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qui perd un bon patron. Le Roy en a marqué son ressentiment.

Le 2 novembre 1704, on a apporté son cœur au Chasteau de Caen, pour le porter, le quatriesme dudit mois, à Coigny. Tous les bourgeois se mirent en haye, depuis le haut de Vaucelles, jusques audit Chasteau, soubs les armes, les tambours couverts de crespe, qui battoient fort tristement. Le cœur estoit dans un petit coffre de trois pieds, couvert d'un beau drap mortuaire, dans un carrosse attelé de six chevaux. couverts de noir jusques à terre. Il y avoit quantité de carrosses à la suite. Après le service faict au Chasteau, les bourgeois firent une descharge; ils estoient. campés sur la place et autour de l'église; ensuite on tira cinq coups de canon. Toutes les closches des couvents et parroisses sonnèrent pendant deux grosses heures. On fist le service, le lendemain 3, audit Chasteau, où toute la ville assistoit; on y prononça son oraison funèbre (1); les bourgeois estoient soubs les armes. Ce fust les prestres de Sainct-Pierre qui firent le service et ils furent jusques à la porte Millet recevoir le cœur.

Aujourd'huy, 9 novembre 1704, on a chanté un Te Deum, en l'église Sainct-Pierre, en actions de grâces de la prise de la ville d'Yvrée, en Savoye, par l'armée

(1) L'oraison funèbre fut prononcée par M. Désauné, vicaire de Saint-Georges-du-Château. Le manuscrit original se trouve inséré dans le registre 132, in-fo, de la Bibliothèque de Caen (papiers de M. de Quens). Il est ainsi intitulé: L'Oraison funèbre de très Haut et très Puissant Seigneur, Jean-Antoine de Franquetot, comte de Coigny, lieutenant général des armées du Roy, etc., prononcée le 3 novembre 1704, dans l'église de Saint-Georges-du-Château, par M. Désauné, vicaire de la même paroisse.

du Roy, commandée par M. de Vendosme. Tous les corps de la ville y ont assisté en la manière accoustumée; après quoy, on a mis le feu au buscher, au bruit de la mousqueterie et du canon du Chasteau.

Aujourd'huy, 22 janvier 1705, la ville a faict faire un service magnifique pour le repos de l'âme de feu Monseigneur de Coigny, dans l'église SainctPierre (1). Monseigneur l'évesque de Bayeux a dit et chanté la messe avec la musicque du Sépulchre, qui estoit fort bonne et lugubre. M. le Supérieur de l'Oratoire, après le service, a faict l'oraison funèbre, dans la chaire ordinaire des prédicateurs. M. Foucault, intendant, y estoit; l'Université, en corps; le Bailliage et la Vicomté, aussy en corps. Tout l'autel, depuis le haut jusques en bas, estoit tout tendu de noir, avec trois rangs de velours et six rangs de lingettes, autour de l'église; il y avoit deux rangs de velours au chœur et un rang autour de la nef, le tout parsemé d'armoiries du défunct et de celles de la Ville. Il y avoit au milieu, une pointe élevée sur un mausolée

(1) Ce service fut presque imposé à la Ville. Le comte de Coigny était pourtant populaire à Caen, mais les embarras financiers étaient devenus pressants. Il suffit de lire la délibération du lundi 20 janvier 1705 : « Sur les remontrances du Procureur du Roy, arrêté qu'il sera célébré, le 22 de ce mois, un service solennel pour le repos de l'âme de M. le comte de Coigny, chevalier de l'ordre du Saint-Esprit, directeur général de la cavalerie, gouverneur de Barcelone, etc. La ville étant, hors d'estat de faire toute la dépense, a mandé les jurés crieurs et leurs associés et leur a demandé le prix qu'ils demanderaient pour tendre la ville en serge et en velours. Ils ont proposé de le faire à leurs despens, si la ville vouloit les exempter de l'ustensile pendant la durée de la guerre, ainsi que des logements militaires. Ce qui a esté convenu ».

La guerre dura longtemps et les jurés crieurs n'y perdirent pas.

qui avoit plus de 20 pieds de hauteur. Il estoit remply de cierges et d'armoiries du défunct seulement, avec quantité d'inscriptions (1) fort belles. Quatre des gardes de M. de Coigny estoient autour dudit mausolée, avec chacun un flambeau à la main. Toute la ville y a assisté avec beaucoup de dévotion.

Aujourd'huy, 2 mars 1705, M. Jean-Léonor Le Gardeur, escuyer, a pris possession de la charge de lieutenant criminel au Bailliage de Caen, par la démission volontaire que luy en a faicte M. Guillaume Le Gardeur, son père, qui en a jouy pendant l'espace de 55 ans (2). M. de Croisilles, président, a prétendu présider à l'installation, au préjudice de M. du Moustier de Canchy, lieutenant général; ce qui a formé une contestation, à laquelle M. de Croisilles a acquiescé, s'étant contenté de coucher sur le registre son opposition, à laquelle M. de Canchy a répondu qu'estant un lundy et jour de Bailliage, c'estoit à luy à présider, outre que c'est une exécution d'un arrest de la Cour, dont il estoit naturellement l'exécuteur, et avec plusieurs raisons de part et d'autre.

