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cade, y avait établi une petite communauté dont son neveu fut nommé prieur en 1214. C'est pendant le séjour qu'il fit à Vic-sur-Aisne qu'il s'occupa à translater en langue romane et à mettre en vers les miracles de la Sainte-Vierge (1). Il devint ensuite prieur du célèbre monastère de Saint-Médard en 1233, et mourut en 1236. On a de lui un grand nombre de légendes intéressantes, de vies de saintes entremêlées de chansons pieuses et de traités moraux. On a fait dans le cours du moyen-âge plusieurs recueils manuscrits de ses poésies. Mais le plus beau était sans contredit celui qu'on conservait avant la révolution dans l'ancienne abbaye de Notre-Dame de Soissons. Cet admirable livre avait été donné en 1635 à très-haute, très-illustre et très vertueuse princesse, madame Henriette de Lorraine, abbesse de ce monastère. C'est un petit in-folio de deux cent quarante-six feuillets en parchemin, enchassé dans une mauvaise reliure de soie verte à moires rouges. Chaque page est divisée en deux compartiments et encadrée de deux gros traits polichromes d'où jaillissent par intervalle des dessins de feuillages nuancés. A la tête de chacune de ces pages ce compartiment s'étale, se hérisse, se tourmente en serpentant, et se termine assez ordinairement par quelques dessins feuillagés ou des figures montrueuses, ayant pour queue des expansions végétales de la plus grande finesse. Ce trait d'encadrement s'habille en descendant de pampres de diverses couleurs; l'or y domine presque toujours. Le milieu de la page est coupé par un petit

(1) Ce curieux ouvrage, un des monuments les plus précieux et les plus anciens de notre langue au 13e siècle, va paraître avec soixante miniatures, auxquels auront droit les cent cinquante premiers souscripteurs seulement. Cette publication formera quatre beaux volumes in-8°, au prix de 5 francs le volume. Les miniature n'ont été tirées qu'à cent cinquante exemplaires.

Ecrire à M. l'abbé Poquet, à Saint-Médard-les-Soissons.

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rainceau très-gracieux qui se contourne sur la ligne principale et s'achève en s'étendant au loin par trois feuilles de vigne qui s'épanouissent au-dessus du texte ; d'autres petits rameaux projettent de distance en distance leur tête lancéolée semblable à une espèce de dard. Au bas des pages un double ornement de végétation se détache de nouveau du gros trait polychrome et circule en volutes feuillagées, en faisant sans cesse briller aux regards étonnés de nouvelles étincelles d'or, de pourpre, de bleu mélangé de rouge ou de blanc qui produisent le plus charmant effet.

Outre ces ornements, l'œil suit encore avec une vive curiosité toutes les lettres majuscules; c'est là que la main du dessinateur du moyen-âge et son léger pinceau se sont exercés avec un rare bonheur. C'est là que sur un riche fond d'or se jouent mille traits de plume, mille entrelacs gracieux, mille méandres qui se fuient, se croisent, s'éloignent, se rapprochent, se mêlent sans confusion pour s'éloigner encore. La finesse des traits et la multiplicité des contours est telle que les yeux se perdent à en suivre les ramifications arrondies et les formes toujours nouvelles.

Après les lettres et les encadrements viennent les miniatures historiées qui sont en tête de chaque légende.

Le sujet du dessin et l'exécution sont également remarquables. Ici brille dans tout son éclat la puissance de l'art. Que la vue se repose agréablement et avec je ne sais quelle surprise sur ces touchantes et délicieuses productions de l'artiste religieux! Les yeux peuvent bien contempler, le cœur peut bien se délecter en présence de ces poses naïves, de ces figures candides et silencieuses; mais comment la plume pourrait-elle retracer ces décors variés, ces draperies moelleuses, ces visages parlant, ces attitudes sévères de moines, de saints toujours empreintes d'une mélancolique ferveur? Quelles

