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on peut constater au Matrologe qu'il a biffé le texte du doyen pour lui substituer un compte-rendu écrit par lui en termes plus solennels (1).

En 1583, en vertu de l'arrêt de réformation de la Cour du Parlement, Jacques de Cahaignes fut nommé professeur royal en médecine; il fut solennellement installé en présence de Charles Faure, conseiller du Roi, de Jean Vauquelin de la Fresnaye, le poète, qui avait succédé à de Bras dans la charge de lieutenant du bailli, « sub praefecto Cadomensi», dit le Matrologe, et de Pierre de Vérigny, procureur du Roi (2). Son discours inaugural a été imprimé dans ses œuvres (3). La cérémonie eut lieu dans la grande salle des arts, la plus belle de l'Université; il fallait descendre cinq degrés pour y parvenir.

Les locaux de la Faculté de médecine étaient dans un plus triste état, ils tombaient en ruines; J. de Cahaignes et Onfroy les réparèrent de leurs deniers (4). Firent-ils pas mieux que de se plaindre. Ils se plaignirent néanmoins, car l'étroitesse des salles permettait moins que jamais de célébrer les actes, de faire passer les examens, de plus en plus nombreux (5).

Les étudiants, cependant, affluaient à la Faculté; on entrait alors dans une période de prospérité qui fait contraste avec les années du début du siècle; la Faculté de médecine attire alors de nombreux étrangers. En 1573, déjà, un allemand, Albert Echt, de

(1) Med. Matr., fo 100.

(2) Ibid., fo 115. Voir ma thèse latine et L'Université de Caen à la fin du XVIe siècle.

(3) Comme il a eu soin de le consigner au Matrologe, fo 115.

(4) Med. Matr., fo 117.

(5) Ibid., fo 99, vo.

Cologne, était venu prendre à Caen le baccalauréat (1). Dans les dernières années du XVIe siècle, et ce mouvement se continuera au XVIIe, de nombreux étudiants étrangers paraissent à la Faculté; en 1595, maître Jean Gaunan, du diocèse de Limerick (Irlande) « Hybernus », demande à passer le doctorat à Caen, il apporte de Louvain le grade de licencié et des lettres testimoniales; en 1599, c'est Balthasar Caris, un Allemand qui a fait ses études à Francfort-surOder, puis à l'Académie de Brunswick et enfin à Leyde (2); en la même année, un Flamand et un Hollandais d'Amsterdam (3); en 1600, un Silésien et un Pomeranien passent le doctorat (4). La Faculté compte aussi des étudiants français, dont quelques-uns acquerrent une certaine célébrité, tels que Denys Porée de Vendes qui fut médecin du roi Henri IV (5).

Les réceptions au doctorat furent alors nombreuses et brillantes. Jacques de Cahaignes a consigné sur son manuscrit les séances qu'il a présidées, et nous avons ainsi, soit par ce document, soit par le Matrologe, le récit de ces cérémonies qui prenaient le caractère de fètes.

Aux Archives communales, dans les cartons de l'Hôtel de Ville, on trouve de fréquentes invitations à assister aux doctorandes adressées par l'Université au corps de ville, aux gouverneurs échevins. Un personnage célèbre est-il de passage à Caen, on l'invite à ces

examens.

(1) Med. Matr., fo 129. (2) Ibid., fo 138.

(3) Ibid.

(4) Ibid., fo 141.

(5) Ibid., fo 145.

Quand, pendant la Ligue, le Parlement de Rouen, resté fidèle à Henri IV, dut se transporter à Caen, il figura à la réception au doctorat de maître Nicolas Michel, licencié en médecine, professeur royal en lettres humaines, avec les officiers du roi à Caen, « subpraefectos cadomenses », les échevins, « decuriones civitatis », les conseillers au siège présidial, et noble homme Quentin Taffin de Tournai, ambassadeur des Provinces-Unies de Hollande et de Frise auprès du Roi. Les salles où avaient lieu ces examens, soit aux grandes escolles », soit à la nef des Cordeliers, étaient alors couvertes de tapis. La Cour des aides de Rouen réfugiée à Caen pendant la Ligue fit don à la Faculté d'un tapis (1).

Assistons à l'une de ces séances puisque le Matrologe et le manuscrit de de Cahaignes nous le per

mettent.