Le 13 apvril 1705, Monseigneur le duc de Bretaigne, fils de Monseigneur le duc de Bourgoigne, est mort à Versailles, aagé de neuf mois et quelques jours.

Le 12 may 1705, M. Guillaume Le Gardeur,

(1) Beziers, dans sa Chronologie des baillis et gouverneurs de Caen, a conservé le texte de ces inscriptions. On peut s'y reporter, p. 141. G. Mancel les a reproduites en note dans son Journal d'un bourgeois de Caen.

(2) Guillaume Le Gardeur, écuyer, sieur de la Vallée, avait été installé dans sa charge en 1650; il mourut le 12 mai 1705. (Voir ciaprès.) Son fils Jean-Léonor, sieur de Croisilles, mourut le 29 juin 1729, à l'âge de 60 ans.

escuyer, lieutenant général criminel à Caen, est mort après avoir possédé sa charge avec mérite et exactitude pendant l'espace de 55 ans. Il estoit aagé de 79 ans; il s'estoit desmis de sa charge en faveur de M. son fils, au mois de mars dernier. Il fust enterré aux Pères Jacobins, lieu de sa sépulture.

Le 5 may 1705, Léopold-Ignace, empereur, est mort, aagé de 65 ans et 47 de règne (1). Il laisse deux enfants masles de sa troisiesme femme, n'en ayant pas eu avec les deux autres.

Le 16 may 1705, les mousquetaires gris sont passés par Caen, pour aller à La Hougue s'opposer aux descentes, en cas que les Anglois en voulussent tenter. Deux jours auparavant, il a passé par icy trois compagnies d'Invalides, qui vont pour le mesme sujet au mesme pays.

Le 18 septembre 1705, les mousquetaires gris sont repassés par Caen, pour s'en retourner à Paris ou ailleurs, en cas de besoin.

Le lundy, jour Sainct-Mathieu, 21 septembre 1705, on a chanté un Te Deum, en l'église Sainct-Pierre, en actions de grâces de la victoire remportée par M. le duc de Vendosme contre le prince Eugène de Savoye,

(1) L'empereur Léopold mourut à Vienne, après une assez longue maladie. « Une laideur ignoble, une mine basse, une simplicité fort éloignée de la pompe impériale, dit Saint-Simon, ne l'empêcha pas d'en pousser l'autorité beaucoup plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs, si on en excepte Charles-Quint. Sa vie intérieure, plus monacale que de prince, ne l'empêcha pas de se servir de toutes sortes de voies pour arriver à ses fins ». Sa fin fut étrange: «Sentant la mort approcher, après avoir mis ordre à toutes choses, il demanda sa musique, qui avait toujours fait son unique plaisir. Il l'entendit plusieurs heures et mourut en l'entendant ».

le mois d'aoust dernier (1). Toutes les parroisses et couvents y ont assisté, suivant l'usage, ainsy que les compagnies. Après quoy, on a mis le feu au buscher, au bruit de la mousqueterie des bourgeois et du canon du Chasteau, qui a tiré 31 coups de canon.

Aujourd'huy, 20 octobre 1705, M. Henry de Marquetel, marquis de Montfort (2), a esté reçeu au Présidial, à la charge de Grand Prévost général de la Basse-Normandie, par la démission que luy en a faicte M. de Clairel de Sortosville.

Aujourd'huy, 30 décembre 1705, il est arrivé, sur les dix heures du matin, un grand vent ou ouragan, tel qu'on crut toute la ville abismée; toutes les maisons furent descouvertes de thuiles; il tombait des cheminées; beaucoup de maisons furent abismées; beaucoup d'églises furent esbranlées. La grande Abbaye aux Hommes (3) et celle des Dames furent les plus endommagées, et, ce qu'il y eust de plus desplorable, c'est que toutes les campagnes furent désolées, les maisons et les fermes abattues et ruinées, avec une prodigieuse quantité d'arbres abattus et, surtout, beaucoup de beaux pommiers. On compte dans la par

(1) Victoire de Cassano, remportée par le duc de Vendôme sur le prince Eugène, le 16 août 1705.

(2) Le Marquetel de Saint-Denis de Saint-Évremont. Ancienne famille de Normandie, dont le célèbre Saint-Évremont, maréchal de camp, poète et écrivain, si connu par ses ouvrages, faisait partie. Cette famille était originaire de l'élection de Coutances. Le nôtre, Henry Le Marquetel, écuyer, sieur de Montfort, demeurait

la paroisse de Rémilly, sergenterie de La Halle-au-Gascoing. (3) Deux fillettes de la pyramide, du côté du midi, furent abattues par le vent. Le 30 août 1704, pendant un orage épouvantable, le tonnerre était tombé sur la tour du nord et avait renversé le sommet, sur une longueur de quinze à vingt pieds.

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