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les récits, plutôt amplifiés que diminués, des premiers succès, et, désormais, l'exode des Normands vers l'Italie ne cessera plus, et, en nombre toujours plus grand, des troupes partiront, qui viendront grossir les rangs des premiers arrivés. L'intérêt, sans doute, et l'appât d'un butin réputé facile à conquérir, expliquent ces premières expéditions, « mais aussi, nous l'affirme l'annaliste, le désir d'y conquérir des lauriers; les palmes de la gloire, le son des trompettes et des << tambours leur estant cent fois plus agréables « qu'un concert de voix et de luths, et le jour d'une bataille, plus beau que celuy de leurs nopces ».

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Les arrivants se mettaient à la solde des princes du pays, s'alliant tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, mais « ayant toujours ceste prudence de ne jamais << donner victoire entière au prince qu'ils servoient; la « guerre, leur élément et leur plus doux entretien, << estant seule capable de leur donner des richesses et « de la gloire ».

Véritables partisans, comme on le voit, campant tantôt sur le haut des montagnes, tantôt au fond des vallées, n'ayant même ni camp établi, ni lieu de retraite assuré, et pouvant ainsi déconcerter l'ennemi par la mobilité de leurs mouvements et la rapidité de leurs marches.

Et les choses dureront ainsi pendant près de trente ans, jusqu'au jour où, vers l'an 1033, l'idée leur vint de se bâtir une ville d'où ils pouvaient surveiller l'arrivée des galères musulmanes, ou, au besoin, se retirer. Ce fut la ville d'Averse (aujourd'hui Aversa), entre Naples et Salerne. Leur chef était alors un chevalier nommé Ranulphe, qui prit le titre de comte d'Averse.

La ville édifiée, il fallut songer à la peupler, et le premier soin de Ranulphe fut d'envoyer, lui aussi, une ambassade en Normandie, avec mission de vanter devant tous la beauté et la richesse du pays, l'opu«<lence des villes et la mollesse des habitants, proie << toute indiquée pour toutes les soumissions, la for« tune, assurait-on, ne faisant qu'attendre les Nor«mands pour leur apporter, comme dans un filet, les «< villes de la Pouille, de la Calabre, mesme de <«< la Sicile, avec les couronnes de ces grandes et << riches provinces ».

La tentation était vraiment trop forte, appuyée d'ailleurs d'un résultat probant, et, pour plus d'un, la preuve sembla faite que le moment pouvait être venu de tenter sérieusement la conquête de l'ltalie. Et bientôt ce fut vers la ville nouvelle une véritable émigration. « Alors on vit, dit notre chroniqueur, une << foule de gens, chevaliers ou manants, quitter leur << patrie avec femmes et enfants, pour venir retrouver << Ranulphe en Italie. Ils s'en allèrent hardiment jusqu'au pied des Alpes, renversant les barrières et << massacrant les gardes que les seigneurs du pays << avoient establys pour percevoir un droit de péage << sur les voyageurs ». Le passage fut emporté de vive force et toute la bande arriva, tant bien que mal, sous les murs d'Averse.

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Tel fut, en réalité, le premier établissement de nos pères en Italie. Le fait était notable et il ne se pouvait faire que d'autres n'eussent la pensée de l'imiter et de pousser plus avant toutes ces tentatives, jusqu'alors restées infructueuses.

II

C'est ce que se dirent vraisemblablement ceux auxquels il était réservé de donner à tous ces efforts un couronnement définitif, nous voulons parler des fils de Tancrède de Hauteville qui vont, à leur tour, entrer en scène vers les années 1036 ou 1037.

Mais, d'abord, qu'était au juste cette famille dont le nom, jusque-là ignoré, allait tout à coup devenir si célèbre? Voici, si l'on peut ainsi dire, son état civil:

Le père était l'un des arrière-descendants des compagnons de Rollon. Il avait glorieusement servi son duc Richard II; puis, vieux et fatigué, il s'était retiré dans son fief de Hauteville, près Coutances, au milieu des douze fils qu'il avait eus de ses deux femmes, Murielle et Frémonde, « aussy nobles de vertus que de « race, nous affirme-t-on, et aussy belles d'esprit que << de corps >>.

