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Louis de Pierrepont, escuyer, et de noble dame Magdeleine Hue de Mutrécy.

Le dimanche, 23 juillet 1719, on a chanté, dans l'église Sainct-Pierre, un Te Deum, en recognoissance de la prise de la ville de Fontarabie, en Espagne, par les François, soubs le commandement de M. le mareschal de Berwick. Toutes les parroisses, couvents et compagnies du Présidial et de la Vicomté y ont assisté, ainsy que l'Université et Messieurs du corps de ville. M. de Mathan, lieutenant du Roy, y estoit soubs la lampe, dans un fauteuil, sans prie-Dieu, accompagné de plusieurs gentilshommes et de six mousquetaires à son costé, avec leurs mousquets. Après quoy, il fust mestre le feu, avec Messieurs de la ville, au buscher qui estoit placé au carrefour SainctPierre, au bruict de la mousqueterie de la bourgeoisie, qui estoit en très bon ordre dans ledit carrefour et de toute l'artillerie du Chasteau. Messieurs de la ville firent tirer un feu d'artifice à minuict et M. le lieutenant du Roy en fist tirer aussy un au Chasteau.

Le dimanche, 17 septembre 1719, on a chanté, dans l'église Sainct-Pierre, un Te Deum (1) en actions de

née en 1700, fille de messire Louis de Pierrepont, écuyer, et de noble dame Magdelaine Hue de Mutrécy. Elle mourut à Caen, paroisse Saint-Pierre, le 3 juillet 1748, dix ans après la mort de son mari, à l'âge de 47 ans, et fut inhumée dans l'église Saint-Pierre. Elle sut calmer les « grands regrets » de son mari et lui survivre. (1) Reg. de l'Hôtel de Ville, C. 84, fos 124 et 126. « Septembre 1719. M. de Mathan communique une lettre du Roy, qui déclare ne faire la guerre que dans l'espérance d'une paix prochaine et regarde le succès de ses armées comme un tesmoignage de la pureté de ses intentions. La prise de Saint-Sébastien est un de ces succès, aussi, il ordonne qu'il en sera rendu grâce à Dieu par un Te Deum et des réjouissances publiques ».

grâces de la prise du fort de Sainct-Sébastien, avec les cérémonies ordinaires, etc.

Le 15 au soir de mars 1720, Monseigneur de Lorraine, évesque de Bayeux (1), est party de Paris, pour venir prendre possession de son évesché. Il arriva par le bac de Colombelles, en carrosse à six chevaux, sept à huict personnes avec luy, à cheval, et une chaise de poste. Il alla coucher à l'Abbaye d'Ardeine, et arriva le 20, à douze heures de midy, à Bayeux. Il ne voulut aucune cérémonie, ny entrée ; on tira seulement trois pièces de canon à son arrivée, dont une creva et tua

(1) François-Armand de Lorraine appartenait à la branche d'Armagnac. Il était fils de Louis de Lorraine, comte d'Armagnac, de Chané, de Brionne et de Marsan, et de Catherine de NeuvilleVilleroy, fille du duc de Villeroy, pair et maréchal de France. Il était né le 13 février 1665. Il possédait les abbayes de Notre-Dame des Chastelliers, de Saint-Faron et de Royaumont. Il fut reçu docteur en Sorbonne, à 23 ans, en 1688. Louis XIV, qui connaissait la hardiesse de ses opinions, s'opposa toujours à sa nomination dans un évêché. Sa famille, influente sous la Régence, réussit à le faire nommer évêque de Bayeux, au mois de mars 1718, deux ans après la mort de Mgr de Nesmond. Il y eut des difficultés de la part du Pape, à cause des opinions jansénistes que M. de Lorraine ne cachait pas. Il ne fut sacré à Paris que le 5 novembre 1719. Il protégea ouvertement les Jansénistes et sacra même plusieurs évêques hollandais. Deux évêques seulement, en France, osèrent l'imiter: ceux de Senez et de Blois. Mgr de Lorraine avait des goûts littéraires. Il se montra favorable au relèvement de l'Académie de Caen qui, depuis 1714, ne s'assemblait plus et pensa sérieusement à la réunir chez lui. Il mourut en 1728, avant d'avoir pu réaliser son vou.

Pendant son épiscopat, il eut à lutter, aussi bien dans son diocèse qu'à Versailles, contre les manœuvres et les calomnies de ses ennemis, qui étaient appuyés par la Cour. Ses détracteurs ne s'arrêtaient pas à ses convictions religieuses qui pouvaient, au point de vue orthodoxe, prêter à des critiques; ils le poursuivaient

trois personnes, en en blessant deux autres, qui sont mortes depuis, entre lesquelles il y avoit un fils unique, gentilhomme fort riche (1), chose pitoyable à voir et qui fist regretter à Monseigneur de Lorraine d'estre venu.

