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QUATRIEME JOURNÉE

Jeudi 7 Septembre 1922

EGLISE DE JUAYE

La journée d'hier a été remplie de charmes, mais elle a été un peu fatigante, et s'est prolongée tard. Aussi, malgré l'attention délicate de notre Président de retarder l'heure du départ, ce matin, avons-nous une certaine difficulté à nous grouper pour nous mettre en route.

Nous quittons Bayeux par la rue des Chanoines; nous passons devant la petite église de Saint-Loup Hors, paroisse suburbaine de Bayeux, et après avoir traversé la voie ferrée de Paris à Cherbourg, nous nous engageons dans la jolie route de Juaye. Ce village est fort ancien : il y existe un aqueduc romain.

Nous contournons le parc du château du colonel du Manoir de Juaye et nous nous arrêtons à la vieille église de Juaye. Placée sous le vocable de saint Vigor, de la baronnie de Nonant, elle était propriété de l'évêque de Lisieux avant 1789. Elle ne sert plus au culte depuis que l'église abbatiale de Mondaye est devenue paroisse. Elle fut donnée en 1215 par Jourdain du Hommet aux Prémontrés de Mondaye. Elle se compose d'une nef avec deux bas côtés, d'un chœur à chevet rectangulaire, et d'une tour au nord. La façade occidentale et les murs latéraux de la nef sont modernes. Les colonnes antérieures qui portent les arcades ogivales sont du XIVe siècle.

A l'intérieur, on voit quelques restes de peintures murales et un autel du XVIIIe siècle. La tour carrée peut remonter au XIVe siècle.

L'église de Juaye était sous l'invocation de saint Vigor. L'abbé de Mondaye présentait à la cure et percevait les dîmes. Juaye faisait partie de la sergenterie de Briquessart, élection de Bayeux. Il y existait au XIIe siècle une léproserie avec une chapelle sous le vocable de saint Barthélemy. Il y avait plusieurs fiefs sur cette paroisse. Citons le fief Basset, sur la rivière d'Aure, aux Percy, Sieurs de Juaye et de Ber

nières, et le fief de la Haye d'Aiguillon aux Vassy, habitant au château de la Haye en Bernières. Le château qui a deux belles façades date du XVIIIe siècle.

ABBAYE DE MONDAYE

La Normandie fut réunie sans coup férir à la couronne de France en 1204 par Philippe-Auguste, après une séparation qui avait duré près de trois siècles.

La sécurité dont jouirent alors nos pères, pendant un siècle et demi, leur permit de bâtir des écoles et des monastères. Ainsi s'élevèrent les églises de Cahagnolles, de Couvain, de Litteau, de Juaye et beaucoup d'autres.

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Ce fut dans cette dernière paroisse que Jourdain du Hommet, évêque de Lisieux, fonda l'abbaye de Mondaye (Mons Dei) en 1214, d'après la Neustria pia, en 1216, d'après l'abbé de la Rue. Le P. Dumoustier 's'est trompé, dit M. l'abbé Laffetay (dans son Histoire du Diocèse de Bayeux) en assurant que cet évêque avait établi le monastère sur son propre patrimoine. Une charte de Guillaume le Conquérant confirme la baronnie de Nonant à l'évêque de Lisieux, qui la tenait de ses prédécesseurs. Ainsi, dès le xre siècle, cette baronnie, dont dépendait Juaye, appartenait à l'évêque de Lisieux, et conséquemment, c'est sur le patrimoine de son évêché et non sur celui de sa famille que Jourdain du Hommet fonda cette abbaye. Elle était sous l'invocation de saint Martin, et comptait saint Louis au nombre de ses bienfaiteurs, ainsi que la famille des Essarts.

