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EMAILLEURS LIMOUSINS.

Je viens, Messieurs, par continuation, vous communiquer les notes que je recueille aux archives départementales dans des actes concernant des familles d'émailleurs limousins peu connus, ou même entièrement inconnus jusqu'à ce jour, afin de fixer l'époque de leur existence, et d'expliquer des monogrammes restés sans attribution.

Je vous ai entretenus récemment de Barthélemy Vergnaud, dont on ne connaissait aucun émail, et j'ajoutais que les initiales B et V devraient mettre sur la voie pour retrouver ses

œuvres.

M. Vergniaud-Romagnesi, d'Orléans, membre correspondant de notre Société, m'a transmis un charmant dessin photographique d'une Conversion de saint Paul signée des deux lettres B et V; il ne doute pas que cet émail, depuis long-temps propriété de sa famille, qui est d'origine limousine, ne soit bien de Barthélemy Vergnaud : cet émailleur s'était marié, l'an 1650, avec Catherine Parrot.

L'heureuse composition du sujet de cet émail, où figurent plusieurs cavaliers, atteste l'habileté de son auteur, et fait déplorer la rareté de ses ouvrages.

Il paraissait extraordinaire que Domenge ou Dominique Mouret, qui nous a légué les recettes de l'art de l'émaillerie à la fin du xvIe siècle, n'eût laissé aucun émail signé de lui. M. Mathon fils, correspondant du ministère de l'instruction publique à Beauvais, dans une lettre du 1er novembre 1859, me signala une Crucifixion au pied de la croix de Jésus-Christ, la sainte Vierge, sainte Madeleine et saint Jean. Le ciel de ce petit tableau, peint en émail, est bleu foncé, semé d'étoiles d'or. Au bas se lit un monogramme composé des trois lettres D, M, F, qui peuvent signifier Domenge Mouret fecit, ou Domenge Mouret fils.

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Domenge Mouret avait en effet un fils aîné, du même prénom que lui, qui dut travailler avec son père à l'émaillerie; ils étaient contemporains de Jehan Limosin, et ont dû être ses élèves, puisqu'on retrouve sur l'émail que je viens de citer le ciel bleu semé d'étoiles d'or, fond habituel des émaux de Jehan Ier Limosin.

Nous avons beaucoup d'actes qui intéressent cette famille d'orfèvres-émailleurs. J'en citerai des années 1542, 1548, 1562, 4582, 1589, du notaire Penicaud, 1570, 1579, 1580, 1581, où il écrivit ses recettes d'émaillerie. C'est l'an 1598 que Domenge Mouret se rendit un des premiers à la maison commune, armé de sa hallebarde, pour concourir au maintien de l'ordre, troublé par un complot contre Henri IV. On ne peut dire cependant si c'est le père ou le fils qui fut revêtu d'un emploi à l'hôtel-deville. Les derniers actes sont de 1604, 1616, 1618, 4645 et 1670, tous aux noms d'orfèvres du prénom de Dominique Mouret. Domenge, le plus ancien, avait épousé Marguerite Boutin. Outre sa maison de la rue du Clocher, il possédait des vignes à Chinchauvaud, au Clos-Lansecot, au Treuil-aux-Gueux et à Ville-Hérein, et payait pour cette dernière une rente en vin au chapitre de Saint-Étienne; il payait aussi une rente annuelle de cinq sols en argent sur son oseraie du Clos-Trasboureau. En 4597, un Domenge Mouret était taxé à 54 sous, article 496 du rôle, canton du Clocher. Ses héritiers et ceux de Pierre Mouret étaient cotés, en 1635, à une somme de 8 livres 6 sous. Guillaume Mouret, orfèvre, était probablement le père de Domenge Ier, son frère se nommait Laurent. Nous connaissons en outre des Colin, François, Jacques, Pierre et Petit-Pierre (Pity-Pey), tous orfèvres; un Penot Mouret, relieur, et une Marie Mouret, qui était l'épouse de l'émailleur Martin Noylier en 1640.

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On avait inscrit sur la liste des émailleurs limousins le nom de Chouzyt dit Treize-Mestiers, dans la confiance que l'émaillerie devait être sans doute une des treize industries auxquelles il se livrait. On ignorait son prénom, sa demeure et l'époque où il vivait. Le répertoire no 8 de la Confrérie des pauvres à vêtir, à la page 93, contient cette mention : « Maison de Bartholome Chouzyt dict Treize-Mestiers, scise en la rue qu'on va des Bancs et de Lansecot à la porte des Aresnes, pres du grand estang et de la fontaine d'Aygoulene, au bout de la rue Torte; cette maison, qui fust de son pere Jehan Chouzyt, deuant une rente perpétuelle de deux sols en argent ». Jehan Chouzyt, père de cet émailleur, reconnut cette obligation de rente fondée en 1489, et la paya à

la confrérie comme tenancier de ladite maison, folios 456 et 187 des nouvelles lièves.