Cinq fils étaient nés du premier lit, dont l'aîné Guillaume, surnommé Bras de Fer, à cause de sa force, et sept du second; l'aîné de ceux-ci était Robert, surnommé Guiscard ou l'Avisé, à cause de ses ruses de guerre. Le plus jeune sera ce Roger, dont je me propose spécialement de parler. Tous, d'ailleurs, aux côtés de leur père, se préparant comme lui à figurer dans les combats, s'étaient « détachés de bonne heure « des plaisirs de la jeunesse, s'exerçant à bien faire << des armes, à bien piquer et tourner des chevaux, et, << en beaucoup de tournois, à donner des preuves de «<leur courage et de leur adresse ». Tous aussi, au surplus, l'âge venu, allaient tour à tour prendre le chemin de l'Italie. Ce furent d'abord les cinq enfants

du premier lit, avec Robert Guiscard en plus, sous la conduite de Guillaume Bras de Fer.

Ils étaient accompagnés de nombreux seigneurs, dont plusieurs de haute lignée, et dont les chroniques nous ont conservé les noms qui sont encore aujourd'hui prononcés dans notre Normandie. Tels les Ernauld d'Echauffour, les Montreuil, dont l'un sera porte-guidon de Saint-Pierre, après avoir conquis, pour son compte, la Terre de Labour.

Plus tard, avec d'autres frères, ce seront les du Merle.

Plus tard encore, avec Roger, viendront Robert de Guitot et Robert de Grandmesnil, abbé de SaintÉvroult, chassé de Normandie par les intrigues de la comtesse Mabile et de Montgommery. Il amenait avec lui Guillaume Pantoul, seigneur de Noron, près Falaise, et Robert de Corday (1).

Mais, revenons aux aînés de la famille. Au début, comme leurs devanciers, ils commencèrent par se mettre à la solde des potentats du pays, mesurant, eux aussi, leur aide à l'importance des parts de butin qui leur étaient attribuées. Toutefois, bientôt, ce rôle de comparse ne leur suffira plus, et, s'étant rendu compte de la faiblesse de tous ces petits états et de l'intensité des rivalités qui les divisaient, l'idée leur vint de se tailler, pour leur compte per

(1) Orderic Vital: « Willelmus Pantol et Robertus de Cordaio equitant in Apuliam cum Roberto de Grandmesnil ». « Robert Guiscard accueille nommément Guillaume Pantol avec une grande faveur, il le fait asseoir à sa table, il lui offre une robe brodée d'or, et il propose de lui donner trois villes s'il veut rester à son service ».

sonnel, de véritables principautés aux dépens de leurs anciens alliés.

Le dessein une fois conçu, ils se mettent à l'œuvre, et alors va commencer cette série ininterrompue de campagnes, où chacun des nouveaux venus se signale tour à tour par des exploits qui sembleraient empruntés à quelques romans de chevalerie, s'ils n'étaient attestés par les chroniques les plus sérieuses (1), et écrits en quelque sorte sur le sol même du pays vaincu, par des résultats encore aujourd'hui susceptibles d'être vérifiés.

Et, pendant tout cela, se secondant les uns les autres, dans des offensives sans trêve ni merci, et portées sur plusieurs points à la fois, ils laissaient leurs adversaires absolument désemparés.

Le succès, d'ailleurs, dès le début, fut rapide et, en quelques années, une importante partie de la Pouille et de la Calabre fut conquise, sinon soumise, et Guillaume Bras de Fer pouvait prendre le titre de comte de Pouille, qu'il transmit à son frère Drogon, pendant que Robert Guiscard prenait celui de duc de Calabre, en attendant qu'à la mort de Drogon, il usurpât, sur le fils de ce dernier, le titre de comte de Pouille, avec la possession de la province elle-même.

III

Pendant tout ce temps, les derniers nés de la famille, arrivés à l'âge viril, étaient venus retrouver leurs aînés, et c'est exactement en l'année 1059 que Roger, le plus jeune, débarque en Italie et va rejoindre Robert

(1) Orderic Vital; - Chroniques du mont Cassin, Augustus Apulius, etc.

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