couleurs! quel pinceau! quel prodige de patience et de talent a pu enfanter ces merveilleuses miniatures, qui parfois légères et badines comme la nonnain qui sort du monastère sur une haquenée, et dit adieu à son cloître pour s'en aller au siècle qu'elle quittera ensuite pour revenir demander la paix à la solitude; plus souvent graves et pieuses, représentant des scènes attendrissantes comme celle de ce jeune clerc de la bouche duquel on vit sortir après sa mort cinq roses blanches; tantôt radieuses et angéliques comme celle de la douce Vierge apparaissant à une jeune fille au milieu d'un jardin parsemé de fleurs, tantôt lugubres, sombres, horribles lorsque le poète introduit sur la scène tous les monstres informes de l'empire de Satan. Dans ces groupes, qui sont autant de monuments des croyances et de la Théodicée du moyen-âge pour le philosophe, l'archéologue découvre encore sous ses formes de l'art une agréable étude pour la symbolique chrétienne.

C'est sous ce dernier rapport surtout que le frontispice du manuscrit de Gautier m'a paru mériter une attention spéciale et exiger une description plus étendue. Ici en effet ce n'est plus un simple sujet isolé, mais une réunion de huit miniatures formant une vaste composition, telle que nous les rencontrons dans les anciens riptiques ou tableaux à volets. Figurez-vous donc un intérieur d'édifice divisé en trois compartiments séparés par un faisceau de colonnettes annelées, chapiteaux à crochets et soutenus aux extrémités par deux contreforts ornés de larmiers; au-dessus règne une large corniche garnie de feuilles de vigne offrant des têtes fantastiques dans leur déchiqueture. Placez ensuite dans cet encadrement assez sévère huit tableaux à personnage, deux au centre et trois dans chaque nef, et vous aurez déjà une idée de la disposition générale de cette scène dont la sainte Vierge est l'héroïne avec son divin fils; plus bas

le crucifiement; puis jetez les yeux à droite et à gauche, l'ancien et le nouveau Testament s'y sont donnés rendezvous en personne et en doctrine; au-dessous la personnification de cette doctrine, le symbole et la réalité s'interprétant mutuellement et faisant de cette composition une des plus riches que nous connaissions.

Entrons dans quelques détails :

1o Tableau central. Fond violet parsemé de feuilles de vigne multicolores; la Vierge assise sur un large fauteuil gothique avec clochetons et fenêtres ogivales; elle est vêtue d'une robe bleue, manteau violet doublé de vert olive, la couronne et le nimbe d'or; elle tient de la main droite la tige d'une fleur dont le calice est vert, les pétales rouges. De sa main gauche elle enlace légèrement son fils élevé sur ses genoux; le petit Jésus porte le nimbe crucifère. D'une main il s'attache au manteau de sa mère, et de l'autre il saisit par une aile un chardonneret qui le pince. Le champ du fauteuil est garni d'une tapisserie dorée, diaprée de quatre feuilles et bordée de petites croix de saint André. De chaque côté deux vierges nimbées, couronnes en tête s'appuyent sur les contreforts du fauteuil; l'une porte un livre dans les plis de son manteau gris-cendre doublé de rouge et laisse apercevoir une robe vert-olive; l'autre est revêtue d'une robe rouge et d'un manteau bleu doublé de blanc. Les inscriptions placées au-dessus de leurs têtes dans trois petits cadres sont presque complétement effacées. Je crois cependant avoir déchiffré les mots Karitas... pietas misericordia.

Au-dessus planent sept colombes aux ailes éployées aspirant, ou plutôt soufflant vers un point central chacune un filet d'or; autour de chaque colombe d'un grisardoise, on lit sur autant de segments de cercles les mots suivants en abrégé: Sps. sapié. sps intellectûs. spûs consilii. spiritus fortitudinis. sps sciencie. sps pietaris. spûs timoris. Ce sont les sept dons du Saint-Esprit,

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