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M. le comte de Coigny, gouverneur de Caen et lieutenant général des armées du Roy, est arrivée à Caen, accompagnée de M. le comte de Coigny. Elle n'y estoit poinct encore venue depuis son mariage, qui fut il y a trois ans. Les bourgeois leur ont faict entrée; ils estoient soubs les armes en haye, depuis le faubourg de Vaucelles jusques au Chasteau, en très bon et bel ordre. On a tiré le canon au Chasteau; tous les corps de la ville ont esté la saluer et complimenter. Elle est fille de M. du Bordage, homme de qualité de Bretaigne et fort riche.

Au mois de may 1704, M. de Croisilles, cy-devant premier advocat du Roy au Présidial de Caen, a pris possession de la charge de Président audit Présidial, pour la vente que luy en a faicte M. Gosselin, seigneur de Noyers.

Aujourd'huy, 14 juin 1704, on a faict une cérémonie de la translation du corps de sainct Benoist, martyr, et de quelques ossements de deux autres saincts, nommés sainct Dacian et saincte Fortunate, que Notre Sainct Père a envoyés à Madame de Tessé, abbesse de Caen. On porta hier lesdites relicques à l'abbaye aux Hommes, et, aujourd'huy, les religieux de ladite abbaye les ont rapportées en l'abbaye aux Dames. La compagnie de Sainct-Gilles marchoist en teste, soubs les armes. Après quoy, marchoist la procession de Sainct-Gilles, Sainct-Nicolas, Sainct-Ouen et lesdits religieux, au milieu desquels estoient lesdites relicques, portées par quatre religieux; il y avoit un grand tapis, dont les quatre coins estoient portés par quatre gentilshommes, l'espée au costé, qui estoient: Messieurs d'Anfernet, Hue, Gouville de Pontoger et Bernières-Verdun. Les autres relicques estoient portées

par quatre officiers de la juridiction de Madame, sçavoir: Messieurs Avenel, Lemançois, Le Lièvre et de Touchet. La cérémonie a duré huit jours. Toutes les paroisses ont esté, chacune à leur tour, chanter la grande messe, etc.

Aujourd'huy, 17 juin 1704, Urbain Avenel, fils de M. Avenel, advocat en Vicomté (1), a pris possession et séance au Présidial, de la charge de Vice-Baillif que possédoit cy-devant Claude Gaultier, et, auparavant luy, M. Négrier.

Aujourd'huy, 6 juillet 1704, on a chanté un Te Deum, dans l'église Sainct-Pierre, en actions de grâces de la prise de la ville de Suze par l'armée du Roy. Monseigneur de Bayeux en a faict la cérémonie. Tout le clergé, Université, Bailliage et Vicomté y ont assisté. M. Foucault, intendant, y estoit aussy, à la teste du Présidial. Après quoy, Messieurs de la Ville ont esté mestre le feu à un buscher placé au carrefour, au bruit de toute la mousqueterie de la bourgeoisie qui estoit soubs les armes autour dudit buscher. M. de la Croisette, commandant au Chasteau, fist tirer toute l'artillerie du Chasteau au nombre de 25 pièces de canon tant grands que petits.

Ledit jour, 6 juillet 1704, M. Foucault, intendant, voulut marquer au Roy la joye qu'il avoit de la naissance de Monseigneur le duc de Bretaigne (2), sorty de Monseigneur le duc de Bourgoigne et de son espouse, Mademoiselle de Savoye. On donna des ordres par toutes les parroisses et couvents de ladite

(1) Urbain Avenel était fils de Pierre Avenel, qui était avocat en Vicomté dès 1666. Un François Avenel avait été nommé échevin en 1679.

(2) Reg. de l'Hôtel de Ville, C. 80, fo 163.

ville de Caen, de sonner à toute vollée, à 8 heures du soir, au signal que l'on donna au beffroy de la maison de ville, et on alluma, dans toutes les tours des églises et couvents de ladite ville, des illuminations sur les dix heures; on ordonna que les bourgeois feroient des feux devant leurs portes et des illuminations à leurs fenestres: ce qui fut exécuté. Monsieur l'Intendant fist couler deux pièces de vin pour ceux qui en voulurent prendre. Il donna un magnifique repas et un bal, et, sur les unze heures du soir, il alla au Pavillon de la Foire pour voir tirer un magnifique feu d'artifice qui estoit dans la praierie, sur un théâtre. Les bourgeois du détachement estoient soubs les armes, qui firent, prosche le feu d'artifice, tous des décharges au son des tambours. Dans le mesme temps, on fist un combat de plusieurs jeunes gens qui estoient dans des nacelles, conduites par des matelots; lesquels jeunes gens se jettoient une gresle de petites fusées. Le combat estoit soubs les fenêtres du Pavillon de la Foire, dans la rivière. Ce fust une fort jolie chose à voir. Tout estoit remply partout d'illuminations et de lanternes; et, pendant tout ce tempslà, on tiroit incessamment le canon au Chasteau. Les Pères Jésuites se distinguèrent beaucoup dans ceste occasion. Tout leur jardin estoit remply de feux d'artifices et de lampes, par estages; ils avoient, outre, quinze pièces de canon qui tiroient incessamment. Il y arriva un grand malheur. Les cannoniers quy avoient le soin de mestre le feu aux dits canons, dans le temps qu'ils mestoient le feu à un des dits, un jeune homme, qui estoit beu, mist le feu à un autre qui estoit derrière ledit cannonier et dont le bout luy donnoit sur le ventre, ce qui ne manqua pas, en tirant.

