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quelle chance que les servitudes établies depuis près de trois siècles, aient été jusqu'à maintenant respectées.

Nous nous éloignons trop hâtivement à notre gré de ce beau château où nous avons trouvé un accueil d'une si parfaite courtoisie. Et après nous être retournés plusieurs fois pour l'admirer encore, nous nous mettons en route pour l'abbaye de Cerisy.

Il nous faut pour cela traverser la jolie forêt des Biards, ou de Cerisy, toute proche de Balleroy. Ce n'est pas sans une pointe de mélancolie que je me rappelle les joyeuses fanfares dont elle retentissait avant la guerre, alors que nous piquions derrière les chiens pour ne pas manquer l'hallali.

Aujourd'hui la cognée des bûcherons fait seule résonner les échos de la forêt. Le bruit des coups de fusil a remplacé les appels de trompe, car si en forêt de Cerisy on tue encore des animaux, on peut dire qu'on ne les chasse plus.

Souhaitons qu'un si triste état de choses ne soit que passager, et que de nouveau les veneurs normands puissent s'y livrer aux charmes de ce « noble déduit ».

ÉGLISE ABBATIALE DE CERISY-LA-FORÊT

L'abbaye de Cerisy aurait été fondée au vie siècle par l'illustre évêque de ce lieu, saint Vigor, mais ses origines tiennent de la légende. Avant de monter sur le siège épiscopal, ce saint personnage, que ses vertus avaient déjà rendu célèbre, aurait précipité dans la mer, à la prière des habitants, un monstre cruel qui ravageait la contrée. Le pays ainsi délivré lui ayant été donné, Vigor y réunit quelques moines.

Détruit lors des invasions normandes, ce premier monastère ne fut relevé de ses ruines qu'en 1030, par les soins de Robert le Magnifique, duc de Normandie. L'abbaye placée sous le vocable de saint Vigor, fut enrichie en 1032 de nombreux privilèges par son nouveau fondateur. En 1034, il y fit déposer les reliques que lui avait cédées le patriarche de Jérusalem et que son chambellan, Toustain, comte d'Exmes, rapporta en Occident.

Guillaume le Bâtard compléta en 1042 la fondation de son

père, et pour montrer tout d'abord l'intérêt qu'il portait à Cerisy, lui fit don en 1048 d'un os du bras de saint Vigor que lui avait remis l'abbé de Saint-Riquier, et dont l'arrivée fut signalée par plusieurs miracles.

Nous n'avons pas d'indication sur la date de construction de l'église actuelle, mais nous pouvons affirmer qu'elle fut construite grâce aux générosités des deux ducs de Normandie, vers la fin du XIe siècle et le commencement du XIIe.

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Ainsi que l'a fait ressortir M. André Rhein, au congrès de la Société archéologique de France tenu à Caen en 1908, auquel nous empruntons la plus grande partie de ces détails, les travaux exécutés dans les siècles ultérieurs sont concomitants avec des donations royales par saint Louis en 1269, Charles IV en 1323, Charles VI en 1398.

Au xive siècle l'abbaye fut mise en état de défense contre les troupes anglaises; les moines durent faire des dépenses considérables, et pour leur venir en aide, Charles V leur abandonna de 1371 à 1373, une partie des revenus qu'il touchait à Cerisy.

Après le sac de l'abbaye par les bandes protestantes en 1562, il faut arriver au XVIIIe siècle pour trouver des docu

ments précis mais de peu d'importance. Il s'agissait surtout de travaux de consolidation. En 1738, une grande partie du croisillon nord s'écroula, on la refit tant bien que mal; puis à la suite d'un incendie allumé par la foudre en avril 1766, on refit le dernier étage de la tour centrale, on reprit les piles qui la soutenaient, et toute l'église fut recouverte de l'enduit qui subsiste encore.

Depuis 1747, la nef était divisée en deux par le grand mur qui constitue actuellement la façade occidentale (1); il avait été édifié pour remplacer la grille dorée qui séparait jusqu'alors l'abbatiale de l'église de la paroisse installée depuis le xvIIe siècle dans les dernières travées, et qui est aujourd'hui au Haras de Saint-Lô.