L'évêque de Lisieux appela les enfants de saint Norbert dans son abbaye de Mondaye. Ces religieux, connus sous le nom de Prémontrés, furent institués en 1120 et confirmés par plusieurs papes. Le nom de Prémontrés leur vient d'un vallon solitaire que saint Bernard donna à leur fondateur dans le diocèse de Laon. Saint Norbert établit aussi des religieuses qui pratiquaient les mêmes observances que les chanoines réguliers. Si nous en croyons le traducteur de Mosheim, l'ordre de Prémontré dans le temps de sa prospérité, a possédé mille abbayes, trois cents prévôtés, un grand nombre de prieurés, et cinq cents couvents de religieuses ; il

a eu trente-cinq maisons en Angleterre et soixante-cinq abbayes en Italie. Quoiqu'il en soit, l'ordre de saint Norbert se répandit avec une grande rapidité; il réforma un grand nombre de chapitres, et reçut des encouragements de la plupart des évêques et des souverains pontifes, ce qui est tout à la louange du clergé séculier, qui n'était donc pas aussi gangrené et aussi corrompu qu'on l'a prétendu.

Pour corriger les abus et rétablir la régularité, Norbert, alors simple prêtre, n'employa ni les déclamations, ni les discours séditieux, ni la violence, comme l'ont fait tous les prétendus réformateurs du xvIe siècle. La douceur, la charité, les exhortations paternelles, le bon exemple, de ferventes prières pour implorer le secours de Dieu, la patience furent les seules armes dont il se servit (1). A la vérité, le bien qu'il a produit ne s'est pas soutenu pendant plusieurs siècles. L'an 1245, le pape Innocent IV se plaignit du relâchement qui s'était introduit dans l'ordre des Prémontrés; il en écrivit au chapitre général, et il y a lieu de présumer que cette correspondance ne fut pas inutile. En 1288, le général Guillaume demanda et obtint du pape Nicolas IV la permission de manger de la viande pour les religieux de son ordre qui seraient en voyage, preuve que l'abstinence était pratiquée dans ces maisons. En 1460, à la prière du général de l'ordre, Pie II accorda la permission générale de manger de la viande, excepté depuis la Septuagésime jusqu'à Pâques.

Plusieurs réformes furent faites dans l'ordre des Prémontrés. Il y en a eu une en Lorraine, où ces religieux possédaient plusieurs cures. Elle a commencé à Sainte-Marie au Bois et à Verdun. Le chef-lieu était la maison de Pont-à-Mousson, où se trouve maintenant le petit séminaire de Nancy et de Toul. Paul V, Grégoire XV, Urbain VIII, Innocent X et Innocent XII approuvèrent cette réforme. Il s'en est fait une en Espagne qui est beaucoup plus ancienne et plus austère. Grégoire IX et Eugène IV l'ont confirmée. Les Prémontrés avaient un collège à Paris et pouvaient prendre des degrés de théologie.

Les bâtiments de l'abbaye et surtout sa chapelle sont

(1) Histoire de l'église Gallicane, t. VIII, liv. XXIV an 1120

l'œuvre du Père Eustache Restout (1706-1743) qui en fut tout à la fois l'architecte, le peintre et le sculpteur. La Révolution de 1789 vînt interrompre les travaux qui ne furent jamais repris; l'abbaye de Mondaye, comme toutes les autres, fut alors privée de ses habitants. Elle resta inhabitée jusqu'en 1815, époque à laquelle Mile de Chateau

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briand, nièce de l'immortel auteur du Génie du Christianisme, s'en rendit acquéreur. Elle vint s'y établir l'année suivante avec quelques religieuses trappistines qui y restèrent jusqu'en 1845.

En 1859, Mgr Didiot, évêque de Bayeux, fit revenir à Mondaye cinq religieux prémontrés belges et les installa solennellement le lundi de la Pentecôte. Un des Pères fut nommé curé de Juaye-Mondaye, réunion des paroisses de Couvert, Juaye et Bernières, supprimées au

commencement du XIXe siècle. Un autre religieux fut nommé

vicaire.

Ce beau monastère fut de nouveau fermé lors de la séparation des églises et de l'Etat en 1905, et les dévoués religieux qui l'occupaient ont dû prendre le chemin de l'exil. Il a été

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utilisé pendant la guerre de 1914 comme dépôt de convalescents belges.

Les armes de l'abbaye de Mondaye étaient « d'azur au monde d'argent surmonté d'une croix de même. » L'abbé avait droit de justice sur les terres de l'abbaye.

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