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répandre l'instruction dans le peuple. Il y avait peutêtre là l'embryon d'un collège qui se serait développé dans la suite, comme l'ont fait à la même époque d'autres établissements, créés dans de petits centres, et dont les débuts furent aussi modestes.

Dans tous les cas, le souvenir des chanoines et de leurs bonnes œuvres est bien oublié à Croissanville. Déjà même, on dénature ce qu'ils ont laissé, ainsi ce petit clocher à leur usage qui surmonte la nef et que les habitants appellent la tour des moines. Depuis longtemps, l'ancien cimetière qui entourait l'église a été désaffecté, les dalles funéraires du choeur ont été remplacées par un pavage moderne, et c'est en vain qu'on y chercherait le nom d'un de ces pauvres prêtres dont les prières s'élevaient en faveur de la paroisse.

Aussi, en terminant, qu'on me permette d'exprimer un vou, c'est qu'une inscription, placée dans le bas de l'église, sous le clocher, rappelle l'existence de la Collégiale aux paroissiens et aux touristes amis des traditions et du passé.

LES

NORMANDS D'ITALIE

ET

LE COMTÉ
COMTÉ DE MORTAIN

Par M. 0. LANFRANC DE PANTHOU,

Ancien Président de la Société.

I

C'est une page de l'histoire normande que je voudrais aujourd'hui raconter ici. Bien vieille, toutefois, cette page, puisqu'elle va nous ramener à près de neuf cents ans en arrière. Moins vieille cependant encore que celle qu'évoquait, il y a deux ans, un de nos plus éminents confrères (1), pour nous raconter, dans le style à la fois si élégant et si pittoresque dont il a le secret, à la suite de quelles circonstances, grâce à l'intervention du pieux archevêque de Rouen, les Normands s'étaient décidés à faire en terre de France un premier établissement. Et, avec l'autorité qui s'attache à toutes ses communications, nous nous souvenons

(1) M. Jules Lair, membre de l'Institut.

avec quelle sûreté dans ses déductions, notre savant confrère nous faisait entrevoir, dans l'empressement même mis par les nouveaux venus à s'approprier les avantages de notre civilisation chrétienne, le gage certain des glorieuses destinées que semblait dès lors leur réserver leur génie national, fait à la fois d'intrépide vaillance et de sens si pratique.

Et, de fait, un siècle et demi s'était à peine écoulé, que notre duc Guillaume posait sur sa tête la couronne d'Angleterre, et fondait, de l'autre côté de la Manche, cette dynastie dont le sang, on le proclamait naguère avec une légitime fierté (1), coule encore aujourd'hui dans les veines de presque tous les rois ou les reines de l'Europe actuelle.

Et, pendant ce même temps, à l'autre extrémité de cette Europe, les fils d'un petit gentilhomme du Cotentin, Tancrède de Hauteville, achevaient la conquête de l'Italie méridionale et de la Sicile, et allaient y faire, eux aussi, souche de ducs et de rois.

Merveilleuse épopée, à peine entrevue dans les travaux de nos grands historiens et qui, cependant, mériterait d'être racontée.

J'en voudrais seulement retenir quelques détails, à la mémoire, non pas de celui des douze fils, Robert Guiscard, dont le nom semble, pour beaucoup, résumer à lui seul la gloire de tous ses frères, mais en souvenir de Roger, le plus jeune de tous, à peine cité dans nos histoires, et qui sera cependant le plus puissant et aussi, nous allons le voir, le plus sympathique. Et, par surcroît, dans ce même cadre, si restreint soitil, je pourrai, mettre en claire lumière la figure

(1) Fêtes du Souvenir Normand, à Caen, en 1905.

de la femme qu'il voulut associer à sa destinée, une noble fille de ce comté de Mortain, dont l'histoire a pour moi, je l'avoue, tout l'attrai d'une vieille connaissance.

Mais, avant de parler de ce dernier venu des fils de Hauteville et de ses exploits, mettons d'abord les choses au point et disons bien vite que si grande qu'ait été la part de ceux-ci dans le résultat des entreprises normandes en Italie, au XIe siècle, ce n'est pas à eux, comme trop souvent on le laisse supposer, qu'en revient l'initiative. Tout au contraire. il faut tenir pour certain que, plus de trente-cinq ans avant leur entrée en scène, les Normands avaient pris l'habitude de faire des incursions d'abord, et bientôt de véritables expéditions dans la Péninsule Italique. Ce fut, comme souvent, le hasard qui en décida. C'était en l'an 1003. Quarante jeunes gentilshommes normands, revenant de visiter les Lieux Saints, abordèrent à Salerne, à un moment où la ville, pressée par un fort parti de Sarrasins, allait succomber. Tout enflammés encore du zèle pieux qui les avait conduits au tombeau du Christ, nos pèlerins demandent des armes et des chevaux et, laissant là mantelets et bourdons, ils fondent sur les mécréants, à la tête des habitants, avec une furie déjà toute française, et les mettent en déroute. La ville était sauvée et grande fut, on le conçoit, la reconnaissance du prince de Salerne, à ce point qu'il fit à ses sauveurs les offres les plus séduisantes << s'ils vouloient, dit un annaliste qui, plus «< d'une fois, nous servira de guide en cette étude (1),

(1) Dumoulin: Les Conquestes des Normans-François aux royaumes de Naples et d'Italie (1658).

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prendre habitude en la Pouille et le servir en la << presse de ses affaires ».

Ils refusèrent, disant « que le seul amour de Dieu << et la deffense de la foy chrestienne les avoient << seuls portés à ceste entreprise et que leur seul des<< sein estoit de revoir leur chère patrie ».

Mais ils n'y revinrent pas seuls, Gaymar leur ayant adjoint une ambassade chargée de « demander à leur «< duc de luy envoyer quelque jeunesse normande, pro<< mettant de bien appointer ceux qu'on luy enver<< roit >>. «Le tout était accompagné, paraît-il, de << présents magnifiques: chappes royales récamées « d'or et de pierreries, brides d'or et d'argent, et « aussy d'amandes, de citrons et autres fruits << d'Italie ».

Le moyen de résister à tant de séductions! Les fruits étaient si beaux ! Et si beau aussi devait être le pays qui les produisait ! Le duc promit donc de s'employer au succès de la requête, à la grande joie des seigneurs de sa cour dont les épées, depuis trop longtemps, à leur gré, restaient au fourreau.

On eut vite fait de s'organiser, tous, plus ou moins, en souvenir des exploits ancestraux, rêvant déjà de grands coups d'épée et de courses folles dans des territoires inconnus, où il y avait, en perspective, un riche butin à amasser et, qui sait? peut-être quelque nouvelle province à conquérir.

Une troupe de deux ou trois cents hommes, chevaliers ou soldats, fut réunie et prit le chemin de l'Italie, sous la conduite d'un des premiers seigneurs de la cour du duc, Osmond Drengot, et de ses quatre frères.

La voie était ouverte et le but entrevu. Puis vinrent

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