en

de luy envoyer les entrailles en l'air et le tua sur la place. Toute la ville estoit dans la praierie et sur le boulevard, jusques à une heure après minuit.

Au mois de juin 1704, M. Jean Gohier, lieutenant civil, criminel et particulier au Siège présidial de Caen, est mort.

Aujourd'huy, 11 aoust 1704, M. Charles-Jacques Gohier, escuyer, sieur de Jumilly (1), a pris possession de la charge de lieutenant civil, criminel et particulier que possédoit cy-devant M. Jean Gohier, son père.

Aujourd'huy, 25 aoust 1704, on a chanté un Te Deum, en l'église Sainct-Pierre, en actions de grâces de la prise de la ville de Verçeuil, en Savoye, par l'armée du duc de Bavière et celle de France.

Le 13 aoust 1704, l'armée de France, commandée par le mareschal de Tallard, joincte à celle du duc de Bavière (2), a esté défaite par l'armée de l'Empereur et celle d'Angleterre, commandée par M. de Marlborough. Nous avons perdu, tant prisonniers que tués, 25.000 hommes et plus. M. de Tallard a esté faict prisonnier. Le prince Eugène y commandoit une armée contre les François. Le combat fust donné à Hogstet, en Bavière. On dist que nous y avons perdu plus de 40.000 hommes.

(1) Charles-Jacques Gohier, écuyer, sieur de Jumilly, exerça sa charge pendant trente-cinq ans et fut nommé lieutenant honoraire le 11 septembre 1739. Il mourut le 1er mars 1744, à l'âge de 75 ans, et fut inhumé dans la chapelle de Saint-Michel de Vaucelles.

(2) Seconde bataille d'Hochtedt, perdue, le 24 août 1704, par les maréchaux Marsin et Tallard et l'Électeur, contre Marlborough, le prince Louis de Bade et le prince Eugène. Tallard fut fait prisonnier; nous perdîmes 26 bataillons et 12 escadrons, en plus de 12.000 tués.

Aujourd'huy, 5 octobre 1704, on a chanté le Te Deum, en l'église Sainct-Pierre, en actions de grâces. de la victoire remportée par l'armée navalle, commandée par Monsieur le comte de Toulouse, sur la flotte Hollandoise et Angloise, dans la Méditerrannée (1). Tous les corps de la ville y assistoient; après quoy, on a mis le feu au buscher, au lieu ordinaire du carrefour et au bruit de la mousqueterie et du canon du Chasteau.

Au mois d'octobre 1704, Messire Jean-Antoine de Franquetot, comte de Coigny, lieutenant général des armées du Roy, chevalier de l'ordre de Sainct-Louis, directeur général de la cavalerie françoise, gouverneur des Ville et Chasteau de Caen et de Barcelone, bailly dudit Caen, commandant en chef de l'armée du Roy sur la Moselle, est mort (2), en deux jours, d'une esquinancie, en Flandres, au grand regret des pauvres et riches, et particulièrement de la ville de Caen,

(1) Bataille navale de Malaga, remportée par le comte de Toulouse sur l'amiral anglais Rooke, le 4 août 1704.

(2) Reg. de l'Hôtel de Ville, C. 80, fo 169, vo.

Saint-Simon (Mémoires, t. III, édit. Hachette, in-12, p. 122) dit qu'il mourut de chagrin. « Coigny fut renvoyé avec son corps sur la Moselle. Il n'avoit pu se consoler de n'avoir pas compris l'énigme de Chamillart et d'avoir, sans le savoir, refusé le bâton de maréchal, en refusant d'aller en Bavière. Marsin l'avait eu à sa place. Depuis l'hyver que Chamillart lui avoit achevé de dévoiler un mystère que le bâton de Marsin, déclaré à son arrivée en Bavière, lui avoit suffisamment révélé, il ne fit plus que tomber. Le chemin où il étoit et l'espérance d'y revenir ne le put soutenir contre l'amertume de sa douleur. Il avoit déjà de l'âge. Il mourut sur la Moselle au commencement d'octobre, à la tête de son petit corps d'armée. Son fils fut plus heureux et son petit-fils aussi, à qui on voit maintenant une si brillante fortune ».

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