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Au mois d'apvril 1708, le Roy a donné le baston de mareschal de France à M. le marquis de Gacé et l'a nommé le mareschal de Matignon; ainsy que M. de Lévi, lieutenant général. Ils estoient allés tous deux tenter la descente en Écosse avec le Roy d'Angleterre. M. de Lévi a esté pris dans le Salisbury.

Le 20 may 1708, nos seigneurs les ducs de Bourgoigne et de Berry sont partis de Versailles avec le Roy d'Angleterre, soubs le nom de chevalier de SainctGeorges, pour aller servir dans l'armée de Flandres, avec M. le duc de Vendosme qui doibt y commander. Aujourd'huy, 9 juillet 1708, M. Plesbois, sieur de la Garende, a pris possession de la charge de lieutenant de maire en l'Hostel de Ville de Caen. On s'estoit opposé à son installation, quoyqu'il eust été reçeu au Parlement de Rouen, auquel ses provisions l'avoient adressé; il a esté obligé d'aller au Conseil pour lever ladite opposition. M. de Pontoger-Gouville, procureur du Roy de la ville, a esté député au Conseil pour soutenir l'opposition, attendu qu'il estoit marchand de dentelles et vendant du fil à l'one. Cependant le Conseil a statué en sa faveur et a donné son arrest. Il l'a maintenu en ladite charge (1), quoyqu'on eût proposé

qu'ils n'auroient qu'à l'attaquer pour tirer de lui tel parti qu'il leur plairoit ». Mais le prétendant insista et il lui fallut partir quand même. (Mémoires du comte de Forbin, chef d'escadre. Amsterdam, 1730.)

(1) Plesbois, sieur de la Garenne (ou de la Garende), changeur de monnaies, gros négociant en dentelles et, plus tard, fermier général de Mgr de Fleury, abbé de Saint-Étienne. Sa maison, située place Royale, eut beaucoup à souffrir dans l'émeute qui éclata à Caen le 25 juin 1725. Il était détesté par le peuple, qui faillit lui faire un mauvais parti.

En 1708, les échevins voulaient supprimer la place qu'il venait

de le rembourser aux dépens des lanternes qu'on abolissoit dans la ville (1); ainsy que la charge de maire alternatif qu'on debvoit réunir aussy au corps de la ville, aux mesmes dépens. Le sieur de la Garende avoit achepté ladite charge de M. Gohier de Jumilly, qui en estoit titulaire, au mois de may 1707, ainsy que ladite charge de lieutenant particulier au Présidial.

Aujourd'huy, dimanche 5 aoust 1708, on a chanté un Te Deum, en l'église Sainct-Pierre de Caen, pour rendre grâces à Dieu de la prise de la ville de Tortose. en Espagne, par M. le duc d'Orléans. La bourgeoisie estoit soubs les armes, autour du feu qui fust allumé,

d'acheter de M. Gohier de Jumilly. Ils firent toutes les démarches possibles pour y arriver; il y avait aussi une autre raison : le sieur Plesbois était un des plus gros imposés, et cette charge l'exemptait d'impôts. Reg. de l'Hôtel de Ville, C. 81, fos 128 et 138. « Refus d'installation... La prétention du sieur de la Garesne est contraire à l'édit de 1707, qui réunit les offices de maire et lieutenant de maire... D'ailleurs, la ville de Caen a le droit d'eslire les deux premiers eschevins gentilshommes, lesquels se trouveraient précédés par le sieur de la Garesne, qui est marchand en gros et en détail, paie à ce titre une grosse ustensile, dont il se trouverait exempt, ainsi que du logement des gens de guerre et autres charges publiques ». Mais la Cour tint bon, et un arrêt du Conseil ordonna l'installation. « Lundi, 9 juillet 1709.- Est entré dans l'Hostel, le sieur Jacques Blessebois, lequel a mis sur le bureau ses lettres de provision, etc... et l'arrêt du Conseil du 23 juin dernier, ordonnant l'installation dudit dans le jour de la signification; sur le vu des susdits arrêts, ledit sieur est installé, etc. ».

(1) Les malheureuses! Non seulement on les brisait sans trêve ni merci, mais maintenant on les supprimait pour payer certains offices que la ville voulait éteindre (Reg. de l'Hôtel de Ville, C. 81, fo 135). « Arrêté que... la finance sera prise sur la somme de 3.750 livres affectée au revenu et entretien des lanternes, et autant de temps qu'il sera nécessaire ». Pendant quelques années, la ville dut se contenter du clair de lune.

après le Te Deum, par M. le Maire et le premier eschevin, au bruict de la mousqueterie de la bourgeoisie et du canon du Chasteau, qui tira toute son artillerie, au nombre de plus de 20 pièces de canon Tous les corps de la ville y assistèrent.

Le 24 juillet 1708, on a jugé les coupables du crime dont j'ay parlé cy-devant, qui avoient assassiné les demoiselles Saillenfest, sœurs, tant les contumaces que les présents. La fille de la dame Dieuavant a esté bannie pour 9 ans de la province. Henry Farolet, père de celuy quy fust rompu, a esté eslargi, quant à présent. Jacques Saillenfest, dict La Houlle, père, eslargy définitivement; le sieur de Loucelles condamné à avoir la teste tranchée, et, par contumace, etc. Le fils dudict La Houlle a esté rompu vif, par contumace, pour avoir esté un des plus complices dans ledict assassinat; la nommée Pajot, bannie à perpétuité, et d'autres eslargys, etc.