François Moisant engage une discussion avec le candidat au sujet de l'origine des formes. Jacques de Cahaignes intervient, réfute l'opinion des philosophes qui pensent que la semence des formes est cachée dans la matière et démontre la vérité des opinions platoniciennes qui les font descendre du ciel. Étienne Onfroy, docteur, discute ensuite avec le candidat sur l'union des formes ordinaires. La dispute terminée, Jacques de Cahaignes, président, prononce un discours sur le désir de conservation et de perpétuité de l'espèce qui se manifeste tant dans les corps animés

(1) 1594. Med. Matr., fo 128. M. Panel, dans La vie et les œuvres de Jacques de Cahaignes, professeur du Roi en médecine à l'Université de Caen, 1548-1618, Sotteville-lès-Rouen, 1902, in-8°, attribue ce don à Jacques de Cahaignes, mais il a dépouillé bien superficiellement le Matrologe de la Faculté de médecine.

que dans les inanimés, accommodant ce discours au temps, au lieu et à la circonstance. Après quoi, le bedeau récite la formule du serment qui doit être prêté par les docteurs. Michel prète le serment, puis est invité à monter le degré ; il reçoit alors tous les ornements des docteurs. En une langue élégante et chàtiée, il exprime ses remerciements aux applaudissements de tous et à la grande louange du corps médical tout entier.

Dans son manuscrit, Jacques de Cahaignes nous a conservé le discours prononcé par lui lors de la réception d'un autre docteur de ce temps, Étienne Onfroy ; il est intéressant parce qu'il est suivi de toutes les petites allocutions qui ont accompagné la remise de chacun des insignes. Le président invite le nouveau docteur à monter dans la chaire: « Avance et monte sur ce siège d'honneur, digne récompense de tes peines. Je voudrais que tu considères comme ce siège est plus élevé que les autres; ainsi, ceux qui doivent s'y asseoir doivent l'emporter sur tous par leur vertu et leur science, car ce n'est point la chaire qui honore le docteur, mais le docteur qui doit honorer la chaire ». Le président lui remet le livre, symbole de l'enseignement : « De même que les armes sont nécessaires au chevalier, de même le livre au docteur. Je te remets ce livre, non pour que, par un goût trop vif pour les lettres, tu t'éloignes de ta fonction, mais afin que, comme il convient à un philosophe et à un médecin, tu te donnes alternativement à l'enseignement et à la pratique ». Il lui passe l'anneau: « Les Romains, en présence de tout le peuple, honoraient d'un anneau d'or leurs généraux qui avaient sauvé la République par leur victoire; à leur

exemple, à toi qui as triomphé de la barbarie ennemie des lettres et qui as bien mérité de notre Université et des lettres, j'offre cet anneau d'or en présence de l'illustre assemblée et je le passe à ton doigt ». Il lui remet les gants: «Autant est désagréable et odieuse une trop grande négligence dans les soins du corps; autant est aimable et plaisante une élégante propreté qui ne paraît point trop affectée. Reçois donc ces gants qui ornent tes mains d'une manière modeste et seront le signe du soin de tout le corps........... » Puis il pose sur sa tète le bonnet (pileus), en faisant allusion à la mise en liberté des esclaves antiques, à la manumissio. Il termine en énumérant tous les droits que lui confère le titre de docteur: droit de monter dans la chaire, de disputer, d'exercer la médecine et de se livrer à tous les actes tant théoriques que pratiques, ici et par toute la terre: « suggestum ascendendi, perlegendi, disputandi, medicinam faciendi, omnes<«< que denique actus tam theoricæ quam praxeos exercendi hic et ubique terrarum » (1).

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Ainsi Caen voit presque chaque année s'augmenter le nombre de ses docteurs renommés; la Faculté comptera

(1) De là Molière a tiré sans trop d'effort toute la cérémonie du Malade imaginaire. Il avait pu voir la réception d'un docteur à Montpellier ou encore à Paris, et il lui a suffi de changer quelques mots à la formule finale pour en faire un chef-d'œuvre de comique. Ego, cum isto boneto

Venerabili et docto,
Dono tibi et concedo

Virtutem et puissanciam

Medicandi,

Purgandi,

Seignandi,

Perçandi,

Taillandi,

Coupandi

Et occidendi

Impunè per totam terram.

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