Un catalogue des émaux de madame de La Sayette, de Poitiers, fut rédigé, après son décès, pour la vente de ses riches collections. On y lit, au numéro 164 Une jolie petite châsse à couvercle en forme de toit, décorée de peintures coloriées représentant des sujets de sainteté. Cet objet curieux porte à l'intérieur l'inscription suivante: Thoumieu Chousit si me fey l'an mil 6 c. trente trey, en langues française et patoise ». Cette date de 163:3 concorde avec celle du registre de la Confrérie des pauvres à vêtir. La hauteur de la châsse est de 8 centimètres sur 10 de largeur.

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Il serait à désirer qu'on pût retrouver de même quelque émail de Martial Bardounaud, émailleur, demeurant rue de la Forerie (aujourd'hui Fourie), près la fontaine de Saint-Pierre, comme l'indique un acte du 6 juillet 1545.

Cet artiste, qui précéda Léonard Limosin, vivait du temps de Nardou Pénicaud, qui lui enseigna peut-être son art. Une copie moderne écrit son nom Bardouneau. La famille de ce nom a exercé la profession de balancier. Un de ses membres cultive.. encore cette industrie, jadis fort importante à Limoges.

Cette mention de Martial Bardounaud est insérée dans le livre des rentes de Saint-Martial, acte reçu Montoudon, et a été portée au grand terrier de la pitancerie de cette célèbre abbaye, n" 327.

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FOUILLES DE LA RUE DE LA COURTINE.

MESSIEURS,

En attendant que la Commission des fouilles puisse vous faire un rapport sur celles qu'elle va entreprendre, je viens vous entretenir des découvertes faites chez M. Félicien Tardieu, dans son emplacement de la rue de la Courtine. Ces fouilles, faites pour un intérêt privé et sur une petite échelle, ont produit des résultats fort intéressants.

Et d'abord disons un mot sur l'étymologie du nom de cette rue de la Courtine de Saint-Martial.

Curtis, curtina ou cortina, remontent au texte de la loi salique. C'est, à proprement parler, un terme de fortification: il s'applique à la partie de la muraille ou du rempart qui est entre deux bastions et qui en joint les flancs: Aggeris, inter duo propugnacula, frons, facies, vulgo cortina. De ce mot est dérivé le verbe incortinare. Cortina monasterii, curtis cœnobii, équivalaient à curtis clausa ou clausura, défenses élevées dans les monastères dans la crainte des pillards. Nous retrouvons sur le plan de l'ancienne basilique de Saint-Martial, précisément à l'emplacement dont nous parlons, une muraille entre deux contreforts, à laquelle on aura donné par analogie le nom de Cortina, ou Courtine, pris aussi par la chapelle qui y touchait, et ensuite par la rue qui lui était parallèle.

Le cimetière de la Cité (civitas) des Lémoviques s'étendait depuis le castrum, château, jusqu'à Saint-Martial; on découvrit, sous les fondations du clocher de cette célèbre église, plusieurs tom bes romaines en pierre, portant des inscriptions latines. Saint-Michel n'était, en principe, que la chapelle de ce cimetière.

Nous sommes descendus ensemble, M. Bonat, notre collègue,

et moi, au fond de la cave creusée pour la maison que construit M. Félicien Tardieu, et nous avons reconnu, comme pierre angulaire de l'extrémité orientale de la Courtine, un tombeau antique sur lequel nous avons lu cette inscription :

Diis Manibus

ET MEMORia.....
ERENNII. S......

IXITVS. SIBI.
ET. SVIS VIVVS
POSVIT (1).

A six mètres de profondeur, le 17 de ce mois de mai, on a recueilli, dans les terres remuées par les fouilles, une statuette de bronze de Vénus pudique, coiffée du corymbus, que son propriétaire a bien voulu me confier; un débris de tuile, tegula hamala, ornée de dessins grossiers; un moyen bronze d'Auguste, un petit bronze de Tibère, deux grands bronzes d'Hadrien, des petits bronzes de Tétricus et de Postumus.

Lors de constructions antérieures et contigues, M. Éd. Romanet du Caillaud reconnut l'existence de la Courtine, et M. Audoin découvrit, avec des débris de vases de parfum, un certain nombre de tombes en pierre, présumées celles de moines de Saint-Martial, et un denier d'argent bractéate de Saint-Martial.

Avant de creuser à six mètres, M. F. Tardieu a retrouvé le sol du niveau de l'église, sur lequel étaient placés des cercueils du moyen âge, en pierre, et, parmi les nombreux ossements, une fiole de verre et deux vases en terre cuite blanche, l'un grand et l'autre plus petit, mais en partie détruits. Un cabochon de verre blanc, un denier de billon des princes d'Orange, et quelques liards, sont les seuls monuments de numismatique qu'on ait retirés de la première fouille.

MAURICE ARDANT,

Limoges, le 30 mai 1862.

Archiviste de la Haute-Vienne.

(1) Cette famille Herennia a laissé des traces à Limoges : un denier d'argent de Marcus Herennius, consul l'an de Rome 660 (94 avant J.-C.) avec C. Valerius Flaccus, a été découvert au clos Villeherein, Villa Herennii.

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