Au mois d'octobre 1708, la ville de Lille a esté prise par les troupes des Alliés, après près de 3 mois de siège, par le prince Eugène. M. de Boufflers commandoit dans la ville, qui s'est surpassée en bravoure et jugement. Les Alliés y ont perdu plus de 30.000 hommes. Ils n'ont pas encore pris la citadelle: M. de Boufflers, après la reddition de la ville, s'y est retiré avec les meilleures troupes. Il fist une capitulation très honneste (1). Peu de temps après, la citadelle s'est rendue avec une capitulation honorable.

(1) Le maréchal de Boufflers fut élevé à la pairie pour sa belle défense. « Les ennemis avaient été les premiers à lui donner des marques de distinction. Le prince Eugène le conduisit lui-même à Douai, le plaçant, avec le chevalier de Luxembourg, dans le fond du carrosse, se mettant seul sur le devant, et fit commander l'es

Le mardy, 11 décembre 1708, M. Gouville de Pontoger a esté enterré à Mesnil-Patry, sa terre, après le service faict à Sainct-Pierre. Il estoit conseiller au Présidial, procureur du Roy de la ville et de la police et président aux traites.

Aujourd'huy, 2 febvrier 1709, M. Jean Le Page, fils de M. Le Page, maistre du carrosse de Rouen, a pris possession de la charge d'advocat du Roy au Bailliage et Siège présidial de Caen, que possédoit feu M. de Vauquelin, escuyer, sieur d'Ennecy. Elle estoit aux parties casuelles; elle a esté fixée à 5.200 livres.

Au commencement de ceste année 1709, M. Le Coq de Biéville (1) a pris possession de la charge de lieutenant général en la Vicomté, que possédoit M. Dauchin, et a esté reçeu à Rouen.

Au mesme temps, M. Guérard a pris possession de la charge d'advocat du Roy, que possédoit feu M. Adeline, et a esté reçeu devant nous, au Bailliage, suivant ses provisions, ainsy que M. Lehoux de la Montjoye, qui a pris possession, au mesme temps, d'une charge

corte par le prince d'Auvergne, déserteur de France. Ces honneurs, de la part du prince Eugène, étaient d'autant plus remarquables que, dans le cours de cette guerre, il traita généralement nos prisonniers avec hauteur et dureté ». (Mémoires secrets de Duclos. Paris, Didot, 1854, p. 24.)

(1) Vieille famille de la généralité de Caen. Jean Le Coq de Biéville, lieutenant général en la Vicomté, mourut en 1734. Son fils, Charles-Pierre-Louis Le Coq de Biéville, avocat, conseiller du Roi, professeur à la Faculté des droits, prieur de cette Faculté et directeur de l'Académie royale des belles-lettres de Caen, lui succéda en 1735. Il était né en 1703 et mourut le 17 novembre 1759. Le fils de celui-ci, Jean-Louis-Pierre, avocat, docteur et professeur en l'Université, devint conseiller du Roi et recteur.

d'assesseur en ladite Vicomté, que possédoit feu M. Macé du Manoir. On les a dispensés d'examen, parce qu'ils avoient plaidé chez nous et que ledit sieur Le Roux avoit disputé une place d'agrégé aux droicts. Au commencement aussi de ceste année 1709, il y a eu une gelée si furieuse que, de mémoire d'homme, il n'y en a eu une telle. Elle a duré presque cinq semaines (1). La rivière de Caen gela partout, ainsy que la Seine. Il est mort une quantité de monde de ce froid, qu'on a trouvé morts dans la campagne, ainsy qu'à Paris, où on a faict monter le nombre à plus de 30.000 âmes. La terre estoit couverte, pendant tout ce temps, de deux pieds et demi de neige, ce qui a causé la ruine de tout le gibier. On n'en vouloit pas, tant il estoit pauvre et maigre. Il est arrivé, à la fin de ceste gelée, des houragans si furieux que, dans la mer, il est péry une quantité de vaisseaux; entre autres, à Langrune, prosche de La Délivrande, il est péry trois bateaux pêcheurs, dans lesquels il y avoit 22 hommes, ce qui estoit affreux à voir et digne de compassion.

Aujourd'huy, 13 mars 1709, M. Jean-Jacques Coquerel (2) a pris possession de la charge de conseiller honoraire, que possédoit feu M. Dubois. Il avoit pré

(1) Cf. Journal d'Abraham Le Marchand, publié par la Société de l'Histoire de Normandie, p. 53. Cet hiver légendaire fut suivi d'une disette qui dura jusqu'en 1710.

(2) Coquerel (Jean-Jacques), conseiller d'honneur, mourut à Caen, à l'âge de 82 ans, le 10 décembre 1752. Il avait épousé, le 6 novembre 1715, en l'église Saint-Pierre, Marie-Thérèse Le Marchant, veuve en premières noces du sieur Jacques Maheust, sieur de Vaucouleurs, conseiller du Roi et professeur en l'Université de Caen. Elle était fille de Pierre Le Marchant, frère de notre chroniqueur.

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