Le samedy ensuivant, 23 du mois de mars, il fist son entrée et sa prise de possession de la manière qui s'ensuit. Il partit de son évesché en carrosse et alla à l'église de Sainct-Sauveur, où il s'habilla pontificalement; ensuite, il fist sa marche. Il y avoit, devant, 300 bourgeois soubs les armes, qui marchoient avec les tambours battants, enseignes déployées, avec des branches de lorier: suivoient après, tous les couvents et parroisses avec leurs croix et bannières. Après quoy, marchoient 300 autres bourgeois soubs les

aussi dans sa vie privée, qui était certainement meilleure que celle de beaucoup de prélats de cette époque. Mgr de Lorraine ne pouvait même arriver à se faire rendre justice, dans les affaires temporelles, devant les juridictions de la province. Nous extrayons d'une de ses lettres, à la date du 6 décembre 1727, les lignes suivantes, qui montrent jusqu'à quel point ses adversaires soulevaient les esprits contre lui. Il se plaint des vexations dont il est victime: « Il n'y a point ou guère d'exemples qu'on ait maltraité, de la part de la Cour, un évêque comme je le suis depuis plusieurs années. Je n'ai jamais demandé de grâces, mais j'ai souvent imploré la protection de S. M.; j'ai présenté plusieurs mémoires; non seulement, on ne m'a rendu aucune justice, mais on a même arrêté le Parlement de Rouen, qui estoit prest à me la rendre... >>

(1) On lit dans les Mémoires de Beziers, t. I, p. 116, à propos de l'arrivée de Mgr de Lorraine à Bayeux : « Les bourgeois sous les armes furent à l'évêché. L'on tira par trois fois le canon du château. Un des canons, trop chargé, creva et tua quatre jeunes gens, entre autres, le fils de M. de Beaussy et celui de M. de Beaupré, qui furent enterrés le lendemain au château, et en blessa plusieurs autres, ce qui troubla la fête et la joie publique ».

armes, comme les premiers, et, sur les ailes, depuis le commencement de la marche, il Ꭹ avoit deux compagnies de cavalerie à cheval, sabre à la main, qui estoient des troupes en garnison dans ladite ville et ailleurs. J'oubliois de dire, qu'après Monseigneur, marchoient Messieurs les officiers de la justice, d'un costé, et, de l'autre, Messieurs les gentilshommes de la ville et autres, l'espée au costé.

Il arriva, de ceste manière, à la cathédrale, ou, après quelques cérémonies, il alla se placer à sa place. Après quoy, il dist la messe, qui fust fort courte, estant fort prompt. Il donna 100 pistoles aux pauvres, fist délivrer deux tonneaux de sidre et deux pièces de vin aux troupes. Il y eut bien de la réjouissance et poinct d'accident fascheux, ny de trouble. Quand il fust nuit, on alluma, dans toutes les fenestres de la ville, des chandelles. Monseigneur dist qu'il s'acquiteroit noblement de toutes les charges et dépenses qui seroient nécessaires à ces sortes d'entrée envers plusieurs particuliers. Il n'y eust que M. Fauvel, curé de Sainct-Sauveur, qui eut le plat bassin et l'éguaire d'argent, dont Monseigneur se servit pour laver ses mains, et qui luy appartiennent de droict; il est pourveu de la prébende de Peserolles, que luy a donnée M. de Launay-Hue.

A la sortie de la messe de Monseigneur, un matelot arriva à l'évesché avec une haute-lourre, qui jouoit (1),

(1) La haute-lourre était une sorte de grosse cornemuse, dont on faisait autrefois un usage très fréquent en Normandie. Elle est aujourd'hui disparue, Elle se composait, dit M. Mancel, dans une note du Journal d'un bourgeois de Caen, de trois chalumeaux et d'une peau de mouton qu'on enfle comme un ballon, par le moyen d'un porte-vent enté sur cette peau et bouché par une soupape. C'est le biniou des Bas-Bretons.

avec un poisson monstrueux, qu'il présenta audit seigneur. C'estoit une plie franche qui avoit 4 pieds, 5 pouces de long; 2 pieds, 3 pouces de large et un demipied d'épaisseur, avec des marques rouges sur le dos, comme ces sortes de poissons les ont d'ordinaire, mais elles estoient plus grandes et en quelque façon comme des fleurs de lys (1). Monseigneur luy fist donner 80 livres, ce qui n'estoit pas suffisant, car il eust bien vallu 50 escus à la mer, aux marchands, le poisson estant d'une cherté surprenante ceste année, les turbots vallant, à la descente des bateaux, 100 livres, l'un portant l'autre, et 100 escus à Paris, et le tout à proportion.

Le 19 avril 1720, Madame Gabrielle-Françoise de Froullay de Tessé, abbesse de Saincte-Trinité de Caen, est morte d'une léthargie et fluction sur la poitrine, aagée de 76 ans. Elle fust prise tout d'un coup du mal, le 11 dudit mois d'avril. Elle est regrettée de toute la ville et particulièrement des pauvres, estant une dame d'un grand mérite et d'une grande vertu. Elle estoit sœur de M. le mareschal de Tessé. Elle a esté enterrée dans son abbaye, par les religieux de l'abbaye de SainctEstienne dudit Caen, qui vinrent la veille chanter les vigiles. Toute la ville y a assisté. Il y avoit des gardes aux portes, afin que les personnes de qualité, qui estoient en abondance, eussent place.

Elle estoit eslevée dans une manière de fauteuil et elle n'estoit poinct changée de figure, avec toutes les marques de sa dignité d'Abbesse. Il y avoit autour du

(1) Mémoires de Beziers, t. I, p. 117. « Monseigneur donne à manger à tous MM. du Chapitre. Entre autres mets, il y avait un poisson extraordinaire, qui était comme une plisse; il avait coûté onze écus ».

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