La Révolution détruisit les bâtiments monastiques, mais respecta l'église et la chapelle de l'abbé qui était seigneur du lieu. C'est seulement en 1811 que le conseil de fabrique résolut, malgré l'opposition du curé, de démolir la partie de l'église qui servait de paroisse, pour payer la restauration des dégâts occasionnés par la foudre à la tour centrale. Ainsi fut abattu le porche du xvIIe siècle dont il ne reste plus que le mur méridional, suffisant cependant pour nous faire regretter sa destruction.

Enfin en 1872 et 1874, on couvrit de voûtes d'ogives en bois la nef et le croisillon sud.

Le classement de l'église comme monument historique, prononcé en 1880 sur la proposition de Ruprich Robert, a mis fin à cette succession d'actes de vandalisme.

L'abbatiale de Cerisy est la seule église conservée jusqu'à nous qui présente en plan et en élévation le parti le plus vaste et le plus complet qu'ait jamais adopté en France l'architecture romane normande : elle offre une grande ressemblance avec toutes les grandes églises de cette école, Saint-Gabriel et Saint-Vigor, pour citer celles que nous venons de voir.

Depuis 1811, la nef ne compte plus que trois travées au lieu de sept; en élévation, elle présente trois parties sensiblement égales rez-de-chaussée, tribunes, étage supérieur. Les piles cruciformes sont flanquées de quatre colonnes

(1) Bulletin de la Société française d'archéologie. Caen, 1908.

engagées et de quatre colonnes d'un plus faible diamètre, placées dans les angles.

Le carré du transept était surmonté d'une tour lanterne forcément exposée aux coups de la foudre, aussi les incendies successifs amenèrent-ils de grands travaux qui ont complètement dénaturé son caractère.

La tour centrale a trois étages, dont les deux inférieurs sont seuls de l'époque romane, le troisième est du XVIIIe siècle.

Le chœur et la ref sont percés d'une triple rangée de hautes fenêtres ornées de vitraux. Cette disposition est excessivement rare, on ne la retrouve qu'à l'abbatiale de Peterborough et à la cathédrale d'Autun.

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L'église abbatiale de Cerisy a conservé quelques morceaux intéressants de son ancien mobilier. Dans le chœur se trouvent quarante et une stalles en chêne, que M. de Farcy dit avoir été exécutées en 1400 par les huchetiers de la forêt de Cerisy à qui elles furent payées neuf livres tournois chacune L'absidiale du bas côté nord du chœur possède un autel de pierre du xve siècle. Des panneaux de bois peints, fragments d'un rétable du xve siècle, sont appliqués contre les murs; signalons aussi une colonne de bois hexagonale montée sur trois lions qui sert maintenant de pied de lutrin.

Il ne reste plus des bâtiments conventuels qu'un corps de bâtiments attenant au porche, et datant de la seconde moitié du XIIIe siècle. A l'étage inférieur, il comprend l'entrée de l'abbaye et plusieurs salles basses que surmontent la salle dite du bailliage, et une élégante chapelle dédiée à Saint Gerbault, et plus connue sous le mon de chapelle de l'abbé.

La façade nord est intéressante par les vestiges du porche de l'église et d'une travée méridionale d'un bâtiment appuyé sur la chapelle de l'abbé qui date du XIIe siècle. La tourelle du centre comprend au rez-de-chaussée une salle voûtée qui servait de prison; au premier étage elle servait de porche à la chapelle. Celle-ci a conservé ses fenêtres du XIIIe siècle : elle comprend quatre travées; l'autel est du xve siècle. On y voit encore une crédence, une piscine, ainsi que des traces de fresques très dégradées, et à peine reconnaissables.

On cite le cardinal Mazarin parmi les abbés commendataires de l'abbaye de Cerisy (1); il est probable qu'il n'y vint jamais. Puis en 1706, Philippe de Bourbon-Vendôme, qui conclut un traité avec les bénédictins de Saint Maur, exécuté seulement en 1716. Mgr d'Albert de Luynes, évêque de Bayeux, puis archevêque, de Sens et cardinal fut abbé en

1727.

Le vieux monastère, qui avait été reconstruit en 1770; ne contenait plus que sept religieux à la Révolution. Les

(1) Abbaye de Cerisy: de gueules à deux léopards d'or, augmentée d'une bordure d'azur semée de fleurs de lys d'or du Xive au XVIIe siècle.

Alias: Le couvent des religieux de Cerisy-l'Abbaye: d'argent à un cerisier de sinople, fruité de gueules. (Armorial, 1696.)

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