ tibus terciam partem mei molendini de Sorsis liberam et quietam ab omni seculari exactione. Et eam manu Roberti Baiocensis episcopî

(1) Le moulin donnait, en 1405, pour moitié, 9 liv. de rente; en 1446, 6 liv.

ments écrits donnant soussis, ce qui est évidemment la même chose que solsis. Jusqu'à ce que l'on trouve une explication meilleure, celle-ci me paraît avoir droit d'être acceptée.

Il s'ensuit qu'il conviendrait de modifier, ou plutôt de rectifier l'orthographe du nom de la fosse du Soucy, et d'écrire désormais Soussis.

3o Si l'on garde des doutes sur le second point, il nous semble qu'il y avait du moins quelque intérêt à constater le premier, puisque le mot n'était pas connu, et qu'il n'avait point été relevé par les lexiques de notre vieille langue française, ou du moins que le lexique de la Chronique des ducs de Normandie et le Supplément à Ducange, qui seuls le mentionnent, n'en donnent qu'un

elemosinasse ita quod possessor istius partis predicti molendini pro parte sua impensas faciet ad ejusdem molendini reparationem et locabitus molendinum de communi assensu possessorum vel illius qui partem suam carius poterit locare. Quod ut sit ratum et stabile de cetero permaneat presentis charte testimonio et sigilli mei munimine confirmavi. » On lit au dos de la charte: C. Rob. de Juvign, de tertia parte molendini de Sorsiz.

Une autre charte, par les noms des signataires qui y figurent, nous montre que Robert de Juvigny a vécu aussi sous le règne de Henri II. En effet, dans l'Appendice des extraits des Chartes... du Calvados, de M. Léchaudé d'Anisy, 2o vol., p. 387, sous la mention Pièces diverses, n° 135, on voit signalée une charte où Guillaume d'Erlie, chambellan, et Ascira, sa femme, donnent à Robert de Juvigny et à ses hoirs toute la terre de Raoul des Isles et celles qu'ils possédaient tant en Angleterre qu'en Normandie, et pour cette concession, Henri, roi d'Angleterre, leur donne 110 livres sterling et cent sous de ses propres deniers. Parmi les signataires de la charte, on trouve, à côté de Roger, archevêque d'York, Rotrou, évêque d'Évreux, qui occupa son siége de 1139 à 1165; Arnulf, évêque de Lisieux, qui occupa son siége de 1140 à 1184. Henri n'ayant commencé à régner qu'en 1154, c'est entre cette date et 1165 que se place